mardi 27 novembre 2012

PIROSMANI 2 : ICÔNES


Pirosmani : Une série d'images extraites du film de Chenguelaia, 1969, en complément du texte précédent. les oeuvres mises en scène, et leur origine picturale.



Partir...
Pirosmani liquide son commerce (1905)
Pirosmani et le Prince
Pirosmani et le rêve de la Reine Thamar 
La femme au bock, 1909
Rencontre avec la "Femme au bock"
Marguerite, 1909
La chanteuse  française Marguerite
Fasciné par Marguerite
Pirosmani en tenue traditionnelle pour son mariage...


 Le mariage raté : scène traditionnelle; la fiancée.





Séquences des commandes



Le peintre ( et l'acteur) à l'oeuvre.
Les commandes dans les auberges
Pirosmani : Pique nique familial , 1907 (film)
La réception à la Société des Artistes, 1916

Chenguelaia: le jugement négatif 
Sans doute après 1917, la peinture de Pirosmani est descréditée, y compris par les bistrotiers.


Pirosmani chez Paradjanov


Pirosmani: Bamboche de trois princes, repris dans "La Forteresse de Souram",  Paradjanov,1984
Paradjanov : Marguerite
Paradjanov: Le bouquet de Marguerite
Paradjanov: "Vers l'immortalité".
Paradjanov : montage animé des toiles de Pirosmani.
En 1988, Paradjanov réalise "Arabesques sur les thèmes de Pirosmani".






PIROSMANI: de l'oeuvre peint au film.

Pirosmani : avis au lecteur : la machine refusant d'insérer les images, elles seront dans un lot à part, restera à trouver le lien... bon courage.



La laiterie (film)


Le Dentu et Zdanevitch devant La Girafe 
Pirosmani par Kokidzé en 1916

Georgui Chenguelaia
, cinéaste georgien  consacra en 1969 un film à la vie et l’œuvre de  Pirosmanashvili, (1862-1918) peintre georgien, 
plus connu en France en particulier au XXè, mais ignoré de son vivant.

Pirosmani devant une enseigne. (film)





Une exposition à Nantes en 1999 permet de mettre en rapport les peintures et le récit de la vie qu’en fait le cinéaste.
Le peintre Georgien  Niko Pirosmanashvili, autodidacte, vivant à Tbilissi, avait été découvert par le peintre russe Le Dentu, d’origine française et les deux frères Zdanevitch : le peintre Kirill, et le poète Illi.
Plus connu sous le nom de Iliazd, le poète s’installa en France en 1921, où il publia des recueils et des critiques d’art, et fit connaître l’œuvre de Pirosmani à Picasso. Des expositions lui ont été consacrées après 1929 en Russie.

Pirosmani : paysage (vue du film)
Pirosmani peignait des scènes rurales, des portraits, et vivait des peintures et enseignes qu’il réalisait pour les auberges, contre un repas ou un verre d’alcool. Le caractère naïf et primitif de peintures –certains l’avaient comparé au Douanier Rousseau-  avait donc frappé les frères Zdanevitch qui appartenaient au groupe des artistes russes qui revendiquaient un art authentiquement populaire et fondèrent plusieurs mouvements des Avant Gardes : Le « néo primitivisme » dans les années 1905, auquel participaient Larionov, Gontcharova, Bourliouk et Malevitch, puis  le « cubo-futurisme », après des séjours à Paris.
Larionov, Vénus, 1912


Pour comparaison, deux exemples de la période 1909-1911.


Pirosmani: Beauté d'Ortachala, 1905







Gontcharova: Le retour des champs, 1908



La peinture de Pirosmani fut ainsi reconnue et rattachée au Primitivisme, et quatre toiles furent montrées en 1913 à Moscou dans  l‘exposition « La Cible ».  Invité en 1916 par la Société des Artistes de Georgie, puis attaqué par la critique, il mourut dans la misère. La plupart des toiles ont disparu, le musée national de Georgie et des collectionneurs, artistes principalement, conservent la sélection que le cinéaste utilise pour et dans le film.

