mardi 8 janvier 2013

RENOIR / RENOIR, Gilles Bourdos


RENOIR (et RENOIR) Gilles Bourdos, France, 2012

 De belles images, sur un sujet encore porteur, le patrimoine national et les trésors de la peinture de nos musées font-elles un bon film?   Les critiques sont divisés. Des envolées dithyrambiques aux commentaires réservés, le débat est ouvert.
Le film de Gilles Bourdos évoque les relations entre Auguste Renoir à la fin de sa vie, dans sa propriété de Provence et son harem de bonnes, avec son dernier modèle Dédée, et son fils Jean, blessé de guerre, en 1915. Le petit dernier, Claude, erre dans le paysage. Le film réfute la catégorie biopic, en ne se consacrant qu’a une séquence de la vie du peintre. Ce fut le cas du Van Gogh de Pialat qui a sans doute autant inspiré le réalisateur que  Un Dimanche à la campagne de Tavernier.



La référence à la « théorie du bouchon », citée dans tous les articles sur le maître explique-t-elle le manque de structuration du scénario, qui rend le film plus creux que passionnant en dépit de la somptuosité des paysages, de la lumière et de la plastique du modèle ? 
Un ami peintre est sorti tout aussi irrité que moi, en pointant la médiocrité des dessins et toiles en cours, ainsi que des copies au mur. Toujours le même écueil des films sur l’art, le prête-main, l’anachronisme du médium, sauf peintres modernes, et ici une vision dépassée de ce qui faisait l’art  vivant au début du XXè, mais qui remplit de ferveur (les salles) et le public (sénior) nostalgique d’une nature panthéiste et de nus en peinture, de belles femmes de préférence.
De fait, les plans de feuillage, de ciels et de rivière sont intemporels, le pique-nique un moment plaisant, qui anticipe la Partie de campagne, et renvoie aussi aux motifs impressionnistes, le bord de l’eau, le vent, les parasols.
Les séances de pose en atelier ou en plein air réjouissent la vue, la chair est ferme et tendre, la chevelure ruisselle. 




Le peintre, incarné par Michel Bouquet, (un peu trop Michel Bouquet) fort crédible, fausse barbe visible, tient ses prothèses avec douleur et le regard plus vif que le geste reste concupiscent.  Renoir eut-il une jeunesse ou une maturité  (voir les oeuvres de la fin du XIXè) avant la décrépitude?


Renoir, 1915, dans le film de Sacha  Guitry.












Un documentaire : Renoirs(s), en suivant les fils de l’eau, Anne-Marie Faux et Jean-Pierre Devilliers, 2005, basé sur des entretiens avec Jean Renoir, et des extraits de films construisait les relations entre le père et le fils : Les relations thématiques entre l’inspiration des films et la mémoire de la peinture y sont développées, de la Partie de campagne, Boudu,  ainsi que les liens affectifs. Selon Jean, pendant sa convalescence, Auguste se serait longuement confié. 



Ce que le film de Bourdos  omet  ou ignore en montrant un solitaire avare de paroles. Enigme. Mais c’est cette retenue qui donne la qualité de l’interprétation de Jean/Vincent Rottiers. Des heures de tournage, dont les rencontres orageuses avec le collectionneur Vollard, ont été coupées au montage, ce qui aurait pu sortir le récit des allers-retours en chaise à porteurs.  
Mais était-ce bien utile de faire passer, après  la revue des gueules cassées, un sosie anticipateur de Eric von Stroheim ??? 


Père et fils, 1915 

Le cinéma, on le sait, fabrique un mythe de l’artiste hors  norme ; le maudit, le surhomme, les morts jeunes, et les  « hors d’age ». 

Pour mémoire, il y eut dans des « biopics » d’autres représentations fugaces de Renoir : 

Le « Papa-Renoir » plus jeune,  années 1885, nourri par Valadon dans Lautrec de Planchon (l’acteur Philippe Clay jouait dans French Cancan de Jean Renoir, une forme de référence subtile). 


Le Renoir gâteux visité par Picasso et Modigliani, dans le Modigliani (terrifiant) de Mick Davis  en 2004 est aussi nourri par son modèle.



Tous ces portraits se réfèrent aux images du film  « Ceux de chez nous », tourné par Sacha Guitry en 1915, où l’on voit le vieux peintre aux mains déformées et attachées par des bandelettes avec son fils Jean. La date est donc fondamentale. L’image demeure.

Une interview de l’auteur Gilles Bourdos sur une chaîne câblée témoigne de l’importance des recherches, ce que l’on conçoit, et sur  la focalisation sur le personnage d’Andrée, très gourgandine, la future Catherine Hessling épouse de Jean  et actrice des films dont Nana. L’actrice  Christa Theret est plus belle et voluptueuse, et l’on se demande toujours comment les femmes de Renoir ont pu être peintes comme des bourrelets cellulitiques, c’est Rubens plus que Titien, qui est cité dans les dialogues. Ceci est un point de vue personnel ; à ce propos, à l’Orangerie, au moment de l’exposition Soutine -passionnante- la traversée de la Collection Paul Guillaume m’avait frappé par des toiles impressionnistes très moyennes, les bonnes sont  ailleurs.
Mais Monet, même vieux et souffrant de problèmes de vision, reste le maître de la couleur du fil de l’eau. Moralité, retourner au musée...


Reste un gros plan superbe de la couleur fuligineuse diffusant dans le bol d’eau (mais hélas répété en liaison directe avec la chevelure) plus magique  que les laborieuses touches du pinceau sur la toile. L’artiste contemporain Sarkis avait réalisé une série fascinante de très courtes méditations sur la peinture à partir de ce seul geste.