mercredi 28 septembre 2011

Dennis Hopper de la série artistes de fiction


Dennis Hopper, des rôles d’artiste.

Le réalisateur, 1936-2010, connu dans les années 60 par son  individualisme et sa position marginale est révélé par le film culte : « Easy rider »  dont  on a l’impression qu’il est régulièrement réinventé. Ce qui est le propre du mythe : Celui de Dennis Hopper depuis son décès.  Ses divers talents alimentent la figure de l’artiste.
Parallèlement aux  rôles d’acteur, il se consacre à la photo dans le milieu artistique d’Hollywood (ami de Warhol, Kienholz, en peinture il admire Diebenkorn). Influencé par les pratiques de Rauschenberg et aussi du Pop Art auquel il appartient  comme peintre.  Il a fait l’objet de rétrospectives, Amsterdam 2002;  Cinémathèque à Paris, 2008.

This is art (Marcel's dilemma) 1997

Comme acteur, des rôles incontournables : bons ou moins, grands ou petits : du photographe de Apocalypse Now, Coppola, ou L’ami Américain, Wenders, à des séries télé, son nom fait tête d’affiche.
Sa place dans le milieu de l’art, et son investissement (financier aussi pour des productions)lui ont permis de synthétiser les différentes fonctions dans plusieurs films :
Collectionneur comme son ami Vincent Price, (star des films d’horreur), il est crédité dans Meurtre Parfait  (A. Davies, 2003) pour le prêt de l’atelier de Viggo Mortensen (peintre lui-même à temps partiel).
Acteur, il incarne le collectionneur et galeriste suisse Bishofberger qui fit la renommée de Basquiat dans le film de Julian Schnabel en 2000 (peintre  aussi du nouvel expressionnisme d’origine allemande, David Bowie y joue Warhol). Le milieu de l’art marque donc certains de ses films.

Hopper réalisateur :
Colors  1988, un film policier sur le milieu latino des gangs à LA, sur fond de repérages des tags et murs peints. Montés sur des palissades les montages de photogrammes et  de peintures issus des prises de vue du film figurent dans les rétrospectives.


One on four joiners, 1992



Catchfire, 1987 ? [1], ou Backtrap, piège en retour, un polar atypique mettant en scène une femme artiste, à travers l'image qui peut en être donnée dans un récit  hybride et une romance de la civilisation contemporaine.
L'artiste Jenny Holzer, artiste conceptuelle connue dans le milieu New-Yorkais et sur le marché international de l'art contemporain a prêté ses œuvres, comme d’autres artistes et collectionneurs des amis.


Sous le nom d'Ann Benton et l'aspect de Jodie Foster, l’artiste de fiction est témoin accidentel d'un meurtre mafieux. Préférant fuir que de témoigner et risquer la mort en dépit d'une surveillance rapprochée, elle se reconvertit. La mafia lance un tueur (Dennis Hopper) à sa recherche, la police aussi tente de la retrouver. Double traque.
Le tueur, « Milo », solitaire cynique et maniaque, saxophoniste à ses heures et amateur de peinture ancienne  (au mur une copie du Jardin des délices  de Jérôme Bosch) pour retrouver une piste ouvre sa propre enquête sur l'art contemporain pour déterminer les critères (du style) qui permettront de situer l'auteur par rapport à la présentation publique éventuelle d'un travail. Et pour comprendre la catégorie à laquelle est attachée Ann Benton, il lit une définition plus apte que n'importe quelle explication littérale, à critiquer l'art conceptuel : pure tautologie.
"l' aspect visuel ne s'attache qu'aux références extérieures au contexte et au concept". "Ce qui est connu est connu, et inconnu puis connu.." (bullshit, je préfère les photos érotiques…)



Trouvant une publicité de rouge à lèvres dans une revue : "Protect me from what I want" -l’énoncé le plus célèbre de J Holzer- il  en reconnaît l’auteur. 



Après avoir localisé sa cible, il entame une poursuite depuis Seattle jusqu'au  Nouveau-Mexique ; poursuite puis rapt  qui se transformera progressivement en fugue à deux amants contre le gang et contre l'ordre. Le road-movie  s'achève en explosion gigantesque dans des raffineries de San Pedro en Californie, lieu du crime initial.
Les autres artistes : dans l'appartement d'Ann Benton une pièce de Ed Ruscha  On note aussi la présence de Bob Dylan dans le rôle d'un peintre/sculpteur d'un courant entre expressionnisme et abstraction : 
opposition entre matière découpée à la tronçonneuse et concept, les deux courants américains des années 80. Les nombreuses autres références, dont Georgia O’Keefe, Wesselman, ou Groucho Marx et Hitchcock en font un film à clés.

