mardi 29 novembre 2011

SURRÉALISME de Fictions. Art contemporain 1.


Surréalisme pas mort. Avida.
Pour aborder une petite histoire de l’art du XXè siècle par le filtre du cinéma de fiction, et en dehors des biopics, un retour sur les débuts.
Les artistes des avant-gardes cubistes futuristes et constructivisme interviennent  dans la conception des décors, Alexandra Exter pour Aelita, (Protozanov 1927), dans une fiction mixte : fantastique et réalisme soviétique. Pour L’inhumaine, (L’Herbier 1924), Fernand Léger élabore la machine, à l’image de ses constructions en peinture et en lien direct avec son Ballet mécanique. La collaboration peintres / chorégraphes est célèbre.
Les dadaïstes élaborent le scénario, tournent et inventent des procédés de  montage non  narratif/linéaire avec la présence d’artistes dans la distribution (Man Ray, Le retour à la raison et Entracte, René Clair et Picabia, 1924). Le muet et la musique leur conviennent.
Le cubisme n’a pas eu l’heur d’inspirer les cinéastes de fictions grand public, (trop tôt, trop court), à l’exception de Rigardin peintre cubiste, 1910 (pas vu) un burlesque de série. Les artistes des avant-gardes ne correspondent pas aux critères du romantisme névrotique d’une romance tragique ; la nature morte ne fait fantasmer que sanglante. Une figuration explicite, même déformée est nécessaire pour ironiser sur la « non-ressemblance » d’avec le modèle, éventuellement inutile.
Ainsi la sculpture d’une des maîtresses d’Hemingway (Les neiges du Kilimandjaro, Henry King, 52) vaguement Zadkine, n’échappe pas au poncif.






Les comédies et les drames du cinéma d’avant-guerre utilisent des oeuvres assez rétro voire ringardes ;  au mieux, la figuration  s’inspirerait d’une supposée étiquette École de Paris.

Sérénade à trois



 Les mansardes ont la  vie dure, y compris dans le cinéma américain, comme celle de Gary Cooper -craquant- dans Sérénade à trois, Lubitsch, 1933. Le titre Design for living fait la part belle à la femme, beaux décors modernes à New York, et c’est la première apparition d’une forme d’art féministe (on y reviendra).


Pour le Surréalisme, L’age d’or, (Bunuel, 1930) reste LA référence (même W. Allen le cite).
L’extrême longévité du mouvement international et son rôle dans l’art américain de la fin des  années trente et quarante expliquent son impact, de même que la congruence entre les procédés de montage, les plans en profondeur, le zoom et les thèmes du récit avec les sujets et formes de la peinture. La contemporaneïté du surréalisme et de la psychanalyse inspire ls scénaristes.
La notoriété de ses « stars » en permet l’identification immédiate, en dépit de styles différents. Dali, Chirico, Magritte, Delvaux.
 L’oncle  peintre « zinzin » de Charmante famille, (Danger love at work, Preminger, 1937), est concurrencé par Elsa Lanchester, peintre S convoquée pour le portrait robot  du suspect dans The big clock, Farrow, 1938, un superbe polar. « C’est son portrait psychologique », dit-elle en présentant le croquis d’une sculpture entre Picasso Miro et Hepworth.

Spellbound















Le toit du paysage enneigé sur lequel dévale une roue molle (Yves Tanguy ?)
-ainsi que le malheureux héros- condense les effets perspectivistes que les surréalistes ont réinventés au profit du temps et de l’ « étrangeté » programmatique. 






Pandora ( Pandora and the flying dutchman, Albert Lewin,1951). Le réalisateur revendique son essence surréaliste : Récit dans le récit de l’errance du navigateur peintre à la recherche de la femme aimée et perdue visible dans le petit portrait XVIIè d’origine. 




Quand Pandora -Ava Gardner, ruisselante dans une voile, apparaît dans le bateau, Hendrick van der See/James Mason peint une femme drapée, façon Delvaux, dans un espace type de la peinture de de Chirico, lignes de fuite et architectures. Un débat sur la ressemblance le conduit à transformer le visage de Pandora en « oeuf » barré : un vrai-faux Chirico.






 Les statues antiques de déesses sorties de l’eau dans la séquence précédente anticipaient sur la mythologie. L’intemporalité perspective de l’artiste italien vaut ici pour une allégorie de l’éternité promise aux amants. 

On peut trouver des pseudos Chirico/Magritte au mur dans quelques films, policiers de préférence et sans interêt.  En revanche la démultiplication des hommes au chapeau melon dans Thomas Crown,  (Mc Tiernan, 1999) fonctionne astucieusement comme une performance piège. Ceci n’est pas un Monet, ni un Pissarro, ni...
Magritte est cité récemment comme une référence pour un devenir-peintre célèbre pour le non moins célèbre prisonnier Bronson (N. Winding Refn, 2008) lors des séances d’atelier en prison. La superbe animation (post Crumb) qui suit n’a pas plus de rapport avec le surréalisme que la transformation en sculpture vivante du prof par Bronson, adepte de l’incarcération comme posture artistique. Et l’on retrouve le lien entre peinture et délire paranoïaque…

Surréalisme authentique en revanche : dans  L’insoutenable légèreté de l’être, Ph. Kaufmann, 1980, le scénario tiré du roman de Milan Kundera se situe à Prague en 1968. Les oeuvres de l’atelier de Sabina/Lena Olin sont empruntées à Irina Dedicova, 1932-1990, 




Les toiles  -des sortes d’idoles biomorphiques  élémentaires, un « oeuf cosmique », enchâssé dans les éléments organiques fortement érotisés - datent des années 70.





