mercredi 28 septembre 2011

Woody Allen , de la série artistes de fiction




Woody Allen et les arts plastiques.


Les derniers films de Woody Allen contredisent sa célèbre réplique : « Tout ce que je connais de l’art, c’est Kirk Douglas dans le rôle Van Gogh ( Lust for life  Vincente Minelli, 1956).  Citation extraite de « Tout le monde dit : I love you », 1998, où la connaissance de la peinture du Tintoret, objet des recherches de la femme convoitée à Venise, aurait pu devenir une tactique de séduction. Van Gogh revient dans Midnight in Paris, par le montage de La nuit étoilée sur l’affiche du film, bien que le peintre lui-même soit absent du scénario et que le contexte culturel et parisien ne soit pas compatible : encore une séquelle du mythe.
Dans les films d’Allen, les écrivains, cinéastes qui meublent le théâtre des psy (autobiographie et narcissisme oblige) laissaient peu de place aux peintres et autres artistes plasticiens qui abondent dans les comédies américaines, chez Scorcese ou Altman et dans nombreux polars des années 80 à 2000.
Cette absence pouvait paraître étrange en raison des métiers attendus dans le milieu intellectuel et bourgeois de l’East Side qui constitue le cadre des situations sociales des personnages.

En 1986, dans Hannah et ses sœurs  Max von Sydow (un rôle secondaire, mais que l’on voit dans un loft de Downtown) incarnait un peintre asocial et jaloux. La zone de l’atelier est masquée par des bâches , les dessins - des nus fort académiques de sa jeune femme- sont montrés à un riche acheteur. Lequel est sera violemment congédié car, « on ne fait pas de l’art au mètre », « on n’assortit pas la peinture au tissu du canapé »....
Ce personnage pourrait être considéré comme une référence au peintre de « L’heure du loup » d’Ingmar Bergman,  1967 , le même acteur dans une quête semblable : dessiner sa femme, de manière obsessionnelle.  Bergman  fut  abondamment évoqué par la critique à propos de cet opus de Woody Allen, dont on connaît l’admiration pour le cinéaste suédois.  Les films de la décennie 80, Une autre femme et September justifiaient aussi cette référence.

Dans les comédies récentes, l’art contemporain prend une place nouvelle :
Deux personnages de Vicky Cristina Barcelona, 2008, Juan Antonio (Javier Bardem) et Maria Elena (Penelope Cruz) sont des artistes  peintres barcelonais. Le cadre de la ville permet de « visiter » les architectures de Gaudi, et le contexte culturel induit une référence obligée à Antoni Tapies : les toiles du couple ressemblent fortement à la facture du maître : signes et traces du geste pictural.  Geste plutôt meilleur pour Penelope, qu’on voit travailler au sol,




 car travailler sur un chassis vaguement accroché à un arbre ne garantit pas des résultats probants.. 



Les toiles (leur ressemblance est pointée par l’autre jeune femme) sont l’œuvre d’un même peintre Catalan Augusti Puig crédité au générique et dont l’appartenance à la forme locale d’expressionnisme ne fait aucun doute.
Leur amie et amante, Cristina (Scarlett Johansson) se révèle photographe au cours de son imprégnation par le milieu barcelonais et des rapports amoureux du trio/quatuor.

La révélation d’un talent occulté par une vie petite bourgeoise intervient aussi dans
 Whatever Works , 2009.  Melissa (Patricia Clarkson, excellente) la mère de la jeune Melody , s’affranchit des conventions et de la religion pour devenir photographe et collagiste : on voit dans la galerie, lors du vernissage, des grands nus photographiques composés de différents fragments anatomiques. Frontalité, objectivité cruelle et réaliste des gros plans en noir et blanc qui font référence à tout un courant de la photographie contemporaine. ( John Coplans par exemple). Le trouble sur l’identité sexuée des modèles dans l’assemblage vaut pour une théorie de l’égalité et une illustration de la libération sexuelle de Melissa.



Dans ces deux films, ce sont les personnages féminins qui accèdent ainsi à une émancipation par l’art, pictural ou photographique ; dans les films new-yorkais précédents, les héroïnes en rupture de couple tentaient de se « trouver » par la littérature ou le théâtre.

Retour sur l’histoire de l’art :
Le dernier film,  Midnight in Paris plonge le héros dans le milieu des arts en France dans les années 20, par une des magies du cinéma que Woody Allen a toujours mis en scénario, que l’on se réfère à New York Stories – la mère dans les nuages- ou plus encore à La rose pourpre du Caire : L’acteur du film sort de l’écran pour faire vivre à la pauvre Mia Farrow tous ses fantasmes d’évasion du quotidien.
La confrontation entre plusieurs temporalités sous-tend le récit, et pour Midnight in Paris, les références  historiques sont précises.
Le jeune homme, Gil (Owen Wilson) « mal fiancé », explore à chaque escapade nocturne le Paris de ses rêves, rencontrant Hemingway – grâce à « un taxi/machine à explorer le temps ». Il visite alors Gertrude Stein et Alice Toklas, croise ainsi Picasso et Matisse. La datation est donnée par la peinture de Pablo que commente Gertrude (Kathy Bates) à ses amis :




 une  Baigneuse, Dinard, 15 aôut 1928, 24x35cm (sauf erreur de vision d’un instant). Le réseau des références est conforme au milieu parisien où gravitent des américains célèbres, le couple mythique Fitzgerald, T.S Elliot et quelques étrangers.
Parmi les cinéastes de l’avant-garde, la rencontre avec Man Ray, dadaïste qui fut un acteur de la scène américaine dans les années 1915 avant de se fixer à Paris en 1921.
La période implique aussi la proximité du mouvement surréaliste : Dali à une terrasse d’un café délire sur le rhinocéros  (cocasse apparition de Adrian Brody moustachu pour l’occasion). Bunuel :1928 est l’année du Chien Andalou en collaboration avec Dali (L’age d’or date de 1930). Ils sont à Paris pour présenter le film. Leur rencontre  permet au héros de proposer au réalisateur des sujets de films par retro/anticipation : le Charme discret de la Bourgeoisie est ainsi préfiguré.
Dans la seconde strate de retour à un « age d’or », le héros est entraîné par Adriana, le modèle des peintres et ex-compagne d’ Hemingway à la fin des années 1890, où l’on trouve Gauguin et Toulouse-Lautrec ou Degas au Moulin rouge avec les figures connues de Chocolat ou Valentin que le film de John Huston, Moulin Rouge, avait mis en scène en 1965.
La visite des Nymphéas de Monet, à l’Orangerie ou le débat sur la place ou le rôle de Camille Claudel dans la vie de Rodin entrent dans la même évocation de l’histoire (mythique) de l’art.
Ainsi, par le biais d’une comédie de moeurs, Woody Allen nous fait un petit cours sur l’origine de la francophilie des intellectuels américains, tout en citant les oeuvres majeures du cinéma d’auteur.
Et puisqu’il s’agit des aventures d’un « américain à Paris », on ne peut manquer le clin d’oeil à Minnelli (1956), car les lieux touristiques parisiens revus et peints dans les décors de la comédie musicale nous baladent dans un espace magique de « cartes postales ».
Anachronisme de circonstance et intégration des artistes incontournables du pays où se situe l’action, (pour Midnight, et Vicky, la coproduction étant américano/espagnole, la moindre des choses est d’en évoquer des figures).
Pour la bande son, chaque film entre en résonance avec les « standards » de la musique (espagnole ou française) mais n’exclut jamais le jazz et le be-bop : Cole Porter est présent dans les séquences de café et par le disque. Cette petite musique accompagne tous les autres films de Woody musicien. Nostalgie, nostalgie...