Les techniques de recherche: la visite des lieux de l'art : l'atelier, les galeries:  la découverte des objets, de leur prix - ni plus ni moins exorbitants que la prime du tueur devient une critique par effet de symétrie, galerie ou loft, valeur de placement de l'oeuvre d'art. Et Vincent Price joue le rôle du parrain.
Citations : La place des oeuvres de Benton dans les plans construit une relation ironique et perverse au texte qui fait maxime par décalage et produit aussi la légende pour un autre plan :
Les énoncés de Benton-Holzer apparaissent successivement dans le film et explicitent immédiatement les dénouements : Telle la pièce que Milo a achetée et qu'il amène chez les patrons : " Killing is unavoidable but is nothing to be proud" ou encore les énoncés de type moral ( " Lack of charisma can be fatal") , les constats ("Men are not monogamos"), les conseils judicieux -qui défilent pendant que Milo lit le texte sur l'art conceptuel- "Calm is more conductive to creativity than anxiety categorising fear" .
Happy ending : l’artiste rentre dans le rang, préférant la vie à l’art, quitte à perdre son nom et sa notoriété, et Milo abandonne le flingue pour le saxo.

L’acteur peintre :

La trace de l’ange : William Cove, 1990, titre original Michel Angel( !)  est une parodie gore des pratiques picturales, le serial painter et son rapport à la  défunte mère et à la Crucifixion de Grünewald. Du plus haut comique au second degré. Dennis Hopper, peintre lui-même dans la mouvance Rauschenberg se prête au rôle avec emphase et sans doublure (les toiles ne sont pas de lui, mais entretiennent un curieux rapport avec celles de Schnabel).


Dans les pratiques plastiques, le rituel répétitif est mis en avant parce que c’est dans la transsubstantiation matière picturale/symbole que fonctionne la création : l’image est seconde, elle mime ici le dispositif normal de la peinture religieuse. Il est donc nécessaire pour le cinéaste d’en monter plus, ce qui fait par là passer le récit dramatique dans la catégorie du gore. L’inmontrable est le corps ouvert. L’action se situe dans les caraïbes ce qui permet de coupler le catholicisme et le vaudou.
Au cinéma, l’artiste est un névrosé ou un criminel, ce que les films de Corman, A bucket of blood  ou Ferrara, Driller Killer, et que les citations d’œuvres avaient illustré : Dans l’Exorciste une gigantesque reproduction du Christ mort de Mantegna ou dans le Silence des agneaux , le corps du garde écartelé.( Hannibal Lector est  par ailleurs dessinateur de vues d’Italie romantiques …).
Le paradigme d’une mystique de la torture  (l’horreur/l’extase) visible dans le retable d’Issenheim (Grünewald) fonde le rapport entre peintre et sujet ; le drame intérieur , le déchirement qui traverse le peintre dans l’élaboration de l’oeuvre en cours est l’un des pôles de l’expressionnisme; il ne s’agit pas toujours  de la forme visible comme chez Bacon, mais du travail intérieur, l’image n’étant qu’un indice et la résultante, de Munch à Pollock en passant par Van Gogh.
Le film culmine avec la parodie d’eucharistie dans l’atelier de Louis « Garou »/  Hopper: « maman, pourquoi m’as-tu fait cela ». Sous un être crucifié hybride : le sexe coupé masculin est amovible comme le fétiche sur une statue de femme. Substituts  au phallus et à l’acte sexuel, des  capotes bourrées de peinture sont projetées sur la toile.






Le rituel religieux est inversé, la question du vampirisme, fait un lien cinématographique supplémentaire, à terme le jeune peintre est contaminé.
On passe de la restauration d’une fresque de l’Assomption de la Vierge par le peintre jésuite  occasionnel à la scène du crime analysée par le même religieux « critique d’art éclairé »  sur la gestuelle et le style des traces de sang.  Leçon : Qu’est-ce que l’expressionnisme abstrait !. 