 Un choix du cinéaste pour situer le contexte et renforcer la personnalité de l’héroïne. 






Plus tard, en Suisse, Sabina compose des miroirs brisés (Pucci Di Rossi, un désigner contemporain).




 Quand Tereza/Juliette Binoche tente de survivre comme photographe, des clichés de Man Ray (et de Bill Brandt) lui sont donnés comme exemples. Les références authentifient l’histoire et illustrent ce que le roman ne décrit pas. L’exposition montée en 2010 à La Galerie Yvon Lambert, sous le même titre procède d’une toute autre méthode, la recherche des thèmes et œuvres en correspondance (dans ses collections) hors du récit‘.

Surréalisme Belge :
Alors que les films d’André Delvaux ne sont que peu marqués par les images de son père, pas de femmes nues dans des architectures, le cinéma belge très récent se réapproprie le courant S dans un total anachronisme.
 Le binôme de cinéastes Delépine et Kervern, auteurs de sortes de road movies déjantés (Aaltra) intègrent des artistes ou des oeuvres dans leurs scénarios.
Dans Mammuth, 2010, Miss Ming, artiste (actrice déclarée « autiste » dans le civil), revendique entre deux crises de délire les oeuvres de son père, des assemblages trash de poupées déglinguées et déchets organiques (après Spoerri ou Kudo) Leur auteur, très « groslandais » : Lucas Braastad.

Dans Avida, 2006, les deux réalisateurs, acteurs ici aussi ont construit un film à clés, dans une surenchère d’absurde apparent. Toutes les séquences, à commencer par le suicide de Topor en torero contre un rhinocéros,



le vol de la montre, du poisson, du homard, l’enlèvement de la milliardaire obèse qui sera traînée au sommet d’un terril puis au pied d’une falaise


concourent à la composition d’une toile de Dali, ou du moins un faux efficace, d’où le titre Avida (Dollars). Peinture qui ne sera révélée qu’à la dernière image (la seule en couleur), un procédé connu,



une toile non visible au début du film que le collectionneur incarné par Jean Claude Carrière contemplait avant de mourir ; il possède aussi Les girafes en feu. Le gros plan de la bouche de la femme au pré-générique est le premier indice des références (et je ne crois pas avoir tout décodé). Le muet (un personnage incarné par l’un des cinéastes) est un autre indice dans un film peu bavard.
L’incohérence n’est qu’apparente, le cadavre du chien hérissé des seringues que les deux cinglés masochistes utilisent pour se droguer,



les familles dans les armoires, finalement tous les éléments trouvent un sens dans le parcours d’une relecture d’un surréalisme mort depuis longtemps, mais non sans rendre hommage aux courses-poursuites de ses inventeurs.

Si Topor, joue son propre rôle (pour mémoire, Le Locataire de Polanski est une adaptation de son roman) il n’est pas inutile de citer le mouvement Panique, auquel il appartenait  avec Arrabal, (J’irai comme un cheval fou, 1973) dans les années 50. Une autre dérivation du surréalisme est donc le modèle latino-américain  post  Bunuel, incarné par le cinéma d ‘Alejandro Jodorowsky, membre du même groupe et auteur des films comme El Topo (1971) ou La montagne sacrée, (1973) : une quête initiatique sanglante et coprophile dans laquelle l’artiste démiurge occupe le moment ultime.





jeudi 10 novembre 2011

MUSEES et Galeries dans le cinéma de fiction


Cadres à Risques

 Hors de mon propos qui est d’analyser les films qui comportent des artistes au travail, un détour s’impose sur le contexte muséal de plus en plus rentable pour une consommation grand public (au grand désespoir des professionnels qui ne trouvent plus de créneau pour voir les oeuvres de leur choix). Entre les foules égarées à la recherche de La Joconde (qui vient de sortir de son cadre (L’apparition de La Joconde, F. Lunel, 2011) et depuis peu, bousculés par les poussettes d’enfants (un signe de la volonté d’éduquer au plus tôt les chères têtes blondes, mais quand elles galopent, c’est pire) on râle. L’autre jour, pour l’anecdote, une rangée de mômes de six à huit ans, bien encadrés, ont vu - en silence- le film de Werner Herzog, La grotte des rêves perdus. Occasion unique de voir des bisons ou des rhinocéros autrement qu’en dessins animés. Dont acte, la préhistoire n’est pas au programme du CP, et mon petit-fils, même âge, redemande le Quai Branly ou Le Plateau, ou Beaubourg. Le problème, c’est toujours l’autre ; soyons sympa, dirait Gondry, rembobinons :

La nuit au musée 2
Comme les oeuvres, dont la cote emplit les journaux, le musée fait recette. Les galeries aussi, avec l’argent des riches. La visite est gratuite -sauf à la Fiac. Quantitativement leur place dans le cinéma de fiction progresse, en fonction de la médiatisation -éviter la journée du patrimoine. Quand les documentaires deviennent de plus en plus pointus, entre le musée et le parc d’attractions la frontière s’amincit.