Le film

Film historique sur la valorisation d’un artiste représentant l’identité de la république georgienne (encore sous régime soviétique en 69), c’est aussi le récit du destin type de l’artiste « maudit » de la fin du XIXè et début XXè consacrés depuis dans le genre « biopic ».  Seuls un Van Gogh et un Toulouse Lautrec avaient été réalisés avant cette date. Si Chenguelaia les connaissait, il ne reste du premier que la présence des toiles dans chaque séquence, et de Toulouse -Lautrec la vision du peintre dans la guinguette où se produit Marguerite.  La connaissance de la peinture française en Russie (à l’époque de Pirosmani) se repère par la référence que Chenguelaia fait à Cézanne : joueurs et buveurs attablés vus de profil : Niko ne les connaissait sans doute pas.

Les  dialogues du film sont empruntés aux mémoires du peintre Lado Goudiachvili qui rencontra Pirosmani vers la fin de sa vie. Les anecdotes sur les rapports aux aubergistes « commanditaires », la séance de la Société des Artistes est citée par un écrivain dans le texte du catalogue de Nantes, ainsi que l’agonie dans la soupente.

Pirosmani, artiste assez énigmatique, profondément solitaire, détaché des biens matériels est animé d’une sorte d’utopie socialisante : seule la peinture est sa raison d’exister, une trajectoire linéaire.
Le film se développe selon la chronologie, de l’arrivée en ville à la mort du peintre. Cependant le moment de la révélation de l’œuvre aux deux visiteurs intervient pour ouvrir à leur conception, la visite finale de Lado clôt le « récit pictural ». Les contractions temporelles correspondent aux périodes où l’on ne sait où a disparu le peintre : le temps se marque par le grisonnement progressif du peintre et un certain palissement de la pellicule.
Toutes les séquences sont issues de la mise en espace des toiles de l’artiste : composition frontale, traitement « sans perspective ». Les toiles figurent pratiquement dans chaque scène : accrochées au mur ou en cours de réalisation.  Le sujet de certaines peintures apparaît au détour d’un trajet : les banquets, le battage ou  « La femme au bock ».



L’acteur du rôle, peintre lui-même, Avtandil Varasi, est l’auteur des décors qui tirent vers une abstraction.  Le suprématisme n’est pas loin.
Ainsi la « laiterie », rectangle blanc hors de la ville, signalée par les deux vaches noires et blanches symétriques condense dans deux séquences en champ/contre champ les années  « commerciales » de Pirosmani. La rupture avec l’argent, en donnant tout aux pauvres, comme il donnait les toiles, consacre le début de son activité exclusive de peintre. Il rompt aussi un mariage (la fiancée n’a rien de séduisant). 
  
Cadrage identique des vues de cafés et des scènes de banquet en plein air. Les motifs : natures mortes, portraits très rigides et un bestiaire, les vaches et les troupeaux et les cerfs. La Girafe, (1905), intrusion exotique reste la toile plus célèbre qui revient comme un leitmotiv ou un portrait au regard halluciné ; le Lion, emblème (peint d’après l’image d’une boîte d’allumettes) fait référence à l’histoire de la Georgie, comme la reine Thamar (fin du XIIe siècle) en illustre la période glorieuse.



Pirosmani peignait à l’huile sur toile cirée noire, ou des fonds passés au noir. Les blancs renforcent les contours des figures, la facture très visible souligne la volumétrie des formes. L’échelle des personnages en « gros plan » n’est pas sans évoquer la tradition des Icônes byzantines ou l’imagerie  populaire du loubok (affiches et vignettes). La composition en registres des plans de la peinture trouve un équivalent dans l’usage des focales, ainsi la scène du départ au début du film, ou encore la scène de mariage « aplatit » la profondeur.

La manière dont le cinéaste éclaire les toiles dans des intérieurs sombres, et le parti, pour les extérieurs, de simples travellings latéraux pour les déambulations du peintre reprend le minimalisme des compositions picturales, sans aucun effet ni mouvement de caméra ou de montage hérités de l’école soviétique ; une  esthétique poétique régionaliste.
Le film m’avait laissé le souvenir d’un film presque noir et blanc avec un traitement sépia pour des extérieurs assez « photographie pictorialiste » (c’est sans doute un effet de mauvaise copie). Le revoir en comparant avec les peintures comme une forme de livre d’images relativise cette idée.   Noirceur d’un destin tragique et peut-être noirceur de la situation politique d’un pays soumis jusqu’à l’indépendance en 91.


