jeudi 9 juin 2011

Du BIOPIC à L'AUTOFICTION: Cinéma et ART CONTEMPORAIN.1.



Vrais/Faux documentaires
L’ordre chronologique des productions importe ici, qui est moins nécessaire dans le biopic standard, en raison même du genre, hormis précisément pour ce qui concerne l’aspect documentaire ; les biopics les plus récents sont souvent les mieux étayés quand ils concernent des artistes du XXe siècle. (Frida, Pollock) Les artistes dans leur rôle ou du moins leur implication dans certaines films (on en verra quelques uns)  après 1960 changent le statut  de la fiction.

Le film A bigger splash, (Jack Hazan, D Hockney, GB 1974) mettant en scène David Hockney, au quotidien en 1971/72 ouvre à une forme nouvelle de narration concernant les artistes vivants dans leur travail : une étude chronologique de la conception d’une œuvre, tressée avec les événements de la vie quotidienne, affective et amoureuse.

Le titre fait référence à la peinture « A bigger splash, 1969/71)  le plus grand format de la série des piscines avec éclaboussures. Que l’on voit dans la galerie à la fin du film.

David Hockney et Mo

Entre documentaire et autoanalyse, le film permet de suivre en temps réel ( quoique les séquences soient construites avec des ellipses) l’élaboration de la peinture : « Portrait d’un artiste  ( John et Mo puis John et Peter qui remplace Mo dans la version définitive. 
De Londres à New York pour l’exposition, la peinture est modifiée, la vue initiale d’une piscine dans le sud-ouest de la France, après changement de modèle.

Les prises de vue de Peter dans Hyde Park à Londres ( on peut y voir une référence à Blow Up d’Antonioni, 1967) le jeune amant dont DH vient de rompre permet au spectateur de comprendre le processus du travail : projection de l’image photographique, détourage par Mo l’assistant puis mise en couleur par l’auteur sur le même « décor », la piscine et son nageur. 



Les intervalles pendant un an sont donc remplis par les rencontres, avec les amis, Célia et Ossie, la relation gay, en direct (scandale à l’époque), la douche, autant de faits convertis en images, parmi les plus connues du catalogue de l’époque, des icônes. Très british aussi. Documentaire sur le swinging london.
Concordance à terme entre la figure de l’artiste et l’œuvre, la part déjà très médiatisée et le roman vrai d’un tableau.

Downtown 81  E. Bertoglio, 2000. Tourné en 80/81, sorti en 2010 ( concordance avec l’exposition au MAMVP) met en scène le jeune Basquiat, (1960-1988) Période SAMO,  rencontres au Mudd Club puis au Club 57 . Le film suit Basquiat, inconnu, acteur dans son errance, une toile à la main, avant  la première invitation en 81 au New York-New Wawe ( la première expo à eu lieu chez Annina Nosei en 82, voir le film Basquiat de Schnabel),
Milieu underground +musico que peinture : Basquiat à la recherche d’un peu d’argent, se produit en musique ; une fin irréelle avec le baiser de la fée et une valise d’argent. Musique groupes et Vincent Gallo au générique. Entre documentaire et fiction, sur le modèle Hockney, le film s’intéresse au quartier Downtown qui ouvrait les premiers lofts.


Sur la trame de l’élaboration d’une peinture, un autre film plus confidentiel :
Le songe de la lumière, Victor Erice, Esp, 1992, est entièrement consacré au travail du peintre espagnol  Antonio Lopez Garcia :   Méditation sur le passage des saisons, de la lumière et de l’avancement du tableau : l’arbre , un cognassier du jardin. Le processus est respecté dans sa méticulosité, depuis la construction du chassis, les premiers réseaux, la palette et le médium, le marouflage d’une toile pour un dessin (au millimètre près) pour reprendre le sujet, suspension de la peinture pour cause de météo, et la chute des fruits. Ce qui a permis de qualifier le film de documentaire. Le travail d’observation dans la durée va dans ce sens mais le dispositif de composition rigoureusement axial (l’arbre est étayé -les fruits marqués pour ne pas perdre le fil- puis protégé de la pluie par un dôme de plastique, tel la tente d’une madone de la renaissance) la réflexion sur l’acte de peindre qui alterne avec le travail des ouvriers étrangers qui restaurent la maison dépasse le simple enregistrement. Le dialogue avec l’ami peintre insère une histoire du milieu, la radio informe sur l’actualité tragique.. Le commentaire sur Le jugement dernier, corroborant la recherche de vérité et de valeur quasi religieuse de la création. Les questions des chinois : les autres peintres commencent par copier une photo.  En intérieur, à la fin, après le démontage et la consommation des coings, le peintre pose en gisant pour sa femme. Celle-ci gravait le même sujet et reprend son motif.
La quête obsessionnelle ramène à la posture de Cézanne, la touche et le cadrage aussi mais sans réitération fébrile.  Le dessin précisionniste façon Cueco. Du 30 septembre à fin décembre, un seul objet, l’arbre comme un être humain. Le retour du cycle un peu optimiste clôt le film, dont la caméra en ombre remplaçait le peintre devant la scène des coings tombés. Lumière lunaire morte.