Le film se termine avec la galeriste  « gothique » qui propose à ses clients les toiles au sang du tueur et celles du prêtre reconverti en  serial killer.
L’œuvre vaut son prix par la volonté du client d’acquérir les restes du mal, un autre fétichisme.



Et le film ne vaut que pour l’accumulation -sous forme de poncifs- de textes d’historiens et psychanalystes de l’art. On peut lire avec profit « La peinture et le mal » de Jacques Henric.

Par ailleurs, le passage par l’Actor’s studio  de Dennis Hopper permet toutes les outrances. Ce qui réjouit le spectateur dans le décodage de ce nanar incroyable.


[1] Le film inédit en salle a été diffusé en VO sur Canal+ en 1993, avec un ,commentaire critique médiocrisant (série B) et diffusé le 29 Mars 97 dans le genre "téléfilm", le samedi soir, sur TF1, en version française. Sous le titre très joke: "Une trop belle cible" . En DVD depuis et réévalué comme bon thriller.

Woody Allen , de la série artistes de fiction




Woody Allen et les arts plastiques.


Les derniers films de Woody Allen contredisent sa célèbre réplique : « Tout ce que je connais de l’art, c’est Kirk Douglas dans le rôle Van Gogh ( Lust for life  Vincente Minelli, 1956).  Citation extraite de « Tout le monde dit : I love you », 1998, où la connaissance de la peinture du Tintoret, objet des recherches de la femme convoitée à Venise, aurait pu devenir une tactique de séduction. Van Gogh revient dans Midnight in Paris, par le montage de La nuit étoilée sur l’affiche du film, bien que le peintre lui-même soit absent du scénario et que le contexte culturel et parisien ne soit pas compatible : encore une séquelle du mythe.
Dans les films d’Allen, les écrivains, cinéastes qui meublent le théâtre des psy (autobiographie et narcissisme oblige) laissaient peu de place aux peintres et autres artistes plasticiens qui abondent dans les comédies américaines, chez Scorcese ou Altman et dans nombreux polars des années 80 à 2000.
Cette absence pouvait paraître étrange en raison des métiers attendus dans le milieu intellectuel et bourgeois de l’East Side qui constitue le cadre des situations sociales des personnages.

En 1986, dans Hannah et ses sœurs  Max von Sydow (un rôle secondaire, mais que l’on voit dans un loft de Downtown) incarnait un peintre asocial et jaloux. La zone de l’atelier est masquée par des bâches , les dessins - des nus fort académiques de sa jeune femme- sont montrés à un riche acheteur. Lequel est sera violemment congédié car, « on ne fait pas de l’art au mètre », « on n’assortit pas la peinture au tissu du canapé »....
Ce personnage pourrait être considéré comme une référence au peintre de « L’heure du loup » d’Ingmar Bergman,  1967 , le même acteur dans une quête semblable : dessiner sa femme, de manière obsessionnelle.  Bergman  fut  abondamment évoqué par la critique à propos de cet opus de Woody Allen, dont on connaît l’admiration pour le cinéaste suédois.  Les films de la décennie 80, Une autre femme et September justifiaient aussi cette référence.

Dans les comédies récentes, l’art contemporain prend une place nouvelle :
Deux personnages de Vicky Cristina Barcelona, 2008, Juan Antonio (Javier Bardem) et Maria Elena (Penelope Cruz) sont des artistes  peintres barcelonais. Le cadre de la ville permet de « visiter » les architectures de Gaudi, et le contexte culturel induit une référence obligée à Antoni Tapies : les toiles du couple ressemblent fortement à la facture du maître : signes et traces du geste pictural.  Geste plutôt meilleur pour Penelope, qu’on voit travailler au sol,




 car travailler sur un chassis vaguement accroché à un arbre ne garantit pas des résultats probants.. 



Les toiles (leur ressemblance est pointée par l’autre jeune femme) sont l’œuvre d’un même peintre Catalan Augusti Puig crédité au générique et dont l’appartenance à la forme locale d’expressionnisme ne fait aucun doute.
Leur amie et amante, Cristina (Scarlett Johansson) se révèle photographe au cours de son imprégnation par le milieu barcelonais et des rapports amoureux du trio/quatuor.

