Woody Allen et les arts plastiques.
Les derniers films de Woody Allen contredisent sa célèbre réplique : « Tout ce que je connais de l’art, c’est Kirk Douglas dans le rôle Van Gogh ( Lust for life Vincente Minelli, 1956). Citation extraite de « Tout le monde dit : I love you », 1998, où la connaissance de la peinture du Tintoret, objet des recherches de la femme convoitée à Venise, aurait pu devenir une tactique de séduction. Van Gogh revient dans Midnight in Paris, par le montage de La nuit étoilée sur l’affiche du film, bien que le peintre lui-même soit absent du scénario et que le contexte culturel et parisien ne soit pas compatible : encore une séquelle du mythe.
Dans les films d’Allen, les écrivains, cinéastes qui meublent le théâtre des psy (autobiographie et narcissisme oblige) laissaient peu de place aux peintres et autres artistes plasticiens qui abondent dans les comédies américaines, chez Scorcese ou Altman et dans nombreux polars des années 80 à 2000.
Cette absence pouvait paraître étrange en raison des métiers attendus dans le milieu intellectuel et bourgeois de l’East Side qui constitue le cadre des situations sociales des personnages.
En 1986, dans Hannah et ses sœurs Max von Sydow (un rôle secondaire, mais que l’on voit dans un loft de Downtown) incarnait un peintre asocial et jaloux. La zone de l’atelier est masquée par des bâches , les dessins - des nus fort académiques de sa jeune femme- sont montrés à un riche acheteur. Lequel est sera violemment congédié car, « on ne fait pas de l’art au mètre », « on n’assortit pas la peinture au tissu du canapé »....
Ce personnage pourrait être considéré comme une référence au peintre de « L’heure du loup » d