Les musées de cire furent les hauts lieux du fantastique et de l’horreur du cinéma des années trente (The Mystery of the Wax Museum, Michael Curtiz, 1933) ; les reprises ou remakes d’après guerre, de House of wax, De Toth, 1953 à Stivaletti, Le masque de cire, 1997, ont eu leur temps. La figure obligée du « sculpteur fou », à la recherche d’une ressemblance parfaite a été rattrapée par les artistes normaux qui travaillent sur les corps éventuellement plastinisés ;  l’hyperréalisme a introduit nos doubles dans les musées d’art (John De Andrea, Duane Hanson, dans les années 70),  la question de la mimesis est alors réglée. Les animations et les images de synthèse ont ensuite permis au cinéma de reconstruire des musées, avec ou sans studio, les musées autorisant aussi leurs espaces pour les tournages. (lire les génériques de fin).  
Ainsi dans les biopics, les musées ont d’abord autorisé le filmage des œuvres, puis leurs murs : Bacon fait son entrée de son vivant au Grand Palais (unique image hors studio),



 Klimt bénéficie de sa rétrospective. Mais en général la fiction d’artiste se joue hors musée. Les espaces sont depuis devenus des décors.
Dans les musées et les galeries, les oeuvres, à valeur symbolique ou marchande, fascination et concupiscence justifient le vol et le meurtre, car majoritairement ce sont les polars qui ont mis en scène l’exposition de l’art. Après La femme au portrait de Fritz Lang, 1944, et depuis la contemplation fascinée de Madeleine pour le portrait de Carlotta dans Vertigo de Hitchcock (1958),


 et sa référence directe par  Brian De Palma dans Dressed to Kill, (Pulsions,1981), l’image du double induit pour le moins le trouble (un autre héros de De Palma dans Obsession, 76,  voit dans la restauratrice de peinture la réincarnation de sa défunte épouse).

Le passage dans une salle d’exposition expose le regardeur à tous les risques. La vision onirique du jeune peintre qui pénètre dans le temps de Van Gogh  (Rêves de Kurosawa, magique dans Ferris Buhler- sans intérêt par ailleurs) est plus terrifiante dans le cinéma de Dario Argento. Le syndrome de Stendhal, 1996, tourné au Musée des Offices, puis à Rome, offre tous les possibles de l’absorption dans la peinture et de la désintégration du sujet.



Chez Argento, l’oeuvre tue : (L’oiseau au plumage de cristal,1969) une peinture naïve est le déclencheur de la folie meurtrière de la galeriste. L’écrivain américain échappe de peu à la perforation du genre Vierge de Nuremberg par une sculpture de la « transavantgardia ».



Et le héros du roman Trois carrés rouges sur fond noir, T.Benaquista, 1990, est mutilé par une sculpture dont la description collerait à un Arman.
Le vol du tableau concurrence le vol de bijoux, question de valeur refuge, pas plus facile à écouler. La copie et le faux, stratégies ordinaires du polar, volent au secours de la concupiscence du collectionneur, prêt à tout. Dans les variantes humoristiques magrittienne ( Thomas Crown, Mc Tiernan 1999) ou lamentable ( Pour l’amour de l’art, Bennett, 1996) le collectionneur double son cabinet secret par des faux qui offrent les mêmes « icônes » de l’art. Matisse, Monet et les autres.
Le vrai artiste devenu faussaire est soit l’objet de vrais polars artistiques (F for Fake, O.Welles, 1975) soit un « second couteau » de nombreuses histoires de truands.

L’enquête sur l’oeuvre, de manière souvent sérieuse, cherche une énigme (Ce que mes yeux ont vu, sur Watteau) ou le plus souvent un crime 



(il est amusant de rapprocher Argento -pénétrer La ronde de nuit amène l’héroïne sur une scène de crime- de Greenaway qui trouve dans le même tableau de Rembrandt les preuves d’un crime politique en préparation.

L’oeuvre dans le musée figure comme indice dans les thrillers (Da Vinci Code), on s’étonne d’y voir figurer le Louvre, qui depuis peu devient un cadre pour l’action. Il en est de même pour le MET, le MOMA, ou le Museum d’Histoire Naturelle. Quant aux galeries, leur logique économique reste normale. La galerie new-yorkaise de L’affaire Chelsea Deardon  (Reitman, 90) permet de transformer un M.Oppenheim en matraque ou un Giacometti en échelle de pompier. Autre mince frontière entre le film d’action et le burlesque.

