jeudi 1 novembre 2012

SAYAT NOVA. Paradjanov cinéaste et artiste


La couleur de la grenade 



Rencontre entre cinéma, arts plastiques et voyages  : la visite du musée Paradjanov à Yerevan, et  des églises  arméniennes médiévales permet de revenir sur le film Sayat Nova , fascinant « livre d’images » de la tradition arménienne. Et sur la figure de l’artiste maudit.

Le film tourné en 1967 (et sorti en France en 82) suivait le succès, entériné par les soviétiques, des  « Chevaux de feu », 1965, consacré à un drame d’amour en milieu rural.
Paradjanov, Georgien, né en 24 de parents arméniens, (deux  républiques intégrées à l’URSS en 1920) fit des études de cinéma à Moscou , sous la direction de Dovjenko et avec Tarkovski qui devint son ami et qui tourna un film consacré au peintre d'icones Andrei Roublev.
Après la sortie de Sayat Nova, refusé par la commission du Comité Central, le cinéaste fut mis en prison –pour des raisons obscures- de 1973 à 1977. Libéré, il résida à Tbilissi , où il fut de nouveau incarcéré en 1982. Il mourut à Yerevan  en 90 après que la construction d’un musée ait commencé. Le musée fut inauguré en 1991, date de la proclamation de l’Indépendance de l’Arménie.


Achik Kerib




Dans l’intervalle, il dirigea des mises en scène et deux films, tournés en Georgie: La légende de la forteresse de Souram, 1985, et Achik Kerib, 1988, tournés dans des sites en partie ruinés et consacrés à des récits allégoriques des périodes historiques inspirés par la tradition persane..

Les collections, présentées dans le décor d’une maison, rassemblent les œuvres plastiques de Paradjanov : peintures, collages et assemblages assez surréalisants dans lesquels l’artiste intègre volontiers des autoportraits et anecdotes d’une vie tragique. La forme du triptyque y est dominante, comme autant de métaphores de la crucifixion. Un martyre assez  ironique.


On peut voir les dessins de prisons, crayons noir et blanc : l’une des séries cite Pasolini. L'évangile selon St Matthieu (et/ou selon Pasolini)


D’autres travaux graphiques correspondent aux dessins préparatoires et aux objets qui ont servi pour le tournage de Sayat Nova. (La couleur de la grenade).

Autoportrait devant Hagpat, 1963




















Le film Sayat Nova , du nom du trouvère arménien du XVIIIe siècle évoque la vie du poète dans un cadre et un récit  assez intemporel et fictionnel.
Sous la forme d’une suite de tableaux vivants filmés frontalement, se succèdent l’enfance, les amours, la conversion et l’ascèse.


Le film est tourné en partie en studio pour les scènes d’intérieur de l’amour du poète adulte et de son double féminin (un angelot doré tourne dans son cadre) et les pantomimes sur fond de tapis.





Tous les aspects de la vie quotidienne, le hammam, la teinturerie, le salon de musique autour des instruments traditionnels d’accompagnement des monodies.







Les scènes qui concernent la tradition religieuse  et historique (allusions aux invasions et luttes des princes) ont été tournées dans le monastère d’Haghbat (voir l’autre blog  Arménie, carnets de voyages) avant sa réfection sous l’égide de L’Unesco.


Le poète enfant sort les manuscrits pour les faire sécher sur le toit. Le pressage du raisin et sa conservation dans les jarres de la « bibliothèque ». La vue des donateurs au chevet de l’église du Saint Signe.






Le poète devenu moine enterre le Catholicos sous les dalles du gavit  (sorte de narthex) qui précède l’église. 



Une exception, la fresque de la Cène provient d’une autre cathédrale en ruine. 



Autant de lieux  symboliques qui font sens après la visite du monastère.



Le principe de l’allégorie (à l’opposé de tout réalisme soviétique) articule  le sang / le sacrifice, le duel vie/mort, par la référence à la grenade :
 Ce fruit qui résume l’attachement à une culture, saigne.  Dans Ararat, d’Atom Egoyan (2002) ) autre réalisateur d’origine arménienne, le cinéaste incarné par Charles Aznavour, tourne un film sur le génocide de1915 et la vie du peintre Arshile Gorky, et au passage fait de la grenade la source de vie et le symbole de la résistance.


La résurrection , Musée Maténadaran

La Cène, Musée.





L’esthétique du film, la composition de chaque plan  se réfère au mode de représentation des miniatures arméniennes du Xè au XIVe siècle. 








La clé nous est donnée par les images  reproduites dans le manuscrit que feuillette l’enfant sur le toit. 

Extrait du film
D’autres exemples de l’espace a/perspectif : les personnages en registre sur un fond uni sont animés par des truquages  façon Méliès. 



Des reprises de passage des personnages insistent sur ces effets.  Ce style entre tableaux vivants et pantomime est renforcé par la narration off , sous titrage et insert de cartels.
L'autre référence artistique du film est la peinture de Pirosmani (Pirosmanachvili, 1862-1918). Paradjanov lui consacra en 1988 un court métrage : "Arabesques sur des thèmes de Pirosmani".

"Arabesques"
L'insertion de personnages animés vivants dans les montages des peintures inverse le processus de composition. Une peinture statique et considérée comme naïve, sur des fonds noirs, scènes rurales, portraits,  animaux, natures mortes, et peinture d'enseignes. (voir chapitre Pirosmani).

Pirosmani, nature morte, vers 1910.

Le raffinement de l'évocation du milieu cultivé du XVIIIe siècle, dans Sayat Nova, en revanche,  s'écarte du caractère rural et du "primitivisme" du peintre georgien.  La beauté physique des acteurs comme la richesse des costumes,  le médium photographique ou le collage apportent une autre qualité de texture.   

Sayat Nova: tournage. 


Collage

















Une rencontre exceptionnelle entre cinéma des origines et pratique picturale que révèlent les documents préparatoires, visibles au musée d’Erevan.
La dimension autobiographique, Paradjanov = le poète est alors plus évidente.


 PARADJANOV : Autoportrait au "toit en parapluie"

 À revoir, absolument...

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