mercredi 25 mai 2011

BIOPICS .4. L'artiste au travail


Biopics 4  : L’artiste au travail 


On l’a vu dans les épisodes précédents, pour satisfaire à une  « histoire de », sauf rares exceptions, les films comportent un aspect documentaire : ils s’étayent sur la citation, l’emploi et la recréation des œuvres les plus célèbres.
Les images des tableaux, en séries anarchiques (Minnelli) ou en galeries thématiques (Goya de Saura) assurent le suivi chronologique de la vie de l’artiste.
 Les films illustrent les techniques artistiques compatibles ou calées sur les possibilités chromatiques du cinéma -Moulin Rouge de John Huston pour Lautrec et la lithographie. Ils informent de manière plus ou moins didactique sur le rôle du commanditaire, l’impact de la critique, le système marchand de chaque époque.
Les lieux historiques -de studio- constituent un cadrage socio-historique suffisant, ils sont souvent la reconstitution en 3D des représentations picturales ou photographiques de l’époque : le décor est déjà une peinture, la nature même a pu être repeinte (Minnelli puis Kurosawa).
Trois lieux principaux suffisent au genre : la galerie, musée et autre palais du mécène qui situe le milieu institutionnel (finances et compromissions) ; l’inévitable auberge, bistrot, bar, voire le bordel que fréquentent les artistes- le peintre au cinéma boit, par essence – l’absinthe est particulièrement picturale et dramatique chez mes « maudits »- et c’est aussi le lieu des débats esthétiques entre collègues ; enfin l’atelier du peintre.
Une même structure ternaire construit le rôle des protagonistes : L’artiste, le tiers -modèle, muse, amant ou tout objet de désir - et la toile « l’autre » et le miroir réunis.

L’atelier est un microcosme théâtral qui permet de condenser tous les concepts artistiques de la période et de mettre en scène la société, ses acteurs, ses moeurs et ses règlements de compte.


Artemisia : l'atelier d'Orazio Gentileschi

Peindre, c’est surtout œuvrer dans un champ, celui de la toile, afin de créer, construire ou représenter un espace à la fois pictural, stratifié et perspectif, déterminé par le cadre.
L’image de référence réciproquement contraint le cadre, le format et l’organisation du plan filmique qui la restituent. L’analyse de Pascal Bonitzer (Décadrages, peinture et cinéma, 1985) valide le rôle de la perspective ou de l’anamorphose dans le rapport entre peinture et cinéma, pour les films portant sur des artistes dont les œuvres sont construites en fonction des lois possibles de cette science et particulièrement dans les séquences d’atelier, lieu scénique et boîte d’espace homéomorphes, dont le mur avant est aboli. On le voit dans les Rembrandt, mais l’atelier de Bacon n’échappe pas à ce dispositif.
L’exemple le plus pertinent est démontré dans La Jeune fille à la Perle  reconstitution romanesque de l’œuvre éponyme de Vermeer. Dans le décor de la maison, reconstruit à l’identique, l’auteur restitue l’invention des tableaux, et dans une séquence joue à inclure une camera obscura qui produit l’image dans l’image, tout en dénonçant l’illusionnisme, l’artifice et en désignant la place du spectateur.



 La vraisemblance de la peinture est donc une feinte, l’atelier -anagramme de réalité- devient un « studio » producteur de trompe-l’œil.
Les cinéastes peuvent avoir été peintres ou artistes, le soin des scènes en découle. L’acteur quelquefois aussi rejoue l’énigme de l’acte créateur dans sa gestation, sa temporalité, sa poïétique.

Les œuvres constituent donc des fonctions dans le récit ; même indépendantes de la réalité historique, elles permettent d’élaborer les séquences-clé qui soutiennent le drame.

dispositifs

Dans la structure de « tableaux vivants », empruntés au corpus des œuvres, le peintre peut ne pas peindre, mais seulement poser, à l’image de ses autoportraits ; le cinéaste opère des mouvements de caméra qui économisent le passage à l’acte. Mais la performance est stratégique pour le récit.
L’artiste travaille, besogne, transpire, pense aussi avec ses mains et ses pieds, avec son corps – chorégraphie indispensable pour les peintres contemporains. 

Pollock


Les dispositifs à l’oeuvre, la distribution des tâches dans les séquences d’atelier ressortissent à quelques principes simples, et souvent combinés dans l’ordre progressif de la fabrication et de l’intrigue. Le cinéaste utilise en général des truchements standards, qui assurent l’illusion du procès pictural, depuis la préparation jusqu’à l’achèvement du tableau.

En amont de l’image, la palette : elle ne pose aucun problème légal ; générique et universelle, comme le sont pinceaux, brosses et couteaux, elle incarne le principe fondateur de toute création, l’inchoatif. En gros plan, la substance matérielle magnifiée occupe tout le champ : peinture informelle d’avant la peinture, elle constitue le plan-clé de chacun des films, le moment inaugural. La matière/chair, polychrome, est la métaphore de la création organique et de la transmutation du pigment en or, deniers et autres valeurs.
Les artistes des XVIe et XVIIe développent un discours alchimique sur le broyage des pigments  -malaxés en pots et godets ils ne sont pas exempts de métaphores religieuses ou érotiques. Le médium à l’œuf assure aussi le versant culinaire de la peinture, de consommation immédiate sur le divan.