Classements et méthodes :
À chaque système muséographique, son genre cinématographique:
Quand les classements chronologiques et thématiques, par écoles et par auteur, qu’exige l’histoire de l’art en France et en Italie, les films  « sérieux » voire à la limite de l’ésotérisme construisent une fiction cohérente : depuis L’hypothèse du tableau volé (R Ruiz, 1978) ou Ce que mes yeux ont vu, (L de Bartillat, 2007) une méthode analytique au service de l’énigme.
Dans Visage, Tsai Ming-Liang, 2009, l’élaboration d’une fiction sur le mythe de Salomé se termine par l’extraction de Jean-Pierre Léaud costumé en Hérode dans la plinthe d’une supposée salle du Louvre (qui commandita le film) sous les Leonard de Vinci...

Visage


Musée haut, Musée Bas de Jean-Michel Ribes, 2008, tourné dans les différents musées parisiens, construit un film de genre sociologico-burlesque. Le classement historique des courants fait l’objet des recherches obstinées ou confuses de visiteurs profanes ( en cela le film est plus cruel que son auteur ne veut bien l’avouer). Les mises en scène de parodies de l’art contemporain sont en revanche une délectation pour les amateurs.
Les tableaux vivants, la double déposition de croix dans les réserves, ou la dénonciation des pillages des arts premiers complètent le panorama critique du système marchand.






Burlesque multigenre, La nuit au Musée (je n’ai vu que le 2) illustre la polyfonctionnalité et l’hétérogénéité des collections des musées américains, ici le Smithsonian à Washington: la réincarnation simultanée, d’échelles différentes, des héros et des oeuvres de tous ages, de néanderthal à nos jours, avec une préférence pour le pharaon de service offre un mélange de genres que les animations 3D rendent fort cocasses. Ainsi le couple des héros croise, entre autres, la Danseuse de Degas qui danse, un Penseur de Rodin qui pense peu, un Balloon Dog de Jeff Koons en cavale,
pénètrent une photographie de Berenice Abbott et engagent une partie avec le couple American Gothic de Grant Wood, sous l’oeil pleurant d’un Lichtenstein :





tous les « must » de l’art américain sont présents et Lincoln aidé par Roosevelt sauvera le monde du chaos..
Dans ces deux derniers films, la politique n’est pas absente. La domination de l’économie non plus. On se pose la question, quel est le contrat et quel est l’enjeu financier du deal entre le musée et l’industrie cinématographique ?












mardi 18 octobre 2011

LA PIEL QUE HABITO série: cinéma et art contemporain


LA PIEL  QUE  HABITO. ou la fortune posthume de Louise Bourgeois

Pedro Almodovar, 2011, Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes..

Une jeune femme mystérieuse,Vera, enfermée par le chirurgien qui reconstruit son corps et revitalise sa peau, vit dans une cellule vitrée, vêtue d’un body qui épouse ses formes comme un masque, Une adhérence qui occulte (ou dessine) d’énigmatiques cicatrices.
Sans développer les péripéties du scénario, ce thriller moral vise les transformations que permet la technique médicale sous l’empire des passions ; le « transgenre » est constant dans les films d’Almodovar, depuis  La loi du désir.
L’obsession du corps, du vêtement ou du travestissement coïncide avec des courants de l’art contemporain attachés aux questions du genre.
Ainsi, Vera tente constamment de déchirer les vêtements qu’elle ne porte pas, puis d’en assembler les chutes en se référant à des images d’un catalogue des oeuvres de Louise Bourgeois (1911-2010).
Privée de ciseaux ou d’aiguilles, la jeune femme colle les fragments de tissu avec du ruban adhésif -autre bandage- et élabore des poupées en imitant malhabilement des pièces de l’artiste. Tentatives de reconstruction ou autoportraits lamentables, auto-thérapie réactive ?
La présence du catalogue, dans le film, valide l’usage de pratiques plastiques  comme l’expression ou la protection contre la névrose, celle de la victime enfermée dans son bocal expérimental.

Three Horizontals, 1998




Les oeuvres citées de Louise Bourgeois sont les plus tardives, (fin 1990-2009), loin des sculptures et des installations antérieures.  Les cages « Cells » des années 80, en revanche, entretiennent un rapport avec la claustration. Les textiles et les écritures reviennent à la fin de son existence. Sa notoriété confirme l’une des maximes des Guerilla Girls : un avantage d’être artiste femme, c’est d’être célèbre après quatre-vingts ans. De fait, la diffusion en salle du documentaire Louise Bourgeois, L’araignée, la maîtresse et la Mandarine, Ami Wallach et Marion Cajori, 2009, et la rétrospective, Tate Modern et Centre Pompidou, 2008, le confirment. Réduction des moyens, ultime retour sur le milieu de son enfance - la tapisserie- les pièces textiles sont  souvent des « reprises ».  Nombre de ses pièces et le discours qui les accompagne se focalisent sur un viol mental par le père qui l’a humiliée, doublement. L’oeuvre tente une constante réparation, toujours humoristique, d’un dommage ineffaçable :  L’épisode de l’orange (1990) : « elle n’en a pas » ( de pénis) renvoie à La destruction du père. Le titre de cette pièce de 1974 est aussi celui d’un recueil de textes et entretiens (Daniel Lelong ed. 2000) : On peut lire : « J’organise ma sculpture comme on soigne un malade »  ou « Ma sculpture me permet de faire à nouveau l’expérience de la peur... (p.234-35)
Louise Bourgeois n’est pas la seule artiste à avoir pratiqué des sutures sur le corps, ou des enveloppes qui le doublent : l’usage du tissu, le « Soft Art » est une forme artistique partagée par plusieurs artistes, soit dans une critique de la mode, soit pour  questionner le corps et son image. C’est depuis les années 70 majoritairement une pratique de femmes artistes.
 Les têtes et corps couturés en matériaux textiles étaient déjà la marque du travail d’Eva Aeppli, des mannequins que Tinguely mit en action puis de Dorothea Tanning.  Mais en remontant plus loin, La poupée, élaborée par Hermine Moss pour Kokoschka en 1918, présentait les mêmes caractères plastiques, au service du fétichisme du peintre.