jeudi 9 juin 2011

Du BIOPIC à L'AUTOFICTION: Cinéma et ART CONTEMPORAIN.1.



Vrais/Faux documentaires
L’ordre chronologique des productions importe ici, qui est moins nécessaire dans le biopic standard, en raison même du genre, hormis précisément pour ce qui concerne l’aspect documentaire ; les biopics les plus récents sont souvent les mieux étayés quand ils concernent des artistes du XXe siècle. (Frida, Pollock) Les artistes dans leur rôle ou du moins leur implication dans certaines films (on en verra quelques uns)  après 1960 changent le statut  de la fiction.

Le film A bigger splash, (Jack Hazan, D Hockney, GB 1974) mettant en scène David Hockney, au quotidien en 1971/72 ouvre à une forme nouvelle de narration concernant les artistes vivants dans leur travail : une étude chronologique de la conception d’une œuvre, tressée avec les événements de la vie quotidienne, affective et amoureuse.

Le titre fait référence à la peinture « A bigger splash, 1969/71)  le plus grand format de la série des piscines avec éclaboussures. Que l’on voit dans la galerie à la fin du film.

David Hockney et Mo

Entre documentaire et autoanalyse, le film permet de suivre en temps réel ( quoique les séquences soient construites avec des ellipses) l’élaboration de la peinture : « Portrait d’un artiste  ( John et Mo puis John et Peter qui remplace Mo dans la version définitive. 
De Londres à New York pour l’exposition, la peinture est modifiée, la vue initiale d’une piscine dans le sud-ouest de la France, après changement de modèle.

Les prises de vue de Peter dans Hyde Park à Londres ( on peut y voir une référence à Blow Up d’Antonioni, 1967) le jeune amant dont DH vient de rompre permet au spectateur de comprendre le processus du travail : projection de l’image photographique, détourage par Mo l’assistant puis mise en couleur par l’auteur sur le même « décor », la piscine et son nageur. 



Les intervalles pendant un an sont donc remplis par les rencontres, avec les amis, Célia et Ossie, la relation gay, en direct (scandale à l’époque), la douche, autant de faits convertis en images, parmi les plus connues du catalogue de l’époque, des icônes. Très british aussi. Documentaire sur le swinging london.
Concordance à terme entre la figure de l’artiste et l’œuvre, la part déjà très médiatisée et le roman vrai d’un tableau.

Downtown 81  E. Bertoglio, 2000. Tourné en 80/81, sorti en 2010 ( concordance avec l’exposition au MAMVP) met en scène le jeune Basquiat, (1960-1988) Période SAMO,  rencontres au Mudd Club puis au Club 57 . Le film suit Basquiat, inconnu, acteur dans son errance, une toile à la main, avant  la première invitation en 81 au New York-New Wawe ( la première expo à eu lieu chez Annina Nosei en 82, voir le film Basquiat de Schnabel),
Milieu underground +musico que peinture : Basquiat à la recherche d’un peu d’argent, se produit en musique ; une fin irréelle avec le baiser de la fée et une valise d’argent. Musique groupes et Vincent Gallo au générique. Entre documentaire et fiction, sur le modèle Hockney, le film s’intéresse au quartier Downtown qui ouvrait les premiers lofts.


Sur la trame de l’élaboration d’une peinture, un autre film plus confidentiel :
Le songe de la lumière, Victor Erice, Esp, 1992, est entièrement consacré au travail du peintre espagnol  Antonio Lopez Garcia :   Méditation sur le passage des saisons, de la lumière et de l’avancement du tableau : l’arbre , un cognassier du jardin. Le processus est respecté dans sa méticulosité, depuis la construction du chassis, les premiers réseaux, la palette et le médium, le marouflage d’une toile pour un dessin (au millimètre près) pour reprendre le sujet, suspension de la peinture pour cause de météo, et la chute des fruits. Ce qui a permis de qualifier le film de documentaire. Le travail d’observation dans la durée va dans ce sens mais le dispositif de composition rigoureusement axial (l’arbre est étayé -les fruits marqués pour ne pas perdre le fil- puis protégé de la pluie par un dôme de plastique, tel la tente d’une madone de la renaissance) la réflexion sur l’acte de peindre qui alterne avec le travail des ouvriers étrangers qui restaurent la maison dépasse le simple enregistrement. Le dialogue avec l’ami peintre insère une histoire du milieu, la radio informe sur l’actualité tragique.. Le commentaire sur Le jugement dernier, corroborant la recherche de vérité et de valeur quasi religieuse de la création. Les questions des chinois : les autres peintres commencent par copier une photo.  En intérieur, à la fin, après le démontage et la consommation des coings, le peintre pose en gisant pour sa femme. Celle-ci gravait le même sujet et reprend son motif.
La quête obsessionnelle ramène à la posture de Cézanne, la touche et le cadrage aussi mais sans réitération fébrile.  Le dessin précisionniste façon Cueco. Du 30 septembre à fin décembre, un seul objet, l’arbre comme un être humain. Le retour du cycle un peu optimiste clôt le film, dont la caméra en ombre remplaçait le peintre devant la scène des coings tombés. Lumière lunaire morte.