Le support : vierge est la toile qu’il faut tendre ; opération physique ou purement cinématographique -un plan d’écran vide pour Pollock.  Il permet au cinéaste de mettre en scène l’angoisse bien connue de la page blanche : sur cette toile s’inscrit l’ombre portée du peintre, référence à la légende de Dibutade, citée par Pline comme mythe originel de l’image. Artemisia  use de même avec le rideau qui masque le modèle.
Le support peut être éventuellement préparé, comme son équivalent la paroi des fresques. Ce qui implique couches et surfaçage : passage d’un fond ocre rouge (Fragonard), noir et réitéré au générique de Caravaggio, ou bleu matiériste du générique de Pialat/Van Gogh .

Le dessin préparatoire et son transfert par le « poncif » à la Renaissance :  Michel-Ange et Artemisia nous apprennent tout sur les techniques de la fresque et la méthode permettant de compenser la distorsion perspective.
Les croquis sur nappe en papier -la bohème- ou les grands cartons, comme les carnets autographes de Bernard Dufour anticipent la peinture. 

La première trace s’inscrit dans la référence à Paul Valéry, l’incipit. Assez simple pour  l’acteur amateur, le dess(e)in et le geste instaurateur suffisent à évoquer « l’idée » de la peinture à venir.
La seule scène de Bacon au travail consiste en un cercle dessiné à l’aide d’un couvercle de poubelle qui opère comme bouclier et comme miroir évoquant la Méduse du Caravage. Citation aussi du O de Giotto, ce geste autographe provocateur fut, en son temps, cité par Vasari. Contrairement au style de ses peintures, Bacon le macule aussitôt d’une gerbure rouge, filmée en contre-champ sur vitre, référence cette fois au Mystère Picasso.


La main coupée, ou l’œuvre à deux mains. La solution cinématographique la plus courante est la substitution de la main de l’acteur par celle d’un artiste connu ou non : c’est le cas de Dufour dans la Belle Noiseuse, ou de Pialat peintre dans Van Gogh. L’attention se porte sur le détail de la facture et contraint le cinéaste à un cadrage à la fois en gros plan et en plongée. Le raccord souvent maladroit dénonce l’illusion de l’autographie. Un zoom arrière révèle le passage du geste à la figure.

L’ellipse ou l’éviction de la durée de réalisation, par son envers : le dos du tableau est seul visible avant présentation de l’œuvre terminée. Eclipse.

L’artiste-acteur peint, en temps réel  et en plan large. Cette solution assez rare exige un entraînement ou une double activité. Ainsi Ed Harris s’est soumis à cinq années de pratique pour exécuter de manière satisfaisante certaines séquences de Pollock. L’insert de la reprise exacte du documentaire de Namuth donne la mesure de la qualité de l’imitation. L’acteur non professionnel incarnant Munch était graphiste. Dennis Hopper, peintre lui-même, s’éclate littéralement dans une imitation du style de quelques néo-expressionnistes, dans un « nanar » invraisemblable (La trace de l’ange, W Cove, 1999. titre original Michelangel !) Les cas les plus fréquents présentent l’acteur qui repasse ou retouche sans trace et sans risque le faux en cours.

L’inachèvement et la répétition :  La Belle Noiseuse et son modèle balzacien, comme la plupart des films et nombre de témoignages d’artistes insistent sur une forme d’aporie dans l’aboutissement de l’œuvre. La contrainte de l’exposition permet seule d’en finir. Scorcese (New York Stories) exploite donc un « tube » très daté comme leitmotiv. Par insatisfaction, obsession ou impuissance, le peintre recommence, devient selon des termes contemporains un « serial painter ». Cézanne en fut, bien que peu cinégénique.

 Crises 

Au-delà de cet inventaire de pratiques, le film de fiction ajoute la trame  dramatique : l’œuvre en cours s’inscrit comme une métaphore de la crise psychique qui la fonde. Aucun biopic ne s’attache donc aux artistes modernes, abstraits ou conceptuels. L’insatisfaction vaut pour preuve d’une angoisse existentielle; la transgression des normes plastiques, qui engendre l’incompréhension du public, est concomitante de la transgression morale. Le drame intérieur, les malheurs de l’existence, le déchirement sont des pôles des expressionnismes, auxquels appartiennent la majorité des artistes faisant l’objet de films. La biographie la plus sérieuse étaye le stéréotype, y compris dans la forme documentaire-fiction de Peter Watkins: Edvard Munch, qui construit dialectiquement le pattern des raisons historiques, socio-politiques et religieuses qui conduisent à la figure de l’artiste névrosé.

La contemporanéité des films cités et des textes de Didier Anzieu ou de  Christian Metz démontre l’apport et la persistance de la psychanalyse dans l’interprétation de l’art pour, rétrospectivement et anachroniquement, le faire coïncider à ses concepts fondamentaux. 
New York Stories
La création se fonde sur le narcissisme, la projection –littérale au plan plastique- sur une thématique du double qui nécessite la présence de l’autre : le modèle, physiquement présent de préférence, et son résidu, l’objet fétichisé.
« Il y a une femme là-dessous », écrivait Balzac, tous les scénaristes -même américains, dans des fictions récentes- ont gardé l’image du pied.

Aucun des plans poïétiques n’est dénué de connotations sexuelles, de l’emprise du désir, de la pulsion. Le pinceau (du latin penisculum, petit pénis), agit voluptueusement sur la palette, la matière à  informer.
Un commentaire précis est donné par le Rembrandt de Matton qui « gicle un jus de lumière » et dans le cours de peinture à son fils, insiste sur l’opération charnelle de la peinture, qui naît entre fiente et sanies. Contrairement au principe de sublimation, le peintre au cinéma, ne couche pas son modèle uniquement sur la toile. 

