RENOIR
(et RENOIR) Gilles Bourdos, France, 2012
De
belles images, sur un sujet encore porteur, le patrimoine national et les
trésors de la peinture de nos musées font-elles un bon film? Les critiques sont divisés. Des
envolées dithyrambiques aux commentaires réservés, le débat est ouvert.
Le
film de Gilles Bourdos évoque les relations entre Auguste Renoir à la fin de sa
vie, dans sa propriété de Provence et son harem de bonnes, avec son dernier
modèle Dédée, et son fils Jean, blessé de guerre, en 1915. Le petit dernier,
Claude, erre dans le paysage. Le film réfute la catégorie biopic, en ne se
consacrant qu’a une séquence de la vie du peintre. Ce fut le cas du Van Gogh de Pialat qui a sans doute autant inspiré le
réalisateur que Un Dimanche à
la campagne de Tavernier.
La
référence à la « théorie du bouchon », citée dans tous les articles
sur le maître explique-t-elle le manque de structuration du scénario, qui rend
le film plus creux que passionnant en dépit de la somptuosité des paysages, de
la lumière et de la plastique du modèle ?
Un
ami peintre est sorti tout aussi irrité que moi, en pointant la médiocrité des
dessins et toiles en cours, ainsi que des copies au mur. Toujours le même
écueil des films sur l’art, le prête-main, l’anachronisme du médium, sauf
peintres modernes, et ici une vision dépassée de ce qui faisait l’art vivant au début du XXè, mais qui
remplit de ferveur (les salles) et le public (sénior) nostalgique d’une nature
panthéiste et de nus en peinture, de belles femmes de préférence.
De
fait, les plans de feuillage, de ciels et de rivière sont intemporels, le
pique-nique un moment plaisant, qui anticipe la Partie de campagne, et renvoie aussi aux motifs impressionnistes, le
bord de l’eau, le vent, les parasols.
Les séances de pose en atelier ou en plein air réjouissent la vue, la chair est ferme et tendre, la chevelure ruisselle.
Le
peintre, incarné par Michel Bouquet, (un peu trop Michel Bouquet) fort
crédible, fausse barbe visible, tient ses prothèses avec douleur et le regard
plus vif que le geste reste concupiscent.
Renoir eut-il une jeunesse ou une maturité (voir les oeuvres de la fin du XIXè) avant la décrépitude?
Renoir, 1915, dans le film de Sacha Guitry. |
Un
documentaire : Renoirs(s), en suivant les fils de l’eau, Anne-Marie Faux et Jean-Pierre Devilliers, 2005,
basé sur des entretiens avec Jean Renoir, et des extraits de films construisait
les relations entre le père et le fils : Les relations thématiques entre
l’inspiration des films et la mémoire de la peinture y sont développées, de la Partie
de campagne, Boudu, ainsi que les liens affectifs. Selon
Jean, pendant sa convalescence, Auguste se serait longuement confié.
Ce
que le film de Bourdos omet ou ignore en montrant un solitaire
avare de paroles. Enigme. Mais c’est cette retenue qui donne la qualité de
l’interprétation de Jean/Vincent Rottiers. Des heures de tournage, dont les
rencontres orageuses avec le collectionneur Vollard, ont été coupées au
montage, ce qui aurait pu sortir le récit des allers-retours en chaise à
porteurs.
Mais
était-ce bien utile de faire passer, après la revue des gueules cassées, un sosie anticipateur de Eric
von Stroheim ???
Père et fils, 1915 |
Le
cinéma, on le sait, fabrique un mythe de l’artiste hors norme ; le maudit, le surhomme,
les morts jeunes, et les
« hors d’age ».
Pour
mémoire, il y eut dans des « biopics » d’autres représentations
fugaces de Renoir :
Le « Papa-Renoir » plus jeune, années 1885, nourri par Valadon dans Lautrec de Planchon (l’acteur Philippe Clay jouait dans French
Cancan de Jean Renoir, une forme
de référence subtile).
Le Renoir gâteux visité par Picasso et Modigliani, dans
le Modigliani (terrifiant) de
Mick Davis en 2004 est aussi
nourri par son modèle.
Tous
ces portraits se réfèrent aux images du film « Ceux de chez nous », tourné par Sacha Guitry en 1915, où l’on voit le
vieux peintre aux mains déformées et attachées par des bandelettes avec son
fils Jean. La date est donc fondamentale. L’image demeure.
Une
interview de l’auteur Gilles Bourdos sur une chaîne câblée témoigne de
l’importance des recherches, ce que l’on conçoit, et sur la focalisation sur le personnage
d’Andrée, très gourgandine, la future Catherine Hessling épouse de Jean et actrice des films dont Nana. L’actrice
Christa Theret est plus belle et voluptueuse, et l’on se demande
toujours comment les femmes de Renoir ont pu être peintes comme des bourrelets
cellulitiques, c’est Rubens plus que Titien, qui est cité dans les dialogues.
Ceci est un point de vue personnel ; à ce propos, à l’Orangerie, au moment
de l’exposition Soutine -passionnante- la traversée de la Collection Paul
Guillaume m’avait frappé par des toiles impressionnistes très moyennes, les bonnes
sont ailleurs.
Mais
Monet, même vieux et souffrant de problèmes de vision, reste le maître de la
couleur du fil de l’eau. Moralité, retourner au musée...
Reste
un gros plan superbe de la couleur fuligineuse diffusant dans le bol d’eau
(mais hélas répété en liaison directe avec la chevelure) plus magique que les laborieuses touches du pinceau
sur la toile. L’artiste contemporain Sarkis avait réalisé une série fascinante
de très courtes méditations sur la peinture à partir de ce seul geste.
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