Enquête sur un secret. Mariana Otero, 2003 ;
Une double recherche, le collectage des œuvres de Clotilde Vautier, et les raisons de son décès au moment d’une exposition en mars 68 à Rennes. Ses deux filles Mariana, la réalisatrice et Isabel, l’actrice, interrogent ainsi la famille et les proches  pour faire surgir le secret gardé trente ans de la mort de leur mère des suites d’un avortement clandestin -dénonciation discrète de l’état d’une société répressive. Elle ne fut pas la seule à disparaître ainsi de la scène artistique.
Le film s’attache à l’étude des peintures cachées elles aussi dans un placard, en vue d’une exposition rétrospective qui le clôt .
L’atelier est alors reconstitué, l’appartement drapé de blanc, double usage, symbolique et cinématographique pour la lumière nécessaire aux prises de vue, et les proches analysent le procès de travail : Antonio, le mari, décrit l’élaboration des œuvres, des croquis à la toile, Mariano, le beau-frère mime la touche -tous deux sont peintres- les modèles reprennent la pose, une restauratrice étudie la facture des tableaux, des nus féminins sensuels, autoportraits, principalement, des portraits austères à l’espagnole, et des paysages. Autant de témoins d’une courte vie consacrée à la peinture. D’une justesse, émouvante ont pu dire les critiques, et pour qui a connu (comme je l’ai approché) le milieu et aussi le « style » issu de l’école, terriblement  réaliste, a posteriori.   

Sur une trame comparable, le film My Architect de Nathaniel Kahn, 2004 : qualifié de documentaire. L’auteur recherche les témoignages et les oeuvres (très connues) de son père, Louis Kahn (1901-1974) qu’il n’a pas connu (plusieurs foyers et enfants, l’architecte se consacrait à son travail). Rencontres, avec les familles et les confrères, positives ou non, les ennemis dans le milieu s’opposaient aux choix non académiques ; visite des sites, de Californie au Bengladesh : une approche passionnante, modeste, affective, d’un personnage dont les formes et les choix techniques et esthétiques furent novateurs et  même politiquement évidents (voir le parlement de Dacca). 

La forme de l’enquête sur une œuvre a trouvé sa filmographie, des fictions historiques, depuis  L’hypothèse du tableau volé, Raul Ruiz, 1978., des presque « policiers », La ronde de nuit, Peter Greenaway, 2007,Ce que mes yeux ont vu, De Bartillat, 2007, à propos de Watteau, des reconstitutions, Cindy, this doll is mine, Bertrand Bonello, 2005, Du meilleur au pire (Fur, portrait imaginaire de Diane Arbus,  S. Sheinberg, 2007), les artistes, les raisons de la création sont une énigme, les œuvres des indices. Le développement de l’historiographie, et l’industrie culturelle augmentent le romanesque de la figure du héros.

Autofictions


Le développement des supports légers, la vidéo comme médium de création, permet aux artistes contemporains de s’approprier une nouvelle forme de fabrication d’images.
La posture de « l’artiste en personne » que jouent nombre de plasticiens se traduit par la photographie, la performance (mais ce n’est pas nouveau, dès les années 20 les dadaïstes les ont pratiquées) et depuis les années 90 le cinéma. Le cas de David Hockney est sans doute le plus flagrant de mise en scène de la personne.

Soit l’artiste est assisté d’un technicien ou d’une équipe  (les marches de Richard Long dans Stones and Flies) qui enregistrent les actions, soit l’appareil est le tiers nécessaire -comme l’était le miroir pour les autoportraits-  au filmage y compris en studio : Une sorte de double qui documente le travail. La fiction sur Cindy Sherman est une sorte de personnification de l’instrument. Asia Argento assurant les deux rôles.

Le double et le travail à deux  fondent quelques productions.