Le film, réalisé en 69, est contemporain du Sayat Nova de Paradjanov: Revendication d’une culture ancestrale « régionale » (la Georgie comme l’Arménie ont gardé leur langue et leur écriture), non soumise au laminage idéologique soviétique, ici à travers le destin d’un oublié de l’histoire. Cependant peut-être parce que la religion (ou la mystique) n’intervient que sur la marge (Pirosmani prolétaire est sauvé « in extremis » le jour de Pâques, dans le film), et que rien n’évoque les révolutions de 1905 et 1917, Chenguelaia ne subit pas le sort de ses camarades, Paradjanov incarcéré ou Tarkovski (auteur du sublime Andrei Roublev, 1969) qui fut contraint à l’exil.

Pour ces trois cinéastes, Chenguelaia, Paradjanov et Tarkovski, l’artiste incarne une forme de héros qui condense l’histoire et les drames  d’un pays.

« Arabesques sur des thèmes de Pirosmani »

Le court-métrage que réalise Paradjanov, en Georgie, en 1988, est un montage des toiles de Pirosmani, sous la forme d’un catalogue thématique : L’histoire, les animaux, les scènes de genre, Un pas vers l’immortalité, qui confronte différentes toiles dans des plans frontaux composites. Dans les derniers chapitres, le cinéaste développe en animation le motif de Marguerite (l’amour perdu du peintre) « le bouquet de Marguerite », puis il intègre le peintre présentant ses toiles à une musicienne accordéoniste dans un décor de portes sur fond sonore de limonaire.  Cette « revisitation » plus baroque de l’œuvre en forme de pantomime  fait ressortir les couleurs de la peinture de Pirosmani: des bleus lumineux, des jaunes et rouges forts. 
Paradjanov avait déjà évoqué les scènes de banquet et les paysages avec chameaux dans « La légende de la Forteresse de Souram » en 1984.


Cet écart entre la narration ascétique mais empathique de Chenguelaia et la reprise sous la forme purement plastique de l’œuvre de Pirosmani  par Paradjanov met en évidence deux dominantes cinématographiques, le récit réaliste ou la construction d’un imaginaire, deux manières de penser le peintre comme une icône.  




jeudi 1 novembre 2012

SAYAT NOVA. Paradjanov cinéaste et artiste


La couleur de la grenade 



Rencontre entre cinéma, arts plastiques et voyages  : la visite du musée Paradjanov à Yerevan, et  des églises  arméniennes médiévales permet de revenir sur le film Sayat Nova , fascinant « livre d’images » de la tradition arménienne. Et sur la figure de l’artiste maudit.

Le film tourné en 1967 (et sorti en France en 82) suivait le succès, entériné par les soviétiques, des  « Chevaux de feu », 1965, consacré à un drame d’amour en milieu rural.
Paradjanov, Georgien, né en 24 de parents arméniens, (deux  républiques intégrées à l’URSS en 1920) fit des études de cinéma à Moscou , sous la direction de Dovjenko et avec Tarkovski qui devint son ami et qui tourna un film consacré au peintre d'icones Andrei Roublev.
Après la sortie de Sayat Nova, refusé par la commission du Comité Central, le cinéaste fut mis en prison –pour des raisons obscures- de 1973 à 1977. Libéré, il résida à Tbilissi , où il fut de nouveau incarcéré en 1982. Il mourut à Yerevan  en 90 après que la construction d’un musée ait commencé. Le musée fut inauguré en 1991, date de la proclamation de l’Indépendance de l’Arménie.


Achik Kerib




Dans l’intervalle, il dirigea des mises en scène et deux films, tournés en Georgie: La légende de la forteresse de Souram, 1985, et Achik Kerib, 1988, tournés dans des sites en partie ruinés et consacrés à des récits allégoriques des périodes historiques inspirés par la tradition persane..

Les collections, présentées dans le décor d’une maison, rassemblent les œuvres plastiques de Paradjanov : peintures, collages et assemblages assez surréalisants dans lesquels l’artiste intègre volontiers des autoportraits et anecdotes d’une vie tragique. La forme du triptyque y est dominante, comme autant de métaphores de la crucifixion. Un martyre assez  ironique.