Lorsque les interventions chirurgicales segmentent le corps et son corset comme des pièces de boucherie ou comme des patrons de couture, c’est un même dess(e)in, ( on pense au tailleur de femmes dans Le silence des agneaux, changer de peau/sexe comme moyen d’accomplissement du désir).  Pour le chirurgien, il s’agit d’imposer une loi de transformation à son cobaye. Même dispositif, mais motivation inverse, non pour soi, mais pour s’approprier l’Autre, chez  Robert/ Antonio comme LA vengeance du père dont la fille s’est défénestrée après son non-viol. Mais aussi ensuite on le voit pour sa consommation de son oeuvre. Inceste différé. Retour à la possession « ordinaire » des démiurges de la mythologie cinématographique.
L’émasculation du jeune homme est la première intervention du chirurgien. Le reste des mutilations et greffes ne sont que les dommages apparents de la transformation du corps que le vêtement peut doubler : Vincent rêvait d’une robe, cette robe devient le gage de son identité.

Dans les années 2000, deux femmes artistes parmi d’autres ont anticipé les formes d’art que le film d’Almodovar met en scène :



Nicole Tran Ba Vang ( site www.tranbavang.com) depuis la fin des années 90 joue sur les doubles peaux. Le trucage photographique gomme l’interstice entre corps et enveloppe, aussi mince que les body de Vera, ceci dans un rapport à la mode : « Collection Printemps/Été 2001 ». La mode vestimentaire est souvent un contexte dans les films d’Almodovar.




Dans La Piel, au moment où , dans le film, Vera, le cobaye commence à construire des stratégies de défense, une autre pratique apparaît : le Mur d’écritures ( que Louise B n’a pas expérimenté, ses textes sont sur de petits formats) fait référence, entre autres, à une artiste française :




 Dans la dernière décennie, précisément pour dénoncer les troubles liés aux attouchements sur des enfants, Isabelle Levenez qui a travaillé en milieu psychiatrique, « le joue » sur le mode de la fiction ; le texte , je ne promets de ne jamais oublier les petits morceaux de mon enfance, vaut pour un manifeste contre l’oubli. (2001, Galerie Anton Weller)
L’écriture à l’échelle du mur, manifestation d’une revendication identitaire devient un système de protection, soit en raison d’une névrose, d’un autisme, ou d’un diagnostic de folie, on peut citer « Quills, la plume et le sang »,Ph Kaufman, 2000,  qui évoque de manière sanglante les derniers temps du Marquis de Sade, enfermé à Charenton et mutilé, et qui, dans un dernier geste couvre le mur de sa cellule de textes littéralement « merdiques ». L’art comme thérapie ou l’artiste comme sujet névropathe fait toujours le bonheur des scénaristes.
                                                                            
Le film d’Almodovar a immédiatement fait revisiter l’archéologie du film d’horreur et le chirurgien/sculpteur fou depuis Pygmalion, la créature artificielle ou la greffe de fragments (le critique du Monde a cité Frankenstein) ; Les yeux sans visage de G Franju, serait plus approprié ; le masque de Vera le cite.
C’est sans doute pourquoi la première partie du film, hors de l’explication narrative est sans doute la plus efficace dans la dimension de cinéma fantastique.
Or la technique sur le vivant n’est plus une fiction mais bien une question déontologique, qui est posée ici.

mercredi 5 octobre 2011

"L'ARTISTE" , un film, série cinéma et art contemporain


L’artiste
Un film de Gaston Duprat et Mariano Cohn , Argentine/Italie, 2009.
Avec Sergio Pangaro et Alberto Laiseca.

Réception mitigée des critiques de cinéma, les grilles des sites spécialisés en donnent des.raisons : la critique de l’art contemporain est soit bienvenue soit trop stéréotypée: les poncifs du parcours de l’accès aux galeries, le rôle du critique informé, le rôle du marché sont tournés en dérision. Or même et peut être justement pour les acteurs de l’art actuel, cette critique est jouissive au second degré par son humour corrosif, couplé à une fantastique performance de l’acteur qui incarne l’artiste/autiste -des mains extraordinairement expressives, en opposition au blocage du visage et du corps sur fauteuil roulant.