Enquête sur un secret. Mariana Otero, 2003 ;
Une double recherche, le collectage des œuvres de Clotilde Vautier, et les raisons de son décès au moment d’une exposition en mars 68 à Rennes. Ses deux filles Mariana, la réalisatrice et Isabel, l’actrice, interrogent ainsi la famille et les proches  pour faire surgir le secret gardé trente ans de la mort de leur mère des suites d’un avortement clandestin -dénonciation discrète de l’état d’une société répressive. Elle ne fut pas la seule à disparaître ainsi de la scène artistique.
Le film s’attache à l’étude des peintures cachées elles aussi dans un placard, en vue d’une exposition rétrospective qui le clôt .
L’atelier est alors reconstitué, l’appartement drapé de blanc, double usage, symbolique et cinématographique pour la lumière nécessaire aux prises de vue, et les proches analysent le procès de travail : Antonio, le mari, décrit l’élaboration des œuvres, des croquis à la toile, Mariano, le beau-frère mime la touche -tous deux sont peintres- les modèles reprennent la pose, une restauratrice étudie la facture des tableaux, des nus féminins sensuels, autoportraits, principalement, des portraits austères à l’espagnole, et des paysages. Autant de témoins d’une courte vie consacrée à la peinture. D’une justesse, émouvante ont pu dire les critiques, et pour qui a connu (comme je l’ai approché) le milieu et aussi le « style » issu de l’école, terriblement  réaliste, a posteriori.   

Sur une trame comparable, le film My Architect de Nathaniel Kahn, 2004 : qualifié de documentaire. L’auteur recherche les témoignages et les oeuvres (très connues) de son père, Louis Kahn (1901-1974) qu’il n’a pas connu (plusieurs foyers et enfants, l’architecte se consacrait à son travail). Rencontres, avec les familles et les confrères, positives ou non, les ennemis dans le milieu s’opposaient aux choix non académiques ; visite des sites, de Californie au Bengladesh : une approche passionnante, modeste, affective, d’un personnage dont les formes et les choix techniques et esthétiques furent novateurs et  même politiquement évidents (voir le parlement de Dacca). 

La forme de l’enquête sur une œuvre a trouvé sa filmographie, des fictions historiques, depuis  L’hypothèse du tableau volé, Raul Ruiz, 1978., des presque « policiers », La ronde de nuit, Peter Greenaway, 2007,Ce que mes yeux ont vu, De Bartillat, 2007, à propos de Watteau, des reconstitutions, Cindy, this doll is mine, Bertrand Bonello, 2005, Du meilleur au pire (Fur, portrait imaginaire de Diane Arbus,  S. Sheinberg, 2007), les artistes, les raisons de la création sont une énigme, les œuvres des indices. Le développement de l’historiographie, et l’industrie culturelle augmentent le romanesque de la figure du héros.

Autofictions


Le développement des supports légers, la vidéo comme médium de création, permet aux artistes contemporains de s’approprier une nouvelle forme de fabrication d’images.
La posture de « l’artiste en personne » que jouent nombre de plasticiens se traduit par la photographie, la performance (mais ce n’est pas nouveau, dès les années 20 les dadaïstes les ont pratiquées) et depuis les années 90 le cinéma. Le cas de David Hockney est sans doute le plus flagrant de mise en scène de la personne.

Soit l’artiste est assisté d’un technicien ou d’une équipe  (les marches de Richard Long dans Stones and Flies) qui enregistrent les actions, soit l’appareil est le tiers nécessaire -comme l’était le miroir pour les autoportraits-  au filmage y compris en studio : Une sorte de double qui documente le travail. La fiction sur Cindy Sherman est une sorte de personnification de l’instrument. Asia Argento assurant les deux rôles.

Le double et le travail à deux  fondent quelques productions.

De Sophie Calle, dont les aventures de son personnage, en femme de chambre, en détective et autres journaux vécus, le film No sex last night, 1999, est le plus connu ( et diffusé en salle).
Récit d’un road movie à travers les Etats Unis, en compagnie de l’homme qu’elle veut épouser, et qu’elle épouse à Las Vegas, la caméra se joue à deux, dans un échange permanent. Le commentaire in ou off selon les moments vaut pour un journal intime. On a inventé pour la circonstance le terme de « extime » qui traduit la tendance exhibitionniste de sujet.
Drolatique et  autocritique, chaque séquence est ponctuée du constat « No sex last night », lequel correspond aussi à un cliché édité en photo.
Le film est donc l’œuvre et son documentaire, ce que d’autres reprennent, l’autofiction étant devenue une tendance lourde pour les étudiants.

Double encore, le couple d’ « ours », Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard qui vivent et réalisent Dancing , 2003. L’un est écrivain, l’autre plasticien, travaillant pour la circonstance dans l’ancien casino d’Audierne. Au mur la photographie d’un binôme des années 50. Le lien au monde extérieur est assuré par visioconférences avec le galeriste incarné par le critique Jean-Yves Jouannais. (connu pour la défense des nains de jardin). Entre tâches quotidiennes et plaisirs privés, PM Bernard tente de réaliser des ours gonflables en bullpack, puis sombrant dans des délires et hallucinations, se transforme en une sorte de Bécassine, dans une performance pathétique.



 Le numérique permettant les trucages, à son tour, JYJ voit ses clones sortir des caves pour une séance de sport collectif. Réservé aux spécialistes du contemporain, mais sans modération.



En solo, l’autofiction :

 Moi toi et tous les autres, Miranda July, 2005, dépasse l’approche narcissique d’une artiste encore inconnue. L’auteur filme le quotidien des voisins, middle class, limite borderline. Elle se filme aussi devant des images et enregistre ses commentaires.
Le principe de « l’adresse » à un interlocuteur ressortit aux formes contemporaines. La galeriste coincée cède devant les cassettes vidéo mais aussi grâce à un échange de courrier du coeur quelque peu porno (le môme du voisin formulant des invitations cocasses avec les signes de ponctuation en copier/coller). Happy ending, exposition, accord avec le voisin barjot. Un charme plus conceptuel qu’il n’apparaît dans la maîtrise du multimédia.

Enfin pour une autobiographie fiction, le film de Takeshi KITANO :
 Achille et la tortue, 2009. Sorti juste avant une exposition retrospective à la fondation Cartier.
Générique en parabole dessin animé péplum, début dans la tradition du cinéma japonais :
Le héros, de l’enfance de l’art, ou de l’art de l’enfance (des poules et des poissons)  au peintre naïf persévérant dans le devenir « contemporain ».  Kitano dans son propre personnage : Une totale parodie du XXe siècle :
Le rêve de l’art parisien, la transmission par le béret, l’atelier académique ( dialogues incontournables).
Tous les courants se succèdent, mais avec la « Kitano touch » ( cerne épais polychrome issu du Pop Art) sur Mondrian, Kandinski, Klee, Miro, Hundertwasser. Vaguement Picasso (découpage des figures). La figure du galeriste critique est déterminante : « rien ne va, c’est de la copie, pas assez original, pas assez conceptuel, pas assez engagé »..



