vendredi 23 décembre 2022

FLESH and BLOOD , un BANQUET Médiéval.


Du bon usage de la fourchette. 


Voici venu le temps des agapes et des émissions culinaires, et donc un peu de culture cinématographique. La liste de tous les banquets au cinéma donnerait le vertige, depuis le festin de Trimalcion dans le Satyricon de Fellini, jusqu’aux spaghettis empoisonnés d’Affreux Sales et Méchants,  en passant par la Grande Bouffe de Ferreri.

A table!!!!

Pour la période médiévale, tout film de « Cape et d’Epée » comporte son banquet où s’affrontent les clans, le héros combattant viril et le lâche usurpateur, avant le duel ou le tournoi. 

Dans La Chair et le sang de Paul Verhoeven, 1985,  à contre-emploi du bon héros, le personnage principal Martin (en découlent nombre de gags sur sa sainteté) utilise les méthodes de Robin des Bois pour un pouvoir pervers et destructif dans un monde en perdition. 


Verhoeven, réalisateur néerlandais, qui failli être peintre (un mauvais Delvaux) a commencé par des films assez trash, éventuellement dans le milieu de l’art, déjà avec Rutger Hauer, avant de passer à Hollywood.

 Sa vision de la fin du Moyen-âge et du début de la Renaissance est soigneusement documentée. Non sans humour.  


On peut résumer le scénario : lors du pillage d’une ville fortifiée, la bande de mercenaires engagés par le prince Arnolfini père est grugée: le butin qui devait servir de paiement leur est confisqué. 

La bande, micro société armée sous la direction musclée de Martin et sous l’égide d’un Saint Martin et son cardinal hérétique se met en route en pillant tout sur son passage, et au détour d’un chemin rencontre le cortège de la jeune fiancée de Stéphane, le fils du prince. Lors d’une chasse, le couple s’étaient promis fidélité en consommant de la mandragore, sous le cadavre de pendus. 


Unique survivante (hormis les richesses vestimentaires qui permettent de transformer la bande en théâtre ambulant) Agnès  échappe au viol collectif; seul Martin, le chef, exerce son droit, et se rend à des arguments verbaux déjà très aiguisés, pour ne pas partager cette pucelle. 

 

La bande s’installe dans un château fort en massacrant ses habitants (à l’exception évidemment de la cuisinière) où elle sera ensuite assiégée puis éliminée par le jeune homme et quelques compagnons de guerre grâce à quelques stratégies ahurissantes.  Deux hommes, une femme en un château symbolique, et la peste. Double.. plus la compagne évincée.


Or donc on passe à table, la morceau de bravoure central.


Paul Verhoeven connait ses classiques:  dans La Kermesse Héroïque, (Feyder, 1935), le Prince envahisseur et le Chapelain, Louis Jouvet s’émerveillaient de la dextérité de Francoise Rosay à manier la fourchette, lors du banquet, piège monté par les femmes. Un film féministe avant l’heure, et celui de P V ne l’est pas moins.





Séance de dressage, de la part d’Agnès, ou comment passer d’un simple ustensile « bifide » à ses effets « pacificateurs ».  


Régime spécial..





Les rustauds bâfrent, Martin est séduit par le dessous de table, autre instrument malin,, Agnès,   tout sauf naïve. Il impose à tous une pratique cultivée, apprentissage difficile; qui se termine par un pugilat où la fourchette devient une arme. Laquelle arme fait les beaux jours du cinéma, souvent maniée par une femme. Une autre liste possible.




Après la table, le bain, la lustration et le lit, La soirée culturelle permet de visionner un spectacle de marionnettes de Wayang Kulik, récemment importé en Italie après le retour d’Indonésie de Marco-Polo.  




  Entre temps, les combattants, sous la direction du capitaine (un peu japonisant) et du jeune Arnolfini, muni des Livres de Francesco di Giorgio, entreprend le siège du château, en inventant la machine de guerre et la grande échelle des pompiers; Une métaphore grandiose. 



Le malheureux prétendant tombe dans le seul arbre de la cour et joue sur la toile le rôle du "Cocu dans l’arbre », un motif standard des fabliaux. Il gagnera la partie en inventant le lance-flamme.