Pas d’atelier sans chevalet, pas de peinture de paysage en plein air non plus. Le plus souvent filmé de dos, cachant l’acte et ne montrant que l’acteur.
Or, une mystique de la torture peut s’étayer dans le dispositif pictural : chevalet  pour l’écartèlement de la chair ouverte et lacérée de la matière, « l’incarnat »[i]. L’iconographie fut inaugurée par le mythe du satyre Marsyas, condamné pour outrage à être écorché vif ; son supplice rejoint le martyre des héros chrétiens.
Ce qui pour Henric relie le champ de la peinture au catholicisme est l’ensemble des principes de l’incarnation, du sacrifice, de la transsubstantiation : du vin au sang ; l’huile, comme onction sacralisante, de l’agenouillement, le confiteor peccavi ; pour, à terme, accéder à la rédemption ultime.
Le doublet horreur/extase, hérité du retable d’Issenheim de Grünewald, œuvre citée dans les interviews de Bacon et Hopper, hante le rapport du peintre à son sujet. Artemisia Gentileschi a plusieurs fois exécuté Holopherne. Frida Kahlo se figure avortée, lacérée et mutilée. Son sang, comme matière peinture encore.
L’inmontrable est le corps ouvert de La leçon d’anatomie de Rembrandt, celui du toro éventré et crucifié au générique sanglant du film de Saura, carcasse aux tripes de laquelle se forme le portrait de Goya.

Les variations de ces stéréotypes alimentent nombre de scénarios fictionnels et parodiques. Le récit s’en trouve généralement dépolitisé, et dé - historicisé, puisque l’enjeu de l’action se concentre sur le drame de l’artiste; le spectateur, qui attend des films l’illustration du conflit entre le désir et la loi, peut investir émotionnellement. Et l’artiste devient au cinéma, un héros négatif, pour nombre de films d’horreur.  (à suivre)

Reprise de l’article : AK : L’œuvre en procès, in Filmer l’acte de création, PUR, 2009


[i] Didier Anzieu : Le corps de l’œuvre, Gallimard, 1981 ; Le moi-peau, Dunod, 1985 ;
Georges Didi-Huberman : La peinture incarnée, Minuit, 1985 (suivi  de :Le chef d’œuvre inconnu de Balzac.
Christian Metz : Le signifiant imaginaire, Psychanalyse et cinéma, UGE 10-18, 1975

vendredi 6 mai 2011

LE CINEMA et L'HOMME MACHINE


LE CINÉMA ET L’HOMME MACHINE

La programmation jusqu’au 22 Mai au Forum des Images , à Paris, d’un cycle consacré au cinéma : Un monde de machines est l’occasion de publier un extrait d’un texte sous presse, dans « Libérez les machines ». sd, Pierre Braun, Rennes 2.


Les créatures de quelques artistes plasticiens contemporains – des Coréens, le plus souvent- sont à rapporter aux utopies matérialistes du XVIIIe siècle, dont elles seraient l’aboutissement.
Le dispositif électronique qui les anime se substitue aux mécaniques horlogères des premiers automates. Les uns et les autres sont autant de jouets à taille humaine destinés au divertissement des adultes ; ce fut en leur temps, le joueur de flûte ou de tambourin, inventés par Jacques Vaucanson, dont les androïdes étaient destinés à l’exhibition publique[1]. Cet ingénieur dut abandonner son projet d’ « homme artificiel » destiné aux cours d’anatomie pour des tâches plus industrielles et rentables.
Le terme « androïde » apparaît donc à cette époque, dans le champ de recherches scientifiques pour désigner des automates anthropomorphes  pouvus d’une certaine autonomie.
L’Homme-Machine  de Julien Offroy de La Mettrie[2], publié en 1748, exposait les bases d’un matérialisme mécaniste et les recherches scientifiques de l’auteur furent en son temps combattues par les philosophes des Lumières et les moralistes.
Toute recherche excluant la création naturelle et le dessein divin fut donc condamnée, y compris au XVIIIe siècle dans les milieux les plus ouverts aux avancées des sciences.

Le Casanova  de Fellini (1976)[3] illustre bien la préférence du débauché pour la poupée mécanique.  Dans « Les contes d’Hoffmann »[4], le héros tombe amoureux de la danseuse artificielle Olympia, en dépit de ses pannes et de son démembrement final. Le cinéphile peut voir une merveilleuse séquence du film Les chaussons rouges de Michael Powell (1948) qui reprend le motif.
Le diable est là-dessous assurément qui a subtilisé ou acheté à l’homme son âme. Le mythe   de Faust continue de hanter les esprits les plus éclairés.