La bande des copains d’atelier expérimente les installations du genre nouveau réalisme, Spoerri ; puis l’action painting en vélo, en voiture (mort du conducteur), Jim Dine, Warhol, l’accident suite ( citation du film sur Bacon).
Les  rideaux  de magasins selon Basquiat qui seront repeints en blanc (Ryman).





 Collaboration avec sa femme  « couple d’artiste » : 










une séance vélo, (plan en plongée à l’horizontale, citation d’une performance Fluxus de Nam June Païk), nombreuses séances de dripping, séances Klein, boxe d’appartement (référence années 90, KO, l’épouse), la Véronique sur le cadavre de sa fille. Une autre citation : un monochrome (sanglant) à la Claude Rutault.



Tentative d’aller au bout , les suicides -ratés : Hommage terminal à Van Gogh, tournesol en main. Miraculé, l’artiste finit par la vente d’un canette de coca écrasée... Happy ending, exit Warhol et la peinture en aplat.
Kitano nous offre le tour de tous les mouvements artistiques, en conservant un style, et un humour plus décapant que tous les yakusas des films antérieurs ( quoique le policier de HanaBi peignait des fleurs). Une synthèse que l’on trouve sous une autre forme dans Musée haut/musée bas.

Le recyclage de l’art n’en finit pas, puisque Woody nous fait rencontrer les artistes des années 20 et de 1890 dans son dernier film.

sur les fictions/fictions, à suivre...

mercredi 25 mai 2011

BIOPICS .4. L'artiste au travail


Biopics 4  : L’artiste au travail 


On l’a vu dans les épisodes précédents, pour satisfaire à une  « histoire de », sauf rares exceptions, les films comportent un aspect documentaire : ils s’étayent sur la citation, l’emploi et la recréation des œuvres les plus célèbres.
Les images des tableaux, en séries anarchiques (Minnelli) ou en galeries thématiques (Goya de Saura) assurent le suivi chronologique de la vie de l’artiste.
 Les films illustrent les techniques artistiques compatibles ou calées sur les possibilités chromatiques du cinéma -Moulin Rouge de John Huston pour Lautrec et la lithographie. Ils informent de manière plus ou moins didactique sur le rôle du commanditaire, l’impact de la critique, le système marchand de chaque époque.
Les lieux historiques -de studio- constituent un cadrage socio-historique suffisant, ils sont souvent la reconstitution en 3D des représentations picturales ou photographiques de l’époque : le décor est déjà une peinture, la nature même a pu être repeinte (Minnelli puis Kurosawa).
Trois lieux principaux suffisent au genre : la galerie, musée et autre palais du mécène qui situe le milieu institutionnel (finances et compromissions) ; l’inévitable auberge, bistrot, bar, voire le bordel que fréquentent les artistes- le peintre au cinéma boit, par essence – l’absinthe est particulièrement picturale et dramatique chez mes « maudits »- et c’est aussi le lieu des débats esthétiques entre collègues ; enfin l’atelier du peintre.
Une même structure ternaire construit le rôle des protagonistes : L’artiste, le tiers -modèle, muse, amant ou tout objet de désir - et la toile « l’autre » et le miroir réunis.

L’atelier est un microcosme théâtral qui permet de condenser tous les concepts artistiques de la période et de mettre en scène la société, ses acteurs, ses moeurs et ses règlements de compte.


Artemisia : l'atelier d'Orazio Gentileschi

Peindre, c’est surtout œuvrer dans un champ, celui de la toile, afin de créer, construire ou représenter un espace à la fois pictural, stratifié et perspectif, déterminé par le cadre.
L’image de référence réciproquement contraint le cadre, le format et l’organisation du plan filmique qui la restituent. L’analyse de Pascal Bonitzer (Décadrages, peinture et cinéma, 1985) valide le rôle de la perspective ou de l’anamorphose dans le rapport entre peinture et cinéma, pour les films portant sur des artistes dont les œuvres sont construites en fonction des lois possibles de cette science et particulièrement dans les séquences d’atelier, lieu scénique et boîte d’espace homéomorphes, dont le mur avant est aboli. On le voit dans les Rembrandt, mais l’atelier de Bacon n’échappe pas à ce dispositif.
L’exemple le plus pertinent est démontré dans La Jeune fille à la Perle  reconstitution romanesque de l’œuvre éponyme de Vermeer. Dans le décor de la maison, reconstruit à l’identique, l’auteur restitue l’invention des tableaux, et dans une séquence joue à inclure une camera obscura qui produit l’image dans l’image, tout en dénonçant l’illusionnisme, l’artifice et en désignant la place du spectateur.



 La vraisemblance de la peinture est donc une feinte, l’atelier -anagramme de réalité- devient un « studio » producteur de trompe-l’œil.
Les cinéastes peuvent avoir été peintres ou artistes, le soin des scènes en découle. L’acteur quelquefois aussi rejoue l’énigme de l’acte créateur dans sa gestation, sa temporalité, sa poïétique.

Les œuvres constituent donc des fonctions dans le récit ; même indépendantes de la réalité historique, elles permettent d’élaborer les séquences-clé qui soutiennent le drame.

dispositifs

Dans la structure de « tableaux vivants », empruntés au corpus des œuvres, le peintre peut ne pas peindre, mais seulement poser, à l’image de ses autoportraits ; le cinéaste opère des mouvements de caméra qui économisent le passage à l’acte. Mais la performance est stratégique pour le récit.
L’artiste travaille, besogne, transpire, pense aussi avec ses mains et ses pieds, avec son corps – chorégraphie indispensable pour les peintres contemporains. 

Pollock


Les dispositifs à l’oeuvre, la distribution des tâches dans les séquences d’atelier ressortissent à quelques principes simples, et souvent combinés dans l’ordre progressif de la fabrication et de l’intrigue. Le cinéaste utilise en général des truchements standards, qui assurent l’illusion du procès pictural, depuis la préparation jusqu’à l’achèvement du tableau.