On peut voir les dessins de prisons, crayons noir et blanc : l’une des séries cite Pasolini. L'évangile selon St Matthieu (et/ou selon Pasolini)


D’autres travaux graphiques correspondent aux dessins préparatoires et aux objets qui ont servi pour le tournage de Sayat Nova. (La couleur de la grenade).

Autoportrait devant Hagpat, 1963




















Le film Sayat Nova , du nom du trouvère arménien du XVIIIe siècle évoque la vie du poète dans un cadre et un récit  assez intemporel et fictionnel.
Sous la forme d’une suite de tableaux vivants filmés frontalement, se succèdent l’enfance, les amours, la conversion et l’ascèse.


Le film est tourné en partie en studio pour les scènes d’intérieur de l’amour du poète adulte et de son double féminin (un angelot doré tourne dans son cadre) et les pantomimes sur fond de tapis.





Tous les aspects de la vie quotidienne, le hammam, la teinturerie, le salon de musique autour des instruments traditionnels d’accompagnement des monodies.







Les scènes qui concernent la tradition religieuse  et historique (allusions aux invasions et luttes des princes) ont été tournées dans le monastère d’Haghbat (voir l’autre blog  Arménie, carnets de voyages) avant sa réfection sous l’égide de L’Unesco.


Le poète enfant sort les manuscrits pour les faire sécher sur le toit. Le pressage du raisin et sa conservation dans les jarres de la « bibliothèque ». La vue des donateurs au chevet de l’église du Saint Signe.






Le poète devenu moine enterre le Catholicos sous les dalles du gavit  (sorte de narthex) qui précède l’église. 



Une exception, la fresque de la Cène provient d’une autre cathédrale en ruine. 



Autant de lieux  symboliques qui font sens après la visite du monastère.



Le principe de l’allégorie (à l’opposé de tout réalisme soviétique) articule  le sang / le sacrifice, le duel vie/mort, par la référence à la grenade :
 Ce fruit qui résume l’attachement à une culture, saigne.  Dans Ararat, d’Atom Egoyan (2002) ) autre réalisateur d’origine arménienne, le cinéaste incarné par Charles Aznavour, tourne un film sur le génocide de1915 et la vie du peintre Arshile Gorky, et au passage fait de la grenade la source de vie et le symbole de la résistance.


La résurrection , Musée Maténadaran

La Cène, Musée.





L’esthétique du film, la composition de chaque plan  se réfère au mode de représentation des miniatures arméniennes du Xè au XIVe siècle. 








La clé nous est donnée par les images  reproduites dans le manuscrit que feuillette l’enfant sur le toit. 

Extrait du film
D’autres exemples de l’espace a/perspectif : les personnages en registre sur un fond uni sont animés par des truquages  façon Méliès. 



Des reprises de passage des personnages insistent sur ces effets.  Ce style entre tableaux vivants et pantomime est renforcé par la narration off , sous titrage et insert de cartels.
L'autre référence artistique du film est la peinture de Pirosmani (Pirosmanachvili, 1862-1918). Paradjanov lui consacra en 1988 un court métrage : "Arabesques sur des thèmes de Pirosmani".

"Arabesques"
L'insertion de personnages animés vivants dans les montages des peintures inverse le processus de composition. Une peinture statique et considérée comme naïve, sur des fonds noirs, scènes rurales, portraits,  animaux, natures mortes, et peinture d'enseignes. (voir chapitre Pirosmani).

Pirosmani, nature morte, vers 1910.

Le raffinement de l'évocation du milieu cultivé du XVIIIe siècle, dans Sayat Nova, en revanche,  s'écarte du caractère rural et du "primitivisme" du peintre georgien.  La beauté physique des acteurs comme la richesse des costumes,  le médium photographique ou le collage apportent une autre qualité de texture.   

Sayat Nova: tournage. 


Collage

















Une rencontre exceptionnelle entre cinéma des origines et pratique picturale que révèlent les documents préparatoires, visibles au musée d’Erevan.
La dimension autobiographique, Paradjanov = le poète est alors plus évidente.


 PARADJANOV : Autoportrait au "toit en parapluie"

 À revoir, absolument...