La perfection dans l’illusion atteinte par l’image est suspectée depuis toujours de tromper son regardeur et l’évolution de la culture technologique ne peut qu’en accroître les effets.
Les premiers automates étaient des images en 3D aussi réalistes que possible et à ce titre, et parce qu’artificielles, en contradiction avec les lois de la nature. Les images, qu’elles soient description dans le récit, photographie, enregistrement analogique ou création numérique demeurent des artifices. Mais aussi des objets de désir ; ainsi se créent des mythologies, qui remontent à l’Antiquité avec le mythe de Pygmalion, ce sculpteur qui donna vie à la figure féminine idéale qu’il avait modelée ; une sculpture de chair. Amour ou perversion sadique, les Machines célibataires analysées par Michel Carrouges, [5] qui sont encore des automates, participent de cette histoire des fantasmes liés aux créatures de l’ère industrielle.
L’imaginaire fantasmatique de la création par un démiurge, descendant de Prométhée, trouve un support idéal dans les inventions techniques de l’image et sa magie.
Il est intéressant de remarquer que le principe des automates de Vaucanson, améliorés par l’invention de l’électricité, ont été appliqués aux spectacles des illusionnistes du XIXe comme Robert-Houdin, dont Georges Méliès s’est inspiré pour ses trucages[6].
Si la photographie a favorisé les courants spirites, le cinéma dès son origine a permis le développement du genre fantastique, dont les thèmes sont souvent empruntés à la littérature[7].
Ces deux formes d’art, au sens d’une pratique technique de représentation, ont en outre la particularité de provenir de recherches d’ingénieurs, d’être de nature industrielle et furent longtemps exclues des catégories artistiques académiques validées par le génie et l’inspiration de l’artiste. La tension entre ces deux conceptions permettait donc aux réalisateurs  de travailler sur la création artificielle, et l’imaginaire s’attache encore à l’aliénation du sujet à l’objet de son  désir ou pire encore à l’indistinction entre sujet et machine au risque de leur perte commune. L’anthropomorphisme des machines en renforce le principe, mais toute image sur écran, quel qu’en soit la dimension peut produire les mêmes effets.

Science-Fiction

Le thème du double (im)parfait qui fut à l’origine des premiers films d’horreur -les multiples adaptations de Dr Jekyll et Mr Hyde- suppose encore une lutte du bien et du mal. Toute créature non « naturelle » est d’emblée malfaisante, si l’on pense à Frankenstein et ses avatars, bien qu’elle puisse éprouver des sentiments. La confusion des noms du savant et du monstre corrobore aussi l’échange entre créateur et créature.
Le professeur Frankenstein assemble des fragments humains, qui animés deviennent un Golem (autre mythe de création non humaine à partir de la glaise, film de P. Weneger, 1920). Le rêve d’une création à partir d’atomes ou de gênes, le bébé-éprouvette, fut illustré dès 1891 dans  « L’invention du Dr Varlot»[8].
Tout robot[9], au départ d’aspect mécanique et cuirassé est le produit (ou la métaphore) d’une idéologie de destruction programmée par des puissances maléfiques et totalitaires. Metropolis, Fritz Lang,1926  en est le paradigme:
Le carrossage de l’héroïne Maria réapparaît dans tous les robots, mécanisés et titubants, pendant des décennies ; puis susceptibles de réactivation, autoréparation en intégrant une mémoire d’ordinateur, leur spécificité lexicale s’adapte. Les  « droïdes » D2-R2, une poubelle à roulettes et son coéquipier Z6PO, relooké doré, citations burlesques robotisées de Laurel et Hardy, ne sont que deux exemples de la multiplicité des créatures artificielles de la saga Star Wars, G Lucas, 1977/2004.

Les prothèses donnent lieu à un montage mixte dans la série Robocop, Verhoeven, 1987, le flic bricolé comme une machine de guerre. Terminator, Cameron, 1984, est un « cyborg », constitué d’organes et de terminaux d’ordinateurs.
Le cinéma des années quatre-vingt développe ce filon, sur les différentes entrées réactualisées par les innovations technologiques. On ne bricole plus, on clone, grâce aux effets spéciaux et au montage équivalents aux expériences génétiques et la question centrale est le devenir humain des machines.
Hardware, R Stanley, GB/US, 1990, dans un contexte new-yorkais post nucléaire, met une jeune femme sculpteur en proie aux pulsions destructrices de la "chose", une tête de droïde apte à se reconstituer,  qu'elle tente de combattre avec ses outils. Laquelle créature était un plan de limitation des naissances.  
Blade Runner, Ridley Scott, 1982, posait, dans un contexte post-apocalyptique somptueux, cette question de l’accès à la conscience et aux sentiments humains des « réplicants », les adversaires clones supposés indétectables, à durée programmée, mais que l’adaptation au milieu rendait sensibles à la question métaphysique de la finitude et de la mort. 

Plus pervers, le réalisateur canadien  David Cronenberg est sans doute le meilleur producteur de fantasmes corollés à l’actualité des avancées de la science.  Transportations et autres mutations génétiques :  depuis Le festin nu, 1991, d’après William Burroughs qui traite de l’écriture romanesque comme d’un acte pulsionnel et meurtrier, dans l’affrontement avec une machine à écrire littéralement bestiale et éructante, déjà en proie à des mutations organiques, jusqu’à  eXistenZ, 1999, les machines sont devenues organes et les joueurs les victimes de leur concepteur diabolique  autant que de leur désir de s’unir dans l’imaginaire plutôt que dans une sexualité qu’ils refusent. Pas toujours, car le dysfonctionnement du système vaut pour une morale.

Christian Metz écrivait en 1977[10] : «  En tant qu’il propose des schèmes de comportement et des prototypes libidinaux, des attitudes corporelles, des genres d’habillement, des modèles de désinvolture et de séduction, en tant qu’instance initiatrice pour une adolescence permanente, le film a pris le relais du roman historique ».  Le cinéma, comme la vidéo puis l’image numérique seraient ainsi « une vaste machinerie socio-psychique », favorisée par le dispositif même de la projection aux deux sens, spatial et psychanalytique, du terme.