En amont de l’image, la palette : elle ne pose aucun problème légal ; générique et universelle, comme le sont pinceaux, brosses et couteaux, elle incarne le principe fondateur de toute création, l’inchoatif. En gros plan, la substance matérielle magnifiée occupe tout le champ : peinture informelle d’avant la peinture, elle constitue le plan-clé de chacun des films, le moment inaugural. La matière/chair, polychrome, est la métaphore de la création organique et de la transmutation du pigment en or, deniers et autres valeurs.
Les artistes des XVIe et XVIIe développent un discours alchimique sur le broyage des pigments  -malaxés en pots et godets ils ne sont pas exempts de métaphores religieuses ou érotiques. Le médium à l’œuf assure aussi le versant culinaire de la peinture, de consommation immédiate sur le divan.

Le support : vierge est la toile qu’il faut tendre ; opération physique ou purement cinématographique -un plan d’écran vide pour Pollock.  Il permet au cinéaste de mettre en scène l’angoisse bien connue de la page blanche : sur cette toile s’inscrit l’ombre portée du peintre, référence à la légende de Dibutade, citée par Pline comme mythe originel de l’image. Artemisia  use de même avec le rideau qui masque le modèle.
Le support peut être éventuellement préparé, comme son équivalent la paroi des fresques. Ce qui implique couches et surfaçage : passage d’un fond ocre rouge (Fragonard), noir et réitéré au générique de Caravaggio, ou bleu matiériste du générique de Pialat/Van Gogh .

Le dessin préparatoire et son transfert par le « poncif » à la Renaissance :  Michel-Ange et Artemisia nous apprennent tout sur les techniques de la fresque et la méthode permettant de compenser la distorsion perspective.
Les croquis sur nappe en papier -la bohème- ou les grands cartons, comme les carnets autographes de Bernard Dufour anticipent la peinture. 

La première trace s’inscrit dans la référence à Paul Valéry, l’incipit. Assez simple pour  l’acteur amateur, le dess(e)in et le geste instaurateur suffisent à évoquer « l’idée » de la peinture à venir.
La seule scène de Bacon au travail consiste en un cercle dessiné à l’aide d’un couvercle de poubelle qui opère comme bouclier et comme miroir évoquant la Méduse du Caravage. Citation aussi du O de Giotto, ce geste autographe provocateur fut, en son temps, cité par Vasari. Contrairement au style de ses peintures, Bacon le macule aussitôt d’une gerbure rouge, filmée en contre-champ sur vitre, référence cette fois au Mystère Picasso.


La main coupée, ou l’œuvre à deux mains. La solution cinématographique la plus courante est la substitution de la main de l’acteur par celle d’un artiste connu ou non : c’est le cas de Dufour dans la Belle Noiseuse, ou de Pialat peintre dans Van Gogh. L’attention se porte sur le détail de la facture et contraint le cinéaste à un cadrage à la fois en gros plan et en plongée. Le raccord souvent maladroit dénonce l’illusion de l’autographie. Un zoom arrière révèle le passage du geste à la figure.

L’ellipse ou l’éviction de la durée de réalisation, par son envers : le dos du tableau est seul visible avant présentation de l’œuvre terminée. Eclipse.

L’artiste-acteur peint, en temps réel  et en plan large. Cette solution assez rare exige un entraînement ou une double activité. Ainsi Ed Harris s’est soumis à cinq années de pratique pour exécuter de manière satisfaisante certaines séquences de Pollock. L’insert de la reprise exacte du documentaire de Namuth donne la mesure de la qualité de l’imitation. L’acteur non professionnel incarnant Munch était graphiste. Dennis Hopper, peintre lui-même, s’éclate littéralement dans une imitation du style de quelques néo-expressionnistes, dans un « nanar » invraisemblable (La trace de l’ange, W Cove, 1999. titre original Michelangel !) Les cas les plus fréquents présentent l’acteur qui repasse ou retouche sans trace et sans risque le faux en cours.

L’inachèvement et la répétition :  La Belle Noiseuse et son modèle balzacien, comme la plupart des films et nombre de témoignages d’artistes insistent sur une forme d’aporie dans l’aboutissement de l’œuvre. La contrainte de l’exposition permet seule d’en finir. Scorcese (New York Stories) exploite donc un « tube » très daté comme leitmotiv. Par insatisfaction, obsession ou impuissance, le peintre recommence, devient selon des termes contemporains un « serial painter ». Cézanne en fut, bien que peu cinégénique.

 Crises 

Au-delà de cet inventaire de pratiques, le film de fiction ajoute la trame  dramatique : l’œuvre en cours s’inscrit comme une métaphore de la crise psychique qui la fonde. Aucun biopic ne s’attache donc aux artistes modernes, abstraits ou conceptuels. L’insatisfaction vaut pour preuve d’une angoisse existentielle; la transgression des normes plastiques, qui engendre l’incompréhension du public, est concomitante de la transgression morale. Le drame intérieur, les malheurs de l’existence, le déchirement sont des pôles des expressionnismes, auxquels appartiennent la majorité des artistes faisant l’objet de films. La biographie la plus sérieuse étaye le stéréotype, y compris dans la forme documentaire-fiction de Peter Watkins: Edvard Munch, qui construit dialectiquement le pattern des raisons historiques, socio-politiques et religieuses qui conduisent à la figure de l’artiste névrosé.

La contemporanéité des films cités et des textes de Didier Anzieu ou de  Christian Metz démontre l’apport et la persistance de la psychanalyse dans l’interprétation de l’art pour, rétrospectivement et anachroniquement, le faire coïncider à ses concepts fondamentaux. 
New York Stories
La création se fonde sur le narcissisme, la projection –littérale au plan plastique- sur une thématique du double qui nécessite la présence de l’autre : le modèle, physiquement présent de préférence, et son résidu, l’objet fétichisé.
« Il y a une femme là-dessous », écrivait Balzac, tous les scénaristes -même américains, dans des fictions récentes- ont gardé l’image du pied.

Aucun des plans poïétiques n’est dénué de connotations sexuelles, de l’emprise du désir, de la pulsion. Le pinceau (du latin penisculum, petit pénis), agit voluptueusement sur la palette, la matière à  informer.
Un commentaire précis est donné par le Rembrandt de Matton qui « gicle un jus de lumière » et dans le cours de peinture à son fils, insiste sur l’opération charnelle de la peinture, qui naît entre fiente et sanies. Contrairement au principe de sublimation, le peintre au cinéma, ne couche pas son modèle uniquement sur la toile. 

