mercredi 2 mai 2012

STREET ART, et cinéma de fiction


De Basquiat à Banski.


Le graffiti , le tag et le graf ,  très en vue dans les galeries ce printemps, institutionnalisent des pratiques « sauvages » qui marquèrent les territoires des bandes de jeunes ;  les murs des ghettos,  des usines abandonnées, les wagons du métro. Leur prolifération dans les années 70 puis 80, avec l’apparition de noms connus et individualisés par le style, amène une récupération par le milieu de l’art « officiel ». Dès 1983, une grande exposition à New York  rassemble plusieurs noms, et entraîne leur introduction sur le marché.  Sur la côte ouest, plus latino, la situation est identique. Le film Colors de Dennis Hopper en témoigne.
Les premiers muraux étaient dédiés aux héros de la contestation politique et les "martyrs" connus donc le réalisme prédomine sur le décoratif.




To live and die in L.A
 Quand les peintres  contemporains, dont les pratiques mixtes issues du pop, mais aussi du nouvel expressionnisme privilégient la « bad painting », les jeunes graffeurs paradoxalement mettent en place des images plus « clean » :  on peut apprécier la différence dans deux séquences du film « To live and Die in LA », un thriller de W. Friedkin, 1985, où un travelling devant un mural précède la visite de l’atelier de Masters ; les toiles sont de l’artiste Rainer Fetting.

JM Basquiat in Downtown 81
Une attention au dessin, qu’il soit l’extension de la signature, ou la reprise d’une imagerie BD, suppose un croquis, ou un pochoir soigneusement détouré.
Le graffiti spontané ( dont l’histoire est longue, de l’antiquité à nos jours) reste linéaire. Pour les graffs polychromes, les contours, tracés à la bombe, précèdent la mise en couleur par plages uniformes centrifuges, le brouillage provenant des interférences et recouvrement dynamiques. Un système commun d’où ressort le nom de l’auteur ou son symbole. Et qui peut varier selon l’urgence de l’action ou le choix de l’auteur.

Les muraux ont aussi une longue histoire, fresques intérieures, les formats monumentaux ont été privilégiés comme imagerie politique extérieure, par les muralistes Mexicains ; lesquels ont alors influencé les peintres américains des années 40 (voir Diego Rivera dans « Frida ») 
pour des commandes officielles. Ex : Stuart Davis, 1938,  Paysage Swing, 217x440.


Stuart Davis, 1938
La gestualité picturale est partagée par les taggeurs et les danseurs de hip-hop, issus des milieux Black. L’expression de la liberté individuelle et de la dénonciation de la société se manifeste aussi dans le free jazz, culture musicale héritée des musiciens noirs. Dans ce contexte, le cinéma documentaire d’abord puis la fiction s’intéressent à ce métissage culturel.
Les formes filmiques opèrent sur un mode mixte. Dans l’ordre des réalisations :

Downtown 81 , Edo Bertoglio.  Le film sorti en 2000, diffusé en France en 2010 a été tourné en 80/81 avec comme acteur Basquiat,(1960-1988).
Une fiction documentaire « live » : le jeune Jean Michel erre dans NY , une toile à la main -la première- après avoir été viré de son appartement.


Le soliloque pendant la déambulation se traduit par des écritures murales à contenu politique : la dénonciation des classes dominantes, de l’économie et du racisme à l’encontre des minorités.


Downtown 81
Entre deux rencontres avec des graffeurs, et ce faisant, un programme de l’art des rues, JMB s’intègre dans le milieu underground plus musico que peinture. 



Et rencontre une hypothétique mécène : fin irréelle dans les poubelles, avec le rêve du baiser de la fée et une valise d’argent. Préfiguration du succès dans une ascension fulgurante, telle que l’évoquera le film de Julian Schnabel.


Deux documentaires  de l’anglais Dick Fontaine évoquent le rapport  du tag et du rap.
« Beat this, a hip-hop history », 1984 : scènes et interviews des figures du rap dans le Bronx, quartier le plus gravement déshérité de New York,.depuis les années 60, ainsi que des graffeurs, dans une perspective historique et politique.
 Une approche politique, que les différents groupes revendiquent : comment témoigner de la misère sociale et utiliser les pratiques artistiques pour donner du sens aux jeunes des ghettos et, ce faisant, canaliser la violence des gangs. Inserts de Muhammed Ali et référence aux émeutes des années des Black panthers, black muslims, toutes les rencontres avec les DJ les graffeurs et rappeurs s’accordent sur l’idée que l’art peut servir une lutte pacifique. Le plus étonnant est sans conteste le « Zoulou » Africa Bambaataa. Ils sont aussi conscients de la récupération. Pour l’anecdote, en 81, lors de visites de galeries dans des lofts de Downtown, j’assistai à une prestation de très jeunes danseurs de hip-hop, auxquels les spectateurs jetaient des dollars.