Cinéma/Arts Plastiques

Paul Ardenne, historien et critique, dénonce toute incursion des (vrais) artistes dans le cinéma, la fiction filmique n’apportant  selon lui rien d’intéressant[11]  pour les arts plastiques. Ce qu’on peut contester, car d’une part, certains films de peintres sont bons (je pense aux films de  Schnabel[12]), nombre de cinéastes furent peintres auparavant et d’autre part, l’écart entre les supports de fabrication d’images ou d’objets s’est résorbé et la différence entre art et technologie n’a plus de sens  dès lors que l’artiste peut travailler avec n’importe quel medium, s’il n’en n’est pas esclave mais l’exploite autour d’un concept.
P. Ardenne dénonçait autant les biopics que la science-fiction de Johnny Mnemonic de Robert Longo,1995, sans doute trop « Matrix » où l’accroissement des potentialités de la mémoire du héros, Keanu Reeves, avec manipulation d’images en 3/4D explorait les effets du montage multimédia. 
Minority report, Steven Spielberg, 2002, travaille sur l’échange entre le héros et ses images en se projetant sur l’écran, une palette graphique géante qu’il manipule à distance comme un chef d’orchestre. Le narcissisme du héros, et la fonction de surveillance policière l’amène à se traquer lui-même, avec un temps d’avance, pour échapper au destin immédiat que le dispositif lui révèle. Plastiquement  superbes, les séquences « d’atelier de création » sont équivalentes aux meilleures scènes de tout film sur l’art pictural traditionnel.[13]   
À ce film  de techno-science et de dénonciation d’un monde « post Big Brother » on peut opposer la poétique de l’étonnant projet développé dans :
Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze,1999, où un manipulateur de marionnettes traditionnelles à fil devient le passeur de cerveaux et de corps, par un procédé totalement improbable et anti-technologique. Les  candidats au transfert peuvent ainsi squatter le cerveau de John Malkovich pendant une durée restreinte, partager ses pensées et ses actes - sexuels aussi évidemment. L’acteur lui-même devient le jouet du marionnettiste et danse -médiocrement- les mêmes chorégraphies.
Dans une posture anti-technologique récente, mais critique du système de l’art comme symptôme de la puissance multinationale des finances, le sujet humain manipulé par l’artiste névrosé puis transformé en machine ou du moins en chose dépourvue de conscience fait l’objet de récits littéraires[14] :
Clara et la pénombre, de l’écrivain espagnol Juan Carlos Somoza, 2003, ou Lorsque j’étais une oeuvre d’art, roman de Eric-Emmanuel Schmitt, 2004.
Un jeune suicidaire, jaloux de ses deux frères play-boys célèbres, se livre à un artiste démiurge  Zeus Peter Lama (!)  qui le transforme chirurgicalement en sculpture ; un jour, l’amour aidant, le corps rejette les greffes, les prothèses tombent et l’on devine que le modèle que copiait cet artefact ressemblait étrangement à l’abominable Forme unique de la continuité dans l’espace, 1913, de Boccioni.
La question éthique est semblable : que vaut l’oeuvre dans les vols et tractations des musées quand le nouvel homme-machine a succombé à son image dans son osmose totale à l’objet.


À la main et au corps

De même qu’a chaque période de l’histoire de l’art du XXe , l’artiste témoigne de la situation politique et sociale, les cinéastes des années 20 aussi bien que les  Dadaïstes, cette préoccupation éthique de la liberté nourrit toutes les oeuvres plasticiennes des artistes qui se mettent en scène dans des performances des années 70 et 80, aussi rigoureuses ou violentes soient-elles, de Gina Pane à Bruce Nauman, en passant par les actionnistes. L’unité de la personne est garantie quel que soit le dispositif vidéographique qui les enregistre.
Ainsi l’artiste plasticien peut-il détourner l’usage sous-jacent ou apparent du dispositif technologique ou adopter une posture de citation pour reconstruire des effets antérieurs aux médias qui lui sont contemporains :
Tel est l’enjeu des oeuvres de William Kentridge, artiste d’Afrique du Sud, engagé contre l’apartheid, entre autres, et dans de nombreux combats politiques. Les techniques d’enregistrement  cinématographiques et vidéographiques préalables sont éludés pour ne faire valoir que le travail graphique de l’auteur en personne, ses ellipses, ses effacements, ses dé-montages, à la manière des premiers trucages de Méliès.
Une pièce consacrée à ce cinéaste « Journey to the Moon », 2003, peut être considérée comme un remake et un hommage. S’y trouvent aussi des références aux constructivistes russes, qui placent Kentridge dans une pratique activiste, nostalgique sans doute.

De l’usage des technologies et du pouvoir qu’elles confèrent découle une nouvelle responsabilité, que les scientifiques  nommeront casuistique ou bioéthique selon leur champ de recherches.
L’artiste à son échelle et dans le médium qu’il utilise en est le vecteur, et s’il s’agit de « libérer les machines », c’est aussi de la machine qu’il convient de se libérer.

Une dernière référence cinématographique, pour la morale de l’histoire : Le joueur d’Echecs, de Jean Dréville, 1938, met en scène un ingénieur fabricant d’automates, à la cour de Catherine de Russie, fin XVIIIè. S’il réussit toutes les fonctions mécaniques, robots ouvriers et armée de soldats, il doit cacher un vrai joueur d’échecs dans la carcasse de l’automate, faute de réussir à simuler les fonctions cérébrales. Le joueur est un révolutionnaire recherché par la police.
Afin de le faire échapper, lorsque l’impératrice comprend le stratagème, le créateur prend sa place et c’est lui qui se fait fusiller dans l’automate…
 AK, Fev 2010.





