Pas d’atelier sans chevalet, pas de peinture de paysage en plein air non plus. Le plus souvent filmé de dos, cachant l’acte et ne montrant que l’acteur.
Or, une mystique de la torture peut s’étayer dans le dispositif pictural : chevalet  pour l’écartèlement de la chair ouverte et lacérée de la matière, « l’incarnat »[i]. L’iconographie fut inaugurée par le mythe du satyre Marsyas, condamné pour outrage à être écorché vif ; son supplice rejoint le martyre des héros chrétiens.
Ce qui pour Henric relie le champ de la peinture au catholicisme est l’ensemble des principes de l’incarnation, du sacrifice, de la transsubstantiation : du vin au sang ; l’huile, comme onction sacralisante, de l’agenouillement, le confiteor peccavi ; pour, à terme, accéder à la rédemption ultime.
Le doublet horreur/extase, hérité du retable d’Issenheim de Grünewald, œuvre citée dans les interviews de Bacon et Hopper, hante le rapport du peintre à son sujet. Artemisia Gentileschi a plusieurs fois exécuté Holopherne. Frida Kahlo se figure avortée, lacérée et mutilée. Son sang, comme matière peinture encore.
L’inmontrable est le corps ouvert de La leçon d’anatomie de Rembrandt, celui du toro éventré et crucifié au générique sanglant du film de Saura, carcasse aux tripes de laquelle se forme le portrait de Goya.

Les variations de ces stéréotypes alimentent nombre de scénarios fictionnels et parodiques. Le récit s’en trouve généralement dépolitisé, et dé - historicisé, puisque l’enjeu de l’action se concentre sur le drame de l’artiste; le spectateur, qui attend des films l’illustration du conflit entre le désir et la loi, peut investir émotionnellement. Et l’artiste devient au cinéma, un héros négatif, pour nombre de films d’horreur.  (à suivre)

Reprise de l’article : AK : L’œuvre en procès, in Filmer l’acte de création, PUR, 2009


[i] Didier Anzieu : Le corps de l’œuvre, Gallimard, 1981 ; Le moi-peau, Dunod, 1985 ;
Georges Didi-Huberman : La peinture incarnée, Minuit, 1985 (suivi  de :Le chef d’œuvre inconnu de Balzac.
Christian Metz : Le signifiant imaginaire, Psychanalyse et cinéma, UGE 10-18, 1975

vendredi 6 mai 2011

LE CINEMA et L'HOMME MACHINE


LE CINÉMA ET L’HOMME MACHINE

La programmation jusqu’au 22 Mai au Forum des Images , à Paris, d’un cycle consacré au cinéma : Un monde de machines est l’occasion de publier un extrait d’un texte sous presse, dans « Libérez les machines ». sd, Pierre Braun, Rennes 2.


Les créatures de quelques artistes plasticiens contemporains – des Coréens, le plus souvent- sont à rapporter aux utopies matérialistes du XVIIIe siècle, dont elles seraient l’aboutissement.
Le dispositif électronique qui les anime se substitue aux mécaniques horlogères des premiers automates. Les uns et les autres sont autant de jouets à taille humaine destinés au divertissement des adultes ; ce fut en leur temps, le joueur de flûte ou de tambourin, inventés par Jacques Vaucanson, dont les androïdes étaient destinés à l’exhibition publique[1]. Cet ingénieur dut abandonner son projet d’ « homme artificiel » destiné aux cours d’anatomie pour des tâches plus industrielles et rentables.
Le terme « androïde » apparaît donc à cette époque, dans le champ de recherches scientifiques pour désigner des automates anthropomorphes  pouvus d’une certaine autonomie.
L’Homme-Machine  de Julien Offroy de La Mettrie[2], publié en 1748, exposait les bases d’un matérialisme mécaniste et les recherches scientifiques de l’auteur furent en son temps combattues par les philosophes des Lumières et les moralistes.
Toute recherche excluant la création naturelle et le dessein divin fut donc condamnée, y compris au XVIIIe siècle dans les milieux les plus ouverts aux avancées des sciences.

Le Casanova  de Fellini (1976)[3] illustre bien la préférence du débauché pour la poupée mécanique.  Dans « Les contes d’Hoffmann »[4], le héros tombe amoureux de la danseuse artificielle Olympia, en dépit de ses pannes et de son démembrement final. Le cinéphile peut voir une merveilleuse séquence du film Les chaussons rouges de Michael Powell (1948) qui reprend le motif.
Le diable est là-dessous assurément qui a subtilisé ou acheté à l’homme son âme. Le mythe   de Faust continue de hanter les esprits les plus éclairés.

La perfection dans l’illusion atteinte par l’image est suspectée depuis toujours de tromper son regardeur et l’évolution de la culture technologique ne peut qu’en accroître les effets.
Les premiers automates étaient des images en 3D aussi réalistes que possible et à ce titre, et parce qu’artificielles, en contradiction avec les lois de la nature. Les images, qu’elles soient description dans le récit, photographie, enregistrement analogique ou création numérique demeurent des artifices. Mais aussi des objets de désir ; ainsi se créent des mythologies, qui remontent à l’Antiquité avec le mythe de Pygmalion, ce sculpteur qui donna vie à la figure féminine idéale qu’il avait modelée ; une sculpture de chair. Amour ou perversion sadique, les Machines célibataires analysées par Michel Carrouges, [5] qui sont encore des automates, participent de cette histoire des fantasmes liés aux créatures de l’ère industrielle.
L’imaginaire fantasmatique de la création par un démiurge, descendant de Prométhée, trouve un support idéal dans les inventions techniques de l’image et sa magie.
Il est intéressant de remarquer que le principe des automates de Vaucanson, améliorés par l’invention de l’électricité, ont été appliqués aux spectacles des illusionnistes du XIXe comme Robert-Houdin, dont Georges Méliès s’est inspiré pour ses trucages[6].
Si la photographie a favorisé les courants spirites, le cinéma dès son origine a permis le développement du genre fantastique, dont les thèmes sont souvent empruntés à la littérature[7].
Ces deux formes d’art, au sens d’une pratique technique de représentation, ont en outre la particularité de provenir de recherches d’ingénieurs, d’être de nature industrielle et furent longtemps exclues des catégories artistiques académiques validées par le génie et l’inspiration de l’artiste. La tension entre ces deux conceptions permettait donc aux réalisateurs  de travailler sur la création artificielle, et l’imaginaire s’attache encore à l’aliénation du sujet à l’objet de son  désir ou pire encore à l’indistinction entre sujet et machine au risque de leur perte commune. L’anthropomorphisme des machines en renforce le principe, mais toute image sur écran, quel qu’en soit la dimension peut produire les mêmes effets.