Un traité historique de 1490, l'invention des engrenages..


Deuxième repas avant l’attaque, fruits et fleurs (deux bouteilles un peu anachroniques). 



Le troisième repas est fatal, l’eau infectée par le cadavre du chien, un mal répand la terreur ..

ravage les méchants, à une vitesse qui dépasse l’étude magistrale, La Peste Noire, de Patrick Boucheron.


Mais comme dans tout film d’horreur, Martin s’échappera.. On ne l’a pas revu, sauf en Réplicant….ou en Brueghel. (voir Blog 2012).


Saint Martin l'apostat..


La dernière production inattendue de Ridley Scott, Le Dernier Duel, 2021, du genre Cape et épée à l’ancienne, met en scène l’histoire vraie d’un duel en 1392 qui suit le premier procès pour viol de la femme d’un vassal du prince normand contre l’amant -d’un seul assaut. Matt Damon contre Adam Driver. Les banquets chez le prince (Ben Affleck) se terminent en joyeuses partouzes. Bon Film interdit au moins de 12 ans…ça saigne un max, mais on lit le latin. 


Pour être plus sérieux, l’idée du repas, comme célébration de la Cène, qui occupe toute l’iconographie occidentale, se trouve ici aussi fort maltraitée..

Pour ce qui est du sujet sérieux de l’invention de la fourchette, donc au XIVè, cette date approximative est attestée par les icônes d’Europe centrale car inversement elle garantit qu’elles sont postérieures.  Le Christ mangeait avec les doigts ????

 Ici,  Une Icône du Musée Onufri à Berat, en Albanie. 

                              Ce post est un résumé d’une intervention très sérieuse dans un colloque, Le banquet médiéval, en 2001…

mardi 20 décembre 2022

OPIUM, retour aux folles années..


OPIUM: Un film de Arielle Dombasle, 2013, et avec Arielle Dombasle..


L’autrice en meneuse de jeu dans la figure de Mnemosyne, déesse de la mémoire auto-couronnée entourée de sa cour: une constellation qui célèbre un aréopage historique.



Le milieu de l’art parisien entre 1918 et 23, (et quelques échappées) gravite autour de Jean Cocteau et de ses amours avec Raymond Radiguet, (1903-23) météore arrivé dans le monde, le grand, le demi et le petit des années folles.  


Autant de « monstres », un peu hybrides et objets de monstration, dans le cirque et le théâtre.

On a oublié l’époque des « monstres sacrés », d'entre deux guerres. Elle revient....



La fée Mémoire ordonne un casting de rêve, ses bons amis,  ils sont tous là, de la marquise de Noailles qui voisine avec Maurice Sachs (né en 1906, un peu jeune quand même), Coco Chanel, les Ballets Russes, André Breton, Tristan Tzara, Man Ray…

Tous au balcon pour applaudir les saltimbanques et médire cyniquement sur tout le monde. 



Tous dans les cafés, ici Le boeuf sur le toit, chantent et dansent.. Beaux décors. Souvent de montage, les acteurs ont joué sur plateau vert.



La réalisatrice, dans un long entretien, expose ses recherches sur la vie du « génie qui illumina son intellect », et exploite un maximum de documents historiques avec une certaine efficacité. 

La main ( gauche) du dessinateur, Élie Top, fort habile retrace les dessins d’origine.



En 1930 dans Opium , un récit autobiographique, Jean Cocteau (1889-1963), en cure de désintoxication racontait cette courte période. Radiguet meurt bêtement d’une intoxication à 20 ans, après la parution de  Bal du Comte d’Orgel. 

Baiser mortel !!!
Voir le dessin infra.


Au passage une très belle fumerie d’Opium où Cocteau se consolera..


Le film se construit par courtes séquences, les acteurs récitent des fragments extraits de textes et poèmes de Cocteau, chantés au besoin, et dont l’intelligibilité est très relative; les dialogues se résument à des échanges d’aphorismes et de bons mots.

Radiguet , plus bistrots prolétaires..

       Cocteau est définitivement le pluriel de cocktail. 