De Sophie Calle, dont les aventures de son personnage, en femme de chambre, en détective et autres journaux vécus, le film No sex last night, 1999, est le plus connu ( et diffusé en salle).
Récit d’un road movie à travers les Etats Unis, en compagnie de l’homme qu’elle veut épouser, et qu’elle épouse à Las Vegas, la caméra se joue à deux, dans un échange permanent. Le commentaire in ou off selon les moments vaut pour un journal intime. On a inventé pour la circonstance le terme de « extime » qui traduit la tendance exhibitionniste de sujet.
Drolatique et  autocritique, chaque séquence est ponctuée du constat « No sex last night », lequel correspond aussi à un cliché édité en photo.
Le film est donc l’œuvre et son documentaire, ce que d’autres reprennent, l’autofiction étant devenue une tendance lourde pour les étudiants.

Double encore, le couple d’ « ours », Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard qui vivent et réalisent Dancing , 2003. L’un est écrivain, l’autre plasticien, travaillant pour la circonstance dans l’ancien casino d’Audierne. Au mur la photographie d’un binôme des années 50. Le lien au monde extérieur est assuré par visioconférences avec le galeriste incarné par le critique Jean-Yves Jouannais. (connu pour la défense des nains de jardin). Entre tâches quotidiennes et plaisirs privés, PM Bernard tente de réaliser des ours gonflables en bullpack, puis sombrant dans des délires et hallucinations, se transforme en une sorte de Bécassine, dans une performance pathétique.



 Le numérique permettant les trucages, à son tour, JYJ voit ses clones sortir des caves pour une séance de sport collectif. Réservé aux spécialistes du contemporain, mais sans modération.



En solo, l’autofiction :

 Moi toi et tous les autres, Miranda July, 2005, dépasse l’approche narcissique d’une artiste encore inconnue. L’auteur filme le quotidien des voisins, middle class, limite borderline. Elle se filme aussi devant des images et enregistre ses commentaires.
Le principe de « l’adresse » à un interlocuteur ressortit aux formes contemporaines. La galeriste coincée cède devant les cassettes vidéo mais aussi grâce à un échange de courrier du coeur quelque peu porno (le môme du voisin formulant des invitations cocasses avec les signes de ponctuation en copier/coller). Happy ending, exposition, accord avec le voisin barjot. Un charme plus conceptuel qu’il n’apparaît dans la maîtrise du multimédia.

Enfin pour une autobiographie fiction, le film de Takeshi KITANO :
 Achille et la tortue, 2009. Sorti juste avant une exposition retrospective à la fondation Cartier.
Générique en parabole dessin animé péplum, début dans la tradition du cinéma japonais :
Le héros, de l’enfance de l’art, ou de l’art de l’enfance (des poules et des poissons)  au peintre naïf persévérant dans le devenir « contemporain ».  Kitano dans son propre personnage : Une totale parodie du XXe siècle :
Le rêve de l’art parisien, la transmission par le béret, l’atelier académique ( dialogues incontournables).
Tous les courants se succèdent, mais avec la « Kitano touch » ( cerne épais polychrome issu du Pop Art) sur Mondrian, Kandinski, Klee, Miro, Hundertwasser. Vaguement Picasso (découpage des figures). La figure du galeriste critique est déterminante : « rien ne va, c’est de la copie, pas assez original, pas assez conceptuel, pas assez engagé »..



La bande des copains d’atelier expérimente les installations du genre nouveau réalisme, Spoerri ; puis l’action painting en vélo, en voiture (mort du conducteur), Jim Dine, Warhol, l’accident suite ( citation du film sur Bacon).
Les  rideaux  de magasins selon Basquiat qui seront repeints en blanc (Ryman).





 Collaboration avec sa femme  « couple d’artiste » : 










une séance vélo, (plan en plongée à l’horizontale, citation d’une performance Fluxus de Nam June Païk), nombreuses séances de dripping, séances Klein, boxe d’appartement (référence années 90, KO, l’épouse), la Véronique sur le cadavre de sa fille. Une autre citation : un monochrome (sanglant) à la Claude Rutault.



Tentative d’aller au bout , les suicides -ratés : Hommage terminal à Van Gogh, tournesol en main. Miraculé, l’artiste finit par la vente d’un canette de coca écrasée... Happy ending, exit Warhol et la peinture en aplat.
Kitano nous offre le tour de tous les mouvements artistiques, en conservant un style, et un humour plus décapant que tous les yakusas des films antérieurs ( quoique le policier de HanaBi peignait des fleurs). Une synthèse que l’on trouve sous une autre forme dans Musée haut/musée bas.

Le recyclage de l’art n’en finit pas, puisque Woody nous fait rencontrer les artistes des années 20 et de 1890 dans son dernier film.

sur les fictions/fictions, à suivre...