Science-Fiction

Le thème du double (im)parfait qui fut à l’origine des premiers films d’horreur -les multiples adaptations de Dr Jekyll et Mr Hyde- suppose encore une lutte du bien et du mal. Toute créature non « naturelle » est d’emblée malfaisante, si l’on pense à Frankenstein et ses avatars, bien qu’elle puisse éprouver des sentiments. La confusion des noms du savant et du monstre corrobore aussi l’échange entre créateur et créature.
Le professeur Frankenstein assemble des fragments humains, qui animés deviennent un Golem (autre mythe de création non humaine à partir de la glaise, film de P. Weneger, 1920). Le rêve d’une création à partir d’atomes ou de gênes, le bébé-éprouvette, fut illustré dès 1891 dans  « L’invention du Dr Varlot»[8].
Tout robot[9], au départ d’aspect mécanique et cuirassé est le produit (ou la métaphore) d’une idéologie de destruction programmée par des puissances maléfiques et totalitaires. Metropolis, Fritz Lang,1926  en est le paradigme:
Le carrossage de l’héroïne Maria réapparaît dans tous les robots, mécanisés et titubants, pendant des décennies ; puis susceptibles de réactivation, autoréparation en intégrant une mémoire d’ordinateur, leur spécificité lexicale s’adapte. Les  « droïdes » D2-R2, une poubelle à roulettes et son coéquipier Z6PO, relooké doré, citations burlesques robotisées de Laurel et Hardy, ne sont que deux exemples de la multiplicité des créatures artificielles de la saga Star Wars, G Lucas, 1977/2004.

Les prothèses donnent lieu à un montage mixte dans la série Robocop, Verhoeven, 1987, le flic bricolé comme une machine de guerre. Terminator, Cameron, 1984, est un « cyborg », constitué d’organes et de terminaux d’ordinateurs.
Le cinéma des années quatre-vingt développe ce filon, sur les différentes entrées réactualisées par les innovations technologiques. On ne bricole plus, on clone, grâce aux effets spéciaux et au montage équivalents aux expériences génétiques et la question centrale est le devenir humain des machines.
Hardware, R Stanley, GB/US, 1990, dans un contexte new-yorkais post nucléaire, met une jeune femme sculpteur en proie aux pulsions destructrices de la "chose", une tête de droïde apte à se reconstituer,  qu'elle tente de combattre avec ses outils. Laquelle créature était un plan de limitation des naissances.  
Blade Runner, Ridley Scott, 1982, posait, dans un contexte post-apocalyptique somptueux, cette question de l’accès à la conscience et aux sentiments humains des « réplicants », les adversaires clones supposés indétectables, à durée programmée, mais que l’adaptation au milieu rendait sensibles à la question métaphysique de la finitude et de la mort. 

Plus pervers, le réalisateur canadien  David Cronenberg est sans doute le meilleur producteur de fantasmes corollés à l’actualité des avancées de la science.  Transportations et autres mutations génétiques :  depuis Le festin nu, 1991, d’après William Burroughs qui traite de l’écriture romanesque comme d’un acte pulsionnel et meurtrier, dans l’affrontement avec une machine à écrire littéralement bestiale et éructante, déjà en proie à des mutations organiques, jusqu’à  eXistenZ, 1999, les machines sont devenues organes et les joueurs les victimes de leur concepteur diabolique  autant que de leur désir de s’unir dans l’imaginaire plutôt que dans une sexualité qu’ils refusent. Pas toujours, car le dysfonctionnement du système vaut pour une morale.

Christian Metz écrivait en 1977[10] : «  En tant qu’il propose des schèmes de comportement et des prototypes libidinaux, des attitudes corporelles, des genres d’habillement, des modèles de désinvolture et de séduction, en tant qu’instance initiatrice pour une adolescence permanente, le film a pris le relais du roman historique ».  Le cinéma, comme la vidéo puis l’image numérique seraient ainsi « une vaste machinerie socio-psychique », favorisée par le dispositif même de la projection aux deux sens, spatial et psychanalytique, du terme.

Cinéma/Arts Plastiques

Paul Ardenne, historien et critique, dénonce toute incursion des (vrais) artistes dans le cinéma, la fiction filmique n’apportant  selon lui rien d’intéressant[11]  pour les arts plastiques. Ce qu’on peut contester, car d’une part, certains films de peintres sont bons (je pense aux films de  Schnabel[12]), nombre de cinéastes furent peintres auparavant et d’autre part, l’écart entre les supports de fabrication d’images ou d’objets s’est résorbé et la différence entre art et technologie n’a plus de sens  dès lors que l’artiste peut travailler avec n’importe quel medium, s’il n’en n’est pas esclave mais l’exploite autour d’un concept.
P. Ardenne dénonçait autant les biopics que la science-fiction de Johnny Mnemonic de Robert Longo,1995, sans doute trop « Matrix » où l’accroissement des potentialités de la mémoire du héros, Keanu Reeves, avec manipulation d’images en 3/4D explorait les effets du montage multimédia. 
Minority report, Steven Spielberg, 2002, travaille sur l’échange entre le héros et ses images en se projetant sur l’écran, une palette graphique géante qu’il manipule à distance comme un chef d’orchestre. Le narcissisme du héros, et la fonction de surveillance policière l’amène à se traquer lui-même, avec un temps d’avance, pour échapper au destin immédiat que le dispositif lui révèle. Plastiquement  superbes, les séquences « d’atelier de création » sont équivalentes aux meilleures scènes de tout film sur l’art pictural traditionnel.[13]   
À ce film  de techno-science et de dénonciation d’un monde « post Big Brother » on peut opposer la poétique de l’étonnant projet développé dans :
Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze,1999, où un manipulateur de marionnettes traditionnelles à fil devient le passeur de cerveaux et de corps, par un procédé totalement improbable et anti-technologique. Les  candidats au transfert peuvent ainsi squatter le cerveau de John Malkovich pendant une durée restreinte, partager ses pensées et ses actes - sexuels aussi évidemment. L’acteur lui-même devient le jouet du marionnettiste et danse -médiocrement- les mêmes chorégraphies.
Dans une posture anti-technologique récente, mais critique du système de l’art comme symptôme de la puissance multinationale des finances, le sujet humain manipulé par l’artiste névrosé puis transformé en machine ou du moins en chose dépourvue de conscience fait l’objet de récits littéraires[14] :
Clara et la pénombre, de l’écrivain espagnol Juan Carlos Somoza, 2003, ou Lorsque j’étais une oeuvre d’art, roman de Eric-Emmanuel Schmitt, 2004.
Un jeune suicidaire, jaloux de ses deux frères play-boys célèbres, se livre à un artiste démiurge  Zeus Peter Lama (!)  qui le transforme chirurgicalement en sculpture ; un jour, l’amour aidant, le corps rejette les greffes, les prothèses tombent et l’on devine que le modèle que copiait cet artefact ressemblait étrangement à l’abominable Forme unique de la continuité dans l’espace, 1913, de Boccioni.
La question éthique est semblable : que vaut l’oeuvre dans les vols et tractations des musées quand le nouvel homme-machine a succombé à son image dans son osmose totale à l’objet.