Scénario : Un infirmier d’hospice gériatrique, Jorge Ramirez « adopte » Romano, un patient  autiste, dont l’expression ne passe que par des dessins. Pour divers raisons financières et autres, le soignant présente dans une galerie contemporaine - sous son identité- les dessins de Romano qu’il a stocké jour après jour dans un placard. Après quelques difficultés, il obtient une exposition, des rencontres dans lesquelles seul le mutisme -considéré comme une posture artistique- lui permet d’échapper aux bavardages des vernissages ou de la télé. Les commentaires de spécialistes dubitatifs, mais « au cas où » soutiennent le travail, l’historien d’art se charge de la communication. En bout du parcours de légitimation, présentations, vernissages, catalogue, prix (Jorge gagne une voiture, comme dans un jeu télévisé) exégèses diverses, « l’artiste » est invité en Italie pour ce qu’on nomme une résidence.
Le vieux Romano  en profite pour mourir subitement avant le départ.....  fin ouverte dans une chambre close.

Se pose donc la question de l’authenticité du créateur, ici totalement muet sur les raisons, la méthode ou le sens du travail, mutisme lié à une inculture totale, le regard sur les œuvres visibles dans la galerie est de l’ordre de sa stupidité ; mais ces pièces ont le même effet sur la plupart des visiteurs : la galerie est plus blanche et morbide que la salle commune de l’hôpital. Comme est transformé en « white cube » l’appartement vieillot.

La singularité du parti des cinéastes tient dans un principe inédit, ne donner à voir que les hommes, jamais les pièces à conviction  :
Les séquences de travail du vieux malade sont enregistrées de manière frontale, les feuilles étant invisibles, seuls les gestes, leur rythme compulsif, virgules et traits violents sont enregistrées par une caméra qui s’attache aussi au visage fermé -en opposition à l’expressivité des mains. Gros plans superbes qui permettent de projeter mentalement le tracé qu’on ne voit jamais ( et qui n’a rien à voir avec les lignes courbes de l’affiche).
Sous la pression du succès et les exigences du galeriste, Jorge en « coach » oblige Romano à varier les outils, non sans quelques difficultés. Les « pannes » du malade amènent le faux auteur à tenter sans résultat probant des « faux » jugés moins intéressants, la couleur ne fonctionne pas. Mais après un sursaut vital de Romano, formats et gestes sur supports plus larges trouvent une issue. S’ensuit un plan d’accrochage, comme dans tout musée. Si l’on tente de recomposer les images, la déception est totale, l’humour des commentaires trouve son écho lors de la présentation en galerie, le point de vue -en contre-champ- est celui de la feuille qui découpe des fenêtres dans la cloison sans que l’on voie les dessins ; énigme totale donc sur la forme de « l’oeuvre » qu’il s’agit alors d’interpréter entre geste et discours critique.
Aucun artiste moderne n’est cité, mais de toute évidence, « c’est le regardeur qui fait le tableau », et c’est une leçon critique applicable au spectateur du film. De l’humour de Marcel Duchamp aux théories d’un art déceptif ( Anne Cauquelin) en passant par une morale du vrai, le clin d’oeil est suffisant pour cibler l’art du XX°.

Pour le spécialiste, historien ou critique d’art, le mode graphique se rapporte aux productions de l’Art Brut. La conférence du professeur d’université insiste alors sur Dubuffet et ses collections. Sur l’activation d’un inconscient qui se manifeste par le trait.. D’autres sans réelle opinion font le pari d’un marché de l’art qui requiert des formes inédites et authentiques. En étudiant les productions des « singuliers de l’art », que ce soit dans les collections de Dubuffet ou de la collection Prinzhorn,( cf. son ouvrage : « Expressions de la folie ») en dépit de la compulsion, rien ne correspond à ce niveau répétitif aléatoire primaire. Sauf peut-être chez des artistes « non-malades », qui pratiquaient un dessin automatique éventuellement sous acide dans les années 40 ou 50. Les gestes d’André Masson, de Henri Michaux, des américains comme Marc Tobey, puis Bryon Gysin travaillant des écrits sans textes, les dessins de Pollock n’ont pas cet aspect incisif et déstructuré.
L’activité pulsionnelle, sans autre sens que sa mécanique tordue, produit un signe , sans référent ou encore un  signifiant sans autre signifié que l’existence de la main qui concentre toutes les énergies du corps, ici, impotent :
Le geste réactive donc des théories du dessin :
Un texte de Chaké Matossian (in : La part de l’oeil, n°6, Bruxelles, 1990, p.93) développe l’impulsion du grattage et des démangeaisons de l’artiste : «  La vie de la main semble alors indissociable du geste machinal, d’un mouvement répétitif entre douleur et volupté. Ce geste renvoie le corps à son être-machine, à une perte de soi dans le vertige de la répétition. (..) provoquant par là-même une réaction mimétique chez le spectateur...»
C’est précisément dans ces séquences que le cinéaste (et l’acteur) touche au vif du sujet : le rapport entre art et thérapie, largement étudié et mis en application par les psychiatres.
Un survol de la filmographie des cas de névroses et psychoses compensées par l’expression artistique permet de démonter comment les artistes sont connus pour leurs tendances névropathes -c’est le cas de nombre de biopics. (voir les chapitres antérieurs).
Les fictions ont créé des scénarios stéréotypés. Benny and Joon, J.Chechik, 1992 ; Prick up your ears, S. Frears, 1987, A la folie pas du tout, L. Colombani, 2001, etc... On y reviendra.