La révélation d’un talent occulté par une vie petite bourgeoise intervient aussi dans
 Whatever Works , 2009.  Melissa (Patricia Clarkson, excellente) la mère de la jeune Melody , s’affranchit des conventions et de la religion pour devenir photographe et collagiste : on voit dans la galerie, lors du vernissage, des grands nus photographiques composés de différents fragments anatomiques. Frontalité, objectivité cruelle et réaliste des gros plans en noir et blanc qui font référence à tout un courant de la photographie contemporaine. ( John Coplans par exemple). Le trouble sur l’identité sexuée des modèles dans l’assemblage vaut pour une théorie de l’égalité et une illustration de la libération sexuelle de Melissa.



Dans ces deux films, ce sont les personnages féminins qui accèdent ainsi à une émancipation par l’art, pictural ou photographique ; dans les films new-yorkais précédents, les héroïnes en rupture de couple tentaient de se « trouver » par la littérature ou le théâtre.

Retour sur l’histoire de l’art :
Le dernier film,  Midnight in Paris plonge le héros dans le milieu des arts en France dans les années 20, par une des magies du cinéma que Woody Allen a toujours mis en scénario, que l’on se réfère à New York Stories – la mère dans les nuages- ou plus encore à La rose pourpre du Caire : L’acteur du film sort de l’écran pour faire vivre à la pauvre Mia Farrow tous ses fantasmes d’évasion du quotidien.
La confrontation entre plusieurs temporalités sous-tend le récit, et pour Midnight in Paris, les références  historiques sont précises.
Le jeune homme, Gil (Owen Wilson) « mal fiancé », explore à chaque escapade nocturne le Paris de ses rêves, rencontrant Hemingway – grâce à « un taxi/machine à explorer le temps ». Il visite alors Gertrude Stein et Alice Toklas, croise ainsi Picasso et Matisse. La datation est donnée par la peinture de Pablo que commente Gertrude (Kathy Bates) à ses amis :




 une  Baigneuse, Dinard, 15 aôut 1928, 24x35cm (sauf erreur de vision d’un instant). Le réseau des références est conforme au milieu parisien où gravitent des américains célèbres, le couple mythique Fitzgerald, T.S Elliot et quelques étrangers.
Parmi les cinéastes de l’avant-garde, la rencontre avec Man Ray, dadaïste qui fut un acteur de la scène américaine dans les années 1915 avant de se fixer à Paris en 1921.
La période implique aussi la proximité du mouvement surréaliste : Dali à une terrasse d’un café délire sur le rhinocéros  (cocasse apparition de Adrian Brody moustachu pour l’occasion). Bunuel :1928 est l’année du Chien Andalou en collaboration avec Dali (L’age d’or date de 1930). Ils sont à Paris pour présenter le film. Leur rencontre  permet au héros de proposer au réalisateur des sujets de films par retro/anticipation : le Charme discret de la Bourgeoisie est ainsi préfiguré.
Dans la seconde strate de retour à un « age d’or », le héros est entraîné par Adriana, le modèle des peintres et ex-compagne d’ Hemingway à la fin des années 1890, où l’on trouve Gauguin et Toulouse-Lautrec ou Degas au Moulin rouge avec les figures connues de Chocolat ou Valentin que le film de John Huston, Moulin Rouge, avait mis en scène en 1965.
La visite des Nymphéas de Monet, à l’Orangerie ou le débat sur la place ou le rôle de Camille Claudel dans la vie de Rodin entrent dans la même évocation de l’histoire (mythique) de l’art.
Ainsi, par le biais d’une comédie de moeurs, Woody Allen nous fait un petit cours sur l’origine de la francophilie des intellectuels américains, tout en citant les oeuvres majeures du cinéma d’auteur.
Et puisqu’il s’agit des aventures d’un « américain à Paris », on ne peut manquer le clin d’oeil à Minnelli (1956), car les lieux touristiques parisiens revus et peints dans les décors de la comédie musicale nous baladent dans un espace magique de « cartes postales ».
Anachronisme de circonstance et intégration des artistes incontournables du pays où se situe l’action, (pour Midnight, et Vicky, la coproduction étant américano/espagnole, la moindre des choses est d’en évoquer des figures).
Pour la bande son, chaque film entre en résonance avec les « standards » de la musique (espagnole ou française) mais n’exclut jamais le jazz et le be-bop : Cole Porter est présent dans les séquences de café et par le disque. Cette petite musique accompagne tous les autres films de Woody musicien. Nostalgie, nostalgie...