À la main et au corps

De même qu’a chaque période de l’histoire de l’art du XXe , l’artiste témoigne de la situation politique et sociale, les cinéastes des années 20 aussi bien que les  Dadaïstes, cette préoccupation éthique de la liberté nourrit toutes les oeuvres plasticiennes des artistes qui se mettent en scène dans des performances des années 70 et 80, aussi rigoureuses ou violentes soient-elles, de Gina Pane à Bruce Nauman, en passant par les actionnistes. L’unité de la personne est garantie quel que soit le dispositif vidéographique qui les enregistre.
Ainsi l’artiste plasticien peut-il détourner l’usage sous-jacent ou apparent du dispositif technologique ou adopter une posture de citation pour reconstruire des effets antérieurs aux médias qui lui sont contemporains :
Tel est l’enjeu des oeuvres de William Kentridge, artiste d’Afrique du Sud, engagé contre l’apartheid, entre autres, et dans de nombreux combats politiques. Les techniques d’enregistrement  cinématographiques et vidéographiques préalables sont éludés pour ne faire valoir que le travail graphique de l’auteur en personne, ses ellipses, ses effacements, ses dé-montages, à la manière des premiers trucages de Méliès.
Une pièce consacrée à ce cinéaste « Journey to the Moon », 2003, peut être considérée comme un remake et un hommage. S’y trouvent aussi des références aux constructivistes russes, qui placent Kentridge dans une pratique activiste, nostalgique sans doute.

De l’usage des technologies et du pouvoir qu’elles confèrent découle une nouvelle responsabilité, que les scientifiques  nommeront casuistique ou bioéthique selon leur champ de recherches.
L’artiste à son échelle et dans le médium qu’il utilise en est le vecteur, et s’il s’agit de « libérer les machines », c’est aussi de la machine qu’il convient de se libérer.

Une dernière référence cinématographique, pour la morale de l’histoire : Le joueur d’Echecs, de Jean Dréville, 1938, met en scène un ingénieur fabricant d’automates, à la cour de Catherine de Russie, fin XVIIIè. S’il réussit toutes les fonctions mécaniques, robots ouvriers et armée de soldats, il doit cacher un vrai joueur d’échecs dans la carcasse de l’automate, faute de réussir à simuler les fonctions cérébrales. Le joueur est un révolutionnaire recherché par la police.
Afin de le faire échapper, lorsque l’impératrice comprend le stratagème, le créateur prend sa place et c’est lui qui se fait fusiller dans l’automate…
 AK, Fev 2010.





















[1]  Vaucanson (1709-1782) dut rompre ses voeux et retourner à l’état laïque pour mener ses projets. Il est cité dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert aux articles « androïde » et « automate » et reste connu par ses fonctions d’ingénieur pour le développement des industries textiles et l’invention du métier à tisser automatisé qui porte son nom. Dans les mêmes années, l’anatomiste Honoré Fragonard, cousin du peintre, fut le premier à exposer des cadavres naturalisés dont un Cavalier sur son cheval, à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, dont il fut évidemment renvoyé pour les mêmes motifs  moraux. Un film de fiction de Ph. Le Guay, Les deux Fragonard,1989, restitue le conflit et le contexte de ces recherches.
[2] Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751) condamné pour l’ouvrage Histoire naturelle de l’âme , publie l’ Homme-Machine en exil aux Pays-Bas, puis se réfugie à Berlin chez Frédéric II de Prusse où il publie Discours sur le bonheur , Système d’Epicure et l’Art de jouir.
[3] Giacomo Casanova (1725-1798) aventurier libertin, espion, fut contemporain de toutes ces recherches ; il meurt réfugié en Bohème où il rédigea ses mémoires. La vision onirique de Fellini intègre ainsi un automate qui compense l’impuissance du héros vieillissant.
[4] L’opéra d’Offenbach,1881, adapte les récits fantastiques de E.T.A  Hoffmann (1776-1822), écrivain et musicien allemand du courant romantique.
[5] Les Machines célibataires, Musée des Arts décoratifs, Paris, 1976. Le terme est emprunté à Marcel Duchamp et le catalogue recense les réalisations mécaniques d’entre les deux guerres se référant aux textes majeurs de la littérature : Locus Solus, de Raymond Roussel, 1914, est le meilleur exemple de description des dispositifs inventés par le savant Martial Canterel pour son parc d’attractions.
[6] L’exposition  Lanterne magique et film peint, actuellement à la Cinémathèque Française, présente les dispositifs d’une préhistoire du cinéma. Les thèmes diaboliques sont dominants.
[7] Les romans noirs ou « gothiques » en raison de leur décor, naissent à contre-courant du positivisme, et comme alternative à la pensée des Lumières : le roman Frankenstein or the Modern Prometheus de Mary Shelley, 1818, s’attache plus à la volonté scientifique du créateur (un nouveau Prométhée) qu’aux dérives terrifiantes de ses adaptations.
[8] Reproduction in, Les Machines célibataires, Musée des arts décoratifs, 1976, p 125.
[9] Le terme R.U.R Rossum’s Universal Robots, adopté pour tout être artificiel répondant aux ordres du maître, provient d’une pièce de théâtre dans les années 20, contemporain donc des premiers films et des essais de remplacement du travailleur par une machine.
[10] Le signifiant imaginaire, Paris, UG, 1977, p, 134.
[11] L’art contemporain, Paris, ed du Regard, 1997, p 289
[12]  Basquiat,1996, Avant la nuit, 2000 ; Le scaphandre et le papillon, 2007.
[13] Se référer à Emmanuelle André : « Pour mieux voir, filmer la main », in Filmer l’acte de création, Actes du colloque, PUR, 2009. Dans le même ouvrage, Anne Kerdraon : « L’oeuvre en procès dans le film de fiction ».
[14] Dans le genre film d’horreur, les innombrables productions basées sur les musées de cire complètent les récits des perversions et transferts de l’artiste à l’oeuvre. La céroplastie, qui trouve son origine dans les rites funèbres dès l’Antiquité, se développe comme objet de monstration scientifique et anatomique au XVIIIe siècle.


[i][i][i]