Au-delà du moment créatif  de l’autiste, l’objet de la réflexion des auteurs de L’artiste, est essentiellement axée sur la parodie des stratégies de l’art contemporain. Parodie que Musée haut  musée bas de Jean Michel Ribes avait déjà traitée.
Répétitif, incisif, ou ennuyeux et trop facile ont pu écrire certains, il n’est pas inutile de voir le film entre deux galeries parisiennes.....

 



                                                                      






mercredi 28 septembre 2011

Dennis Hopper de la série artistes de fiction


Dennis Hopper, des rôles d’artiste.

Le réalisateur, 1936-2010, connu dans les années 60 par son  individualisme et sa position marginale est révélé par le film culte : « Easy rider »  dont  on a l’impression qu’il est régulièrement réinventé. Ce qui est le propre du mythe : Celui de Dennis Hopper depuis son décès.  Ses divers talents alimentent la figure de l’artiste.
Parallèlement aux  rôles d’acteur, il se consacre à la photo dans le milieu artistique d’Hollywood (ami de Warhol, Kienholz, en peinture il admire Diebenkorn). Influencé par les pratiques de Rauschenberg et aussi du Pop Art auquel il appartient  comme peintre.  Il a fait l’objet de rétrospectives, Amsterdam 2002;  Cinémathèque à Paris, 2008.

This is art (Marcel's dilemma) 1997

Comme acteur, des rôles incontournables : bons ou moins, grands ou petits : du photographe de Apocalypse Now, Coppola, ou L’ami Américain, Wenders, à des séries télé, son nom fait tête d’affiche.
Sa place dans le milieu de l’art, et son investissement (financier aussi pour des productions)lui ont permis de synthétiser les différentes fonctions dans plusieurs films :
Collectionneur comme son ami Vincent Price, (star des films d’horreur), il est crédité dans Meurtre Parfait  (A. Davies, 2003) pour le prêt de l’atelier de Viggo Mortensen (peintre lui-même à temps partiel).
Acteur, il incarne le collectionneur et galeriste suisse Bishofberger qui fit la renommée de Basquiat dans le film de Julian Schnabel en 2000 (peintre  aussi du nouvel expressionnisme d’origine allemande, David Bowie y joue Warhol). Le milieu de l’art marque donc certains de ses films.

Hopper réalisateur :
Colors  1988, un film policier sur le milieu latino des gangs à LA, sur fond de repérages des tags et murs peints. Montés sur des palissades les montages de photogrammes et  de peintures issus des prises de vue du film figurent dans les rétrospectives.


One on four joiners, 1992



Catchfire, 1987 ? [1], ou Backtrap, piège en retour, un polar atypique mettant en scène une femme artiste, à travers l'image qui peut en être donnée dans un récit  hybride et une romance de la civilisation contemporaine.
L'artiste Jenny Holzer, artiste conceptuelle connue dans le milieu New-Yorkais et sur le marché international de l'art contemporain a prêté ses œuvres, comme d’autres artistes et collectionneurs des amis.


Sous le nom d'Ann Benton et l'aspect de Jodie Foster, l’artiste de fiction est témoin accidentel d'un meurtre mafieux. Préférant fuir que de témoigner et risquer la mort en dépit d'une surveillance rapprochée, elle se reconvertit. La mafia lance un tueur (Dennis Hopper) à sa recherche, la police aussi tente de la retrouver. Double traque.
Le tueur, « Milo », solitaire cynique et maniaque, saxophoniste à ses heures et amateur de peinture ancienne  (au mur une copie du Jardin des délices  de Jérôme Bosch) pour retrouver une piste ouvre sa propre enquête sur l'art contemporain pour déterminer les critères (du style) qui permettront de situer l'auteur par rapport à la présentation publique éventuelle d'un travail. Et pour comprendre la catégorie à laquelle est attachée Ann Benton, il lit une définition plus apte que n'importe quelle explication littérale, à critiquer l'art conceptuel : pure tautologie.
"l' aspect visuel ne s'attache qu'aux références extérieures au contexte et au concept". "Ce qui est connu est connu, et inconnu puis connu.." (bullshit, je préfère les photos érotiques…)



Trouvant une publicité de rouge à lèvres dans une revue : "Protect me from what I want" -l’énoncé le plus célèbre de J Holzer- il  en reconnaît l’auteur. 



Après avoir localisé sa cible, il entame une poursuite depuis Seattle jusqu'au  Nouveau-Mexique ; poursuite puis rapt  qui se transformera progressivement en fugue à deux amants contre le gang et contre l'ordre. Le road-movie  s'achève en explosion gigantesque dans des raffineries de San Pedro en Californie, lieu du crime initial.
Les autres artistes : dans l'appartement d'Ann Benton une pièce de Ed Ruscha  On note aussi la présence de Bob Dylan dans le rôle d'un peintre/sculpteur d'un courant entre expressionnisme et abstraction : 
opposition entre matière découpée à la tronçonneuse et concept, les deux courants américains des années 80. Les nombreuses autres références, dont Georgia O’Keefe, Wesselman, ou Groucho Marx et Hitchcock en font un film à clés.