[1]  Vaucanson (1709-1782) dut rompre ses voeux et retourner à l’état laïque pour mener ses projets. Il est cité dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert aux articles « androïde » et « automate » et reste connu par ses fonctions d’ingénieur pour le développement des industries textiles et l’invention du métier à tisser automatisé qui porte son nom. Dans les mêmes années, l’anatomiste Honoré Fragonard, cousin du peintre, fut le premier à exposer des cadavres naturalisés dont un Cavalier sur son cheval, à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, dont il fut évidemment renvoyé pour les mêmes motifs  moraux. Un film de fiction de Ph. Le Guay, Les deux Fragonard,1989, restitue le conflit et le contexte de ces recherches.
[2] Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751) condamné pour l’ouvrage Histoire naturelle de l’âme , publie l’ Homme-Machine en exil aux Pays-Bas, puis se réfugie à Berlin chez Frédéric II de Prusse où il publie Discours sur le bonheur , Système d’Epicure et l’Art de jouir.
[3] Giacomo Casanova (1725-1798) aventurier libertin, espion, fut contemporain de toutes ces recherches ; il meurt réfugié en Bohème où il rédigea ses mémoires. La vision onirique de Fellini intègre ainsi un automate qui compense l’impuissance du héros vieillissant.
[4] L’opéra d’Offenbach,1881, adapte les récits fantastiques de E.T.A  Hoffmann (1776-1822), écrivain et musicien allemand du courant romantique.
[5] Les Machines célibataires, Musée des Arts décoratifs, Paris, 1976. Le terme est emprunté à Marcel Duchamp et le catalogue recense les réalisations mécaniques d’entre les deux guerres se référant aux textes majeurs de la littérature : Locus Solus, de Raymond Roussel, 1914, est le meilleur exemple de description des dispositifs inventés par le savant Martial Canterel pour son parc d’attractions.
[6] L’exposition  Lanterne magique et film peint, actuellement à la Cinémathèque Française, présente les dispositifs d’une préhistoire du cinéma. Les thèmes diaboliques sont dominants.
[7] Les romans noirs ou « gothiques » en raison de leur décor, naissent à contre-courant du positivisme, et comme alternative à la pensée des Lumières : le roman Frankenstein or the Modern Prometheus de Mary Shelley, 1818, s’attache plus à la volonté scientifique du créateur (un nouveau Prométhée) qu’aux dérives terrifiantes de ses adaptations.
[8] Reproduction in, Les Machines célibataires, Musée des arts décoratifs, 1976, p 125.
[9] Le terme R.U.R Rossum’s Universal Robots, adopté pour tout être artificiel répondant aux ordres du maître, provient d’une pièce de théâtre dans les années 20, contemporain donc des premiers films et des essais de remplacement du travailleur par une machine.
[10] Le signifiant imaginaire, Paris, UG, 1977, p, 134.
[11] L’art contemporain, Paris, ed du Regard, 1997, p 289
[12]  Basquiat,1996, Avant la nuit, 2000 ; Le scaphandre et le papillon, 2007.
[13] Se référer à Emmanuelle André : « Pour mieux voir, filmer la main », in Filmer l’acte de création, Actes du colloque, PUR, 2009. Dans le même ouvrage, Anne Kerdraon : « L’oeuvre en procès dans le film de fiction ».
[14] Dans le genre film d’horreur, les innombrables productions basées sur les musées de cire complètent les récits des perversions et transferts de l’artiste à l’oeuvre. La céroplastie, qui trouve son origine dans les rites funèbres dès l’Antiquité, se développe comme objet de monstration scientifique et anatomique au XVIIIe siècle.


[i][i][i]

mercredi 4 mai 2011

BIOPICS . 3. Le début du Vingtième.


Biopics 3 . Maudizartistes, 1900-1940


 La séance précédente zappait sur le début du XXe, faute d’avoir vu ou revu certains films.
Si l’on considère que l’année1900 marque le tournant du siècle, c’est plus symbolique que pertinent  pour l’histoire de l’art. Les artistes présents à l’Exposition Universelle choquèrent peut-être, mais appartenaient aux courants figuratifs ou académiques.
 L’exposition universelle au Grand Palais en 93, après l’inauguration de la tour Eiffel en  1889 marqua l’apogée des politiques industrielles. En Europe, les grands travaux rendent visibles les empires, Victorien, avec le Crystal Palace ; dans l’Autriche-Hongrie, les fastes masquent la situation de crise économique et la montée des mouvements socialistes. (voir le catalogue de l’exposition Vienne l’apocalypse joyeuse, Paris 1986)
L’invention du cinéma peut aussi proposer une date qui modifie les pratiques culturelles, concrétisant ainsi les innovations scientifiques et techniques nombreuses, appliquées aux arts, qui ont modifié les créations avant le XXe : théories de la couleur, place du mouvement, rôle de l’électricité (et de la peinture en tubes).