De la couleur au noir et blanc des inserts du ciné d’époque. Musidora n’est pas loin.


Les effets spéciaux d’animation (à l’ancienne) retrouvent un peu d’esprit Dada.  Et quelques effets annoncent Orphée. Raymond Radiguet devient pour toujours l’Ange Heurtebise.


Et les musées ont prêté des fonds de scène.  On peut pinailler sur l’exactitude de détails: Le rideau de Parade  (1917) ( réalisé par Picasso absent du casting, encore une affaire de droits ? ) et les deux personnages en carton sont identifiés comme le scandale des Mariés de la Tour Eiffel , bon ..


Scandale des "Mariés de la Tour Eiffel"??
Que Kissling, le peintre service ait fait du cubisme, on doute, mais la fantaisie ballet se revendique Comédie Musicale.


L'image du modèle


Nijinski est là avec Diaghilev, dans la théâtralité d’avant-garde (l’enterrement de Radiguet se met en scène deux fois) qui coexiste avec le goût du cirque que Cocteau tenait de son enfance. 




Ainsi, Philippe Katerine incarne le costaud souleveur de poids ( et de sa compagne ) ainsi que Nijinski, (d’une autre morphologie..) imitant la gestuelle du Spectre de La Rose, 

puis magiquement propulsé au sommet du Panthéon de Rome. 



Tous se retrouvent  au firmament dans une constellation du Cercle Arctique , un autre cirque. 

Le corps astral  du couple Mnémosyne et Cocteau bénéficie de l’aura des effets de la photo de Man Ray . Un rayonnisme  très solidifié en fils de fer.. Avant Calder.



Si on supporte la grande égérie, on peut se laisser aller au charme des animations un peu Averty, d'intermèdes musicaux sympas, pour apprécier cet OVNI, bon pour un soir de Noël un peu alcoolisé devant la télé.  Le film fut soutenu Pierre Bergé et sa donation des archives Cocteau à la Bibliothèque de la Ville de Paris. 

(je n’ai pas vu à sa sortie, j’étais au Tibet, merci le DVD trouvé par hasard à Nantes)



Pour le casting, le plus simple, est le générique pour identifier les noms et les acteurs qui font leur boulot avec l’exhibitionnisme nécéssaire.



Note: On vient d'apprendre le décès de Gilbert Lascault, historien et anthropologue auteur de l'indispensable Le monstre dans l'art Occidental...






SUR COCTEAU le dessinateur.


Les cinéphiles pourront se précipiter sur les cassettes des films, extraordinairement créatifs,

 Le sang d’un poète, La Belle et la Bête, Orphée, ou Le testament d’Orphée…


Une autre piste documentaire « animée »:

Une réalisation de Jean-Paul Fargier, pour la 5, en 2003, nous donne les références de quelques images exploitées dans Opium.  Comme bande off, les textes de Cocteau, et de nombreux entretiens enregistrés dans les dernières années. 


 

Les sales gosses

Doué pour le dessin dès son enfance, dans un milieu très bourgeois, où il a côtoyé Proust, mais par un éclectisme fabuleux, aussi bien Mistinguett que Stravinski, et le Groupe des Six.


Portrait de Cocteau par Picasso
Mistinguett






Picasso et Stravinski

Stravinski chez Coco Chanel. Un film de jan Kounen traite de cette période. Le scandale de la première du
Sacre du Printemps ouvre le film.


Nijinski
Les Ballets Russes








 








Parade, le premier décor. 


        Cocteau a aussi collaboré avec Marcel Duchamp..

Anémic Cinéma, 1923

Sa liaison avec Radiguet est documentée par des croquis et le journal autobiographique lors de sa cure de désintoxication. 


Raymond







 






Opium, 1930.



Visions sous la drogue, 
une accroissement de la conscience.


Le buste de Raymond.

Les années cinquante sont marquées par un moment un peu mystique qui l'amène à réaliser des fresques pour des églises. Créer pour Dieu.


Détail d'une crucifixion.

 Un fin plus humoristique : cité dans le film : SI je n'étais pas Académicien, j'aurais pu être Barman.