Les techniques de recherche: la visite des lieux de l'art : l'atelier, les galeries:  la découverte des objets, de leur prix - ni plus ni moins exorbitants que la prime du tueur devient une critique par effet de symétrie, galerie ou loft, valeur de placement de l'oeuvre d'art. Et Vincent Price joue le rôle du parrain.
Citations : La place des oeuvres de Benton dans les plans construit une relation ironique et perverse au texte qui fait maxime par décalage et produit aussi la légende pour un autre plan :
Les énoncés de Benton-Holzer apparaissent successivement dans le film et explicitent immédiatement les dénouements : Telle la pièce que Milo a achetée et qu'il amène chez les patrons : " Killing is unavoidable but is nothing to be proud" ou encore les énoncés de type moral ( " Lack of charisma can be fatal") , les constats ("Men are not monogamos"), les conseils judicieux -qui défilent pendant que Milo lit le texte sur l'art conceptuel- "Calm is more conductive to creativity than anxiety categorising fear" .
Happy ending : l’artiste rentre dans le rang, préférant la vie à l’art, quitte à perdre son nom et sa notoriété, et Milo abandonne le flingue pour le saxo.

L’acteur peintre :

La trace de l’ange : William Cove, 1990, titre original Michel Angel( !)  est une parodie gore des pratiques picturales, le serial painter et son rapport à la  défunte mère et à la Crucifixion de Grünewald. Du plus haut comique au second degré. Dennis Hopper, peintre lui-même dans la mouvance Rauschenberg se prête au rôle avec emphase et sans doublure (les toiles ne sont pas de lui, mais entretiennent un curieux rapport avec celles de Schnabel).


Dans les pratiques plastiques, le rituel répétitif est mis en avant parce que c’est dans la transsubstantiation matière picturale/symbole que fonctionne la création : l’image est seconde, elle mime ici le dispositif normal de la peinture religieuse. Il est donc nécessaire pour le cinéaste d’en monter plus, ce qui fait par là passer le récit dramatique dans la catégorie du gore. L’inmontrable est le corps ouvert. L’action se situe dans les caraïbes ce qui permet de coupler le catholicisme et le vaudou.
Au cinéma, l’artiste est un névrosé ou un criminel, ce que les films de Corman, A bucket of blood  ou Ferrara, Driller Killer, et que les citations d’œuvres avaient illustré : Dans l’Exorciste une gigantesque reproduction du Christ mort de Mantegna ou dans le Silence des agneaux , le corps du garde écartelé.( Hannibal Lector est  par ailleurs dessinateur de vues d’Italie romantiques …).
Le paradigme d’une mystique de la torture  (l’horreur/l’extase) visible dans le retable d’Issenheim (Grünewald) fonde le rapport entre peintre et sujet ; le drame intérieur , le déchirement qui traverse le peintre dans l’élaboration de l’oeuvre en cours est l’un des pôles de l’expressionnisme; il ne s’agit pas toujours  de la forme visible comme chez Bacon, mais du travail intérieur, l’image n’étant qu’un indice et la résultante, de Munch à Pollock en passant par Van Gogh.
Le film culmine avec la parodie d’eucharistie dans l’atelier de Louis « Garou »/  Hopper: « maman, pourquoi m’as-tu fait cela ». Sous un être crucifié hybride : le sexe coupé masculin est amovible comme le fétiche sur une statue de femme. Substituts  au phallus et à l’acte sexuel, des  capotes bourrées de peinture sont projetées sur la toile.






Le rituel religieux est inversé, la question du vampirisme, fait un lien cinématographique supplémentaire, à terme le jeune peintre est contaminé.
On passe de la restauration d’une fresque de l’Assomption de la Vierge par le peintre jésuite  occasionnel à la scène du crime analysée par le même religieux « critique d’art éclairé »  sur la gestuelle et le style des traces de sang.  Leçon : Qu’est-ce que l’expressionnisme abstrait !. 




Le film se termine avec la galeriste  « gothique » qui propose à ses clients les toiles au sang du tueur et celles du prêtre reconverti en  serial killer.
L’œuvre vaut son prix par la volonté du client d’acquérir les restes du mal, un autre fétichisme.



Et le film ne vaut que pour l’accumulation -sous forme de poncifs- de textes d’historiens et psychanalystes de l’art. On peut lire avec profit « La peinture et le mal » de Jacques Henric.

Par ailleurs, le passage par l’Actor’s studio  de Dennis Hopper permet toutes les outrances. Ce qui réjouit le spectateur dans le décodage de ce nanar incroyable.


[1] Le film inédit en salle a été diffusé en VO sur Canal+ en 1993, avec un ,commentaire critique médiocrisant (série B) et diffusé le 29 Mars 97 dans le genre "téléfilm", le samedi soir, sur TF1, en version française. Sous le titre très joke: "Une trop belle cible" . En DVD depuis et réévalué comme bon thriller.