Dans les sciences médicales, les recherches en psychiatrie commencent dès les années 80 et la psychanalyse (Freud publie dès1895 et jusqu’en 39) modifie le rapport aux arts et à l’histoire de l’art.  
Les mouvements artistiques qui se fondent dans les années 90 marquent un retour au symbolisme, le développement du graphisme art nouveau, sont des «  revivals » ou des réactions, figuration et thèmes mythologiques : Préraphaélisme en Angleterre, Ver Sacrum  puis Sécession  à Vienne, en contradiction  avec la modernité des arts appliqués à l’industrie, dans tous les pays européens.
Les arts plastiques se transforment radicalement dans les années 1905/10 , avec l’expressionnisme, (terminologie très flexible qui aura des suites innombrables) puis les débuts d’une abstraction, issus des courants européens, fauves et autres mouvements d’Europe du nord. Ils opèrent sur les constituants  formels de la peinture, en lien avec des théories de l’art et une pédagogie dont Kupka fut l’un des novateurs.
La grande guerre serait une meilleure date pour la rupture entre deux siècles. 1913 est une année clé pour la coexistence des mouvements d’avant garde en Europe, l’année 1918, malencontreusement aussi dans la biographie des artistes de biopic en particulier :
Camille Claudel est internée en 1913, Klimt et Schiele meurent en 18, Gaudier-Breszska tombe au front en 15, Apolinaire défenseur des cubistes en 18, cependant que les Dadaïstes se regroupent en Suisse avant d’intégrer un cinéma expérimental dans leurs pratiques. ( lire F. Albéra: L'avant garde au cinéma, A.Colin, 2005 et voir le DVD: Dada Cinéma sorti au moment de l'exposition Dada au Centre Pompidou)

 L’artiste maudit est toujours meilleur dans un contexte tragique, le film l’est rarement qui donne surtout envie de retourner au musée.
Tous les films consacrés aux artistes de la première moitié du XXe ont été réalisés après 1970, dans des productions européennes relativement indépendantes.

   En biopic, les peintres européens sont évoqués dans quelques films récents : on a vu le cas  de Edvard Munch, P Watkins, 1974, dont le film ne traite vraiment que de la jeunesse, mais qui ouvre à une construction non conforme à la romance habituelle. Sa présence en Allemagne en particulier fut déterminante dans l’invention de l’expressionnisme.

En Autriche, un trio connu du public : Gustav Klimt, Egon Schiele, surtout par les posters, et Oskar Kokoschka, apparaissent dans « Alma, la fiancée du vent », B Beresford, Gb/All 2004.
Alma, déjà femme libre, épouse Gustav Mahler ; musicienne douée elle est logiquement niée par les conventions sociales. Elle épouse ensuite Walter Gropius. Ses liaisons supposées avec les artistes viennois -dont Kokoschka- font scandale. Joli portrait de femme, beaux costumes, beaux décors de salons, de concerts ; les déboires critiques du grand Mahler sont évoqués, quelques scènes d’atelier : un Klimt rustique dans sa bure. Une  illustration de la montée en nombre des femmes artistes au cinéma. Sa fille deviendra  sculpteur ( inconnue). De la modernité architecturale, on ne trouve rien. Hélas.

Sur Kokoschka, rien d’autre au cinéma mais un intéressant roman/journal fiction d’Hélène Frédérique : La poupée de Kokoschka  évoque l’élaboration de la poupée qu’il commanda à  Hermine Moss à l’effigie d’Alma, resitué dans le contexte de la misère quotidienne de1918.

Klimt : de Raul Ruiz, 2005 (coproduction Aut/Fr/All/GB) avec John Malkovich -lequel avait refusé que le film soit un biopic standard . De fait les visions en flash back dans le délire de l’agonie et les confusions oniriques de personnages féminins, Mina, la vraie et la fausse Léa, Wally et les autres brouillent toute lecture chronologique. L’introduction de Méliès expliquant  les trucages de son petit film en sont une clé de lecture.  Dédoublement des portraits en pied, miroirs et psychés, obsessions et fantasmes, autant de symptômes d’une décadence joyeuse et surtout désabusée.
Les modèles féminins dénudés, ses nombreux enfants, la syphilis et l’hôpital, alternent avec le débat esthétique sur le beau et le décoratif, avec comme démonstration la tarte à la crème. Superbes  images et décors, très mondains. Le fonctionnaire occupe un rôle très ambigu de passeur et de commentateur. Un Messerschmidt, citation ironique. Les flips books de photos et dessins actualisent les pratiques. La musique mahlerienne, revue « contemporain », colle au montage.
 L’apparition de Schiele (Nicolaï Kinski) au chevet du mourant en fait un « autoportrait à la main aux longs doigts sur le cœur » ambulant. Un bon croquis à quatre mains. La reconstitution de l’exposition au Grand Palais en 1900 puis à Vienne en1902 avec les allégories (disparues) des grands thèmes : La médecine et La philosophie apportent une connaissance floue sur des œuvres méconnues, et les feuilles d’or volent dans l’atelier.  Une visite au Musée du Belvédère par anticipation. Ce film exigeant, hyper esthétisant, saturé de références, formellement  complexe nécessite plusieurs visions au risque de sombrer dans le vertige des surimpressions, des raccords de scènes par miroirs et plans d’eau et prises de vues tournoyantes…H.Vesely est crédité au générique comme auteur de l’idée, un spécialiste.


Enfer et passion, Egon Schiele ,Herbert.Vesely (Fr/Aut) 1980, acteurs français connus.
En démarrant sur le procès et l’emprisonnement de Schiele en1912 pour atteinte à la pudeur et détournement de mineure, le cinéaste insiste sur la dimension scandaleuse de l’artiste (le titre en allemand, « Excès et punition » sert de morale) ; c’est en revanche le prétexte à images érotiques auxquelles se prêtent les deux actrices, Jane Birkin est excellente dans le rôle de Wally . Les dessins et peintures  ponctuent la chronologie ( reconstitution de la cellule à partir des croquis, la chambre de Van Gogh revisitée n’échappe pas à la citation) mais sans les scènes d’atelier usuelles. Le peintre reste d’une froideur étonnante d’autant que la blondeur et les yeux bleus de Matthieu Carrière n’évoquent en rien les tortures intérieures ou la masturbation figurée dans les œuvres les plus connues du public. En revanche une séquence montre La frise Beethoven de Klimt. (la restauration de l’œuvre date de la période du tournage). Sa mort et celle de sa femme en 1918 (de la grippe) l’inscrivent dans la grande tradition du mythe.












La frise Beethoven

En Grande Bretagne, deux artistes hors normes et moins célèbres :
Savage  Messiah1972, GB, de Ken Russell, grand spécialiste des films consacrés à des musiciens (classiques : Tchaïkovski, Mahler, Liszt ou rock: Tommy) ou des écrivains : Gothic  la nuit fantastique de la rencontre entre les poètes Byron et Shelley , nuit où sa femme Mary Shelley  inventa le mythe de Frankenstein.

Le Messie sauvage évoque la courte carrière du sculpteur Henri Gaudier-Brzeska : (1891-1915) Il quitte la France pour Londres en 1911. Marqué par le « primitivisme » de Gauguin, l’influence du sculpteur Epstein et de Ezra Pound, l’engagent dans la recherche d’une synthèse de la forme. Sa liaison (platonique?) avec Sophie B dont il adopte le nom, assure la romance. La fréquentation du Mouvement Vortex  (un futurisme britannique) offre quelques scènes extraordinaires teintées de l’Op Art et de Pop anglais contemporains de la réalisation du film. La bouche géante d’une toile profère un discours révolutionnaire. Dans la distribution, on ne reconnaît que l’étonnante Helen Mirren , en suffragette qui fend la toile avant de déambuler nue lors de la commande d’une statue équestre de son aristocrate de père. La séquence la plus délirante (en temps supposé réel d’une nuit) consiste dans l’exécution d’une sculpture de pierre, dans une stèle volée dans un cimetière, à la suite du pari avec le galeriste. La forme synthétique est plus proche d’un Modigliani 1912, que des œuvres connues de l’artiste. Un temps de travail dont Brancusi aurait été jaloux. Bas-fonds et misère londoniens, préparatifs de guerre, un contexte qui suffit à inscrire l’artiste au palmarès : une biographie de R. Secrétain :  Gaudier-Brzeska, un sculpteur maudit, 1979.

Femmes artistes

En Grande-Bretagne, une « inconnue » :
Carrington, de Christopher Hampton, GB, 1994. Emma Thompson dans le rôle de Dora C. Cette artiste (1893-1932) amie de Lytton Strachey, écrivain « sulfureux » militant homosexuel dans un mouvement littéraire proche du groupe auquel  appartenaient  Oscar Wilde -dont Le portrait de Dorian Gray demeure le paradigme de la peinture (au cinéma) et pour le féminisme, Virginia Woolf. Ainsi Dora exigea de ne conserver que son nom de famille : Carrington.
C. Hampton fut assistant de Derek Jarman sur Caravaggio, mais la réalisation est aussi conventionnelle que les toiles de Dora -paysages et portraits- qui se suicida (au fusil de chasse) après la mort de Lytton, en dépit de ses autres amours plus normatives.
Une femme, cependant, qui inspira d’autres fictions mettant en scène d’autres femmes non conformes. Love, de Ken Russell, 1970, d’après D.H Lawrence, met en scène une femme libre, sculpteur amateur, dans la même période. Isadora Duncan y est citée.

Loin d’un féminisme militant, le dernier biopic en date restitue la vie de Séraphine de Senlis., Martin Provost, Fr, 2008.
Subtil portrait  d’une artiste qui s’ignore, bonne chez les soeurs et les bourgeois, totalement autodidacte et quelque peu mystique. Reconnue très tardivement grâce à son intégration par Dubuffet dans  la collection de l’art brut, après sa découverte en 14, retrouvée en 27 par Wilhelm Uhde, collectionneur et  galeriste d’un  « primitivisme moderne » (le Douanier Rousseau entre autres).
La sortie du film a coïncidé avec des expositions (Musée Maillol) et publications. L’interprétation de Yolande Moreau et de son découvreur participent  d’une sorte d’alchimie entre la vie et l’œuvre.

Quelques séquences du collectage et de l’utilisation de matières recueillies dans la nature culminent dans une présentation des peintures en champ/contrechamp aux voisines.
Dépassée par ses succès et délires, Séraphine  est internée en 37 et meurt en 43 ( de faim) dans un hospice, la même année que Camille Claudel.
Un film a été consacré à AloÏse Corbaz (1886-1964) par Liliane de Kermadec , Fr, 1975.   avec Isabelle Huppert et Delphine Seyrig. Une autre artiste de l’art brut de la collection Dubuffet. Elle passa toute sa vie en institution psychiatrique.  (Introuvable)

Autant de destins de femmes qui contribuent à l’interprétation de l’art comme manifestation de la névrose et de l’hystérie, en leur temps.  (seulement?).  à suivre…