Le documentaire « Bombin », 1988 présentant les actions  « pédagogiques » du graffeur Brim, invité lors d’un festival hip-hop en Grande-Bretagne, à Liverpool pour travailler avec des enfants  dans les quartiers sinistrés. Exportation  en Europe d’une pratique artistique qui sortait de l’interdit, mais avait conservé sa valeur socio-politique. Ce dont témoigne pour Berlin, le mur filmé par Wim Wenders dans Les Ailes du Désir, 87 (avant la chute) et cette pratique s’est réactivée sur le mur construit entre Israël et la Palestine.
Syndrome de Stendhal


Autres muraux : décor symbolique dans Le syndrome de Stendhal, D.Argento , 1996, 
ou  objet politique dans Furia , 2001, adapté de la nouvelle Graffiti, de Julio Cortazar, Alexandre Aja met en scène une artiste protestataire (M. Cotillard) souterraine puis torturée dans une dictature où l’interdit de représentation fait loi. Très lourde allégorie.

Basquiat a été réalisé par le peintre J. Schnabel, originaire d’Allemagne, installé à NY et l’un des acteurs du nouvel expressionnisme des années 70. Soutenu financièrement par le milieu de l’art, les acteurs sont aussi des artistes. 

Autoportrait, 1982
Schnabel se met en scène sous le pseudo de Milo (G Oldman) dans son atelier , David Bowie incarnant Warhol. Le film intègre le rôle des galeristes ( Bischofberger, Zurich : D.Hopper) des femmes Mary Boone, des journalistes poisseux : un démontage critique du système à NY dans les années 80.


Le film reprend l’histoire là où l’a laissée Downtown, période SAMO ; Première expo chez Annina Nosei en 82 qui lui a procuré un atelier. L’art quitte la rue pour les galeries. Puis internationalisation des expositions. Collaboration avec Warhol, puis la mort par overdose. En quoi il coïncide avec le modèle obligatoire du destin tragique de l’artiste.





Dans la chronologie et par des séquences artistiques occupant la majeure partie du film, le réalisateur se fait « faux » documentariste. Basquiat dans sa pratique adapte l’autoportrait à la signature. Non sans une ironie critique dont fait les frais le journaliste.






La pratique transculturelle se marque par une habileté extrême à composer avec des motifs, des gestes, des mots à symbolique politique, mais dans une facture compatible avec les formes admises par le monde de l’art.



The Radiant Child, Tamra Davis, 2009, documentaire sorti en salle pour la rétrospective Basquiat au Musée d’art Moderne de la ville de Paris (2010) est un montage d’entretiens filmés de l’artiste et de personnalités  visant précisément à ranimer la figure « irradiante », selon les termes de la réalisatrice, de Basquiat et les raisons esthétiques de son succès, unique dans la catégorie.
Keith Haring


Une autre star du graffiti, militant des luttes sociales Keith Haring, meurt du Sida en 1990. ignoré des cinéastes de fiction, bien que les documentaires, les expositions, la cote et la figure du personnage s’y soient prêtés. 

Les  graffeurs/ versus galerie d’art contemporain de la figuration narrative continuent de prospérer, et dans un circuit parallèle, des supposés activistes, plus décoratifs qu’efficaces se font des noms. Internet est un nouveau moyen de médiatisation.
Une revue californienne, JUXTAPOZ, Art et culture-remix#02, pour la France, Ankama editions, 2010 fait l’état des artistes  du street art et de la BD, Le français Invader ( petites mosaïques) apparaît dans le film de Banski.
Dans cette revue, on peut lire une interview d’un certain Dave Kinsey (p.31) :

« La réalité, c’est que l’art urbain est devenu une marchandise pour les départements marketing. Une fois que les compagnies publicitaires s’approprient quelque chose, on peut considérer que c’est mort ».

Considération pessimiste mais lucide qu’on voit illustrée par Banski dans son film:

Banski
Faites le mur, 2010 : 

un film qui peut passer pour un canular.



Le réalisateur, bien connu des amateurs du Street Art , spécialité pochoir, ( et dont les actions s’adaptent au contexte): le mur en Israël comme tout autre mur américain et objets urbains)



construit un panorama des artistes de tous pays qui opèrent sur le terrain mais aussi sur le marché :
Interviews et suivi des actions de rue.




Mr Brainwash






Le personnage principal  très « douteux » :  Thierry Guetta, récupérateur (de fripes vintage d’abord) filmeur de toutes les interventions sauvages, puis assistant de Banski à LA, (séquence Guantanamo à Disney Land) s’invente une pratique et un nom « Mr Brainwash » (lavage de cerveau). 






Une folie des grandeurs dans l’appropriation de toutes les icônes de l’art américain, et de tous les genres d’images sans discrimination ou autre projet que l’accession au succès.









En dépit de préparatifs complètement anarchiques de l’exposition, en 2008, la médiatisation fonctionne, la foule se presse, le total des ventes est astronomique.



Une vision globalement apocalyptique de l’art ultra-contemporain, commentée par l'auteur du film :

Banski
Pour cependant conserver quelques aspects positifs d’un art politique, il convient de revenir sur l’appropriation de l’affichage mural par des artistes conceptuels : Jenny Holzer, la plus célèbre, (empruntée dans Catchfire, D. Hopper, 1988),
 le polonais Krzysztof Wodiczko :

Wodiczko: Martin Luther Kirchturm, 1987

ou encore une artiste russe, Svetlana Kopystianski : 



 « L’art est la poursuite de la politique par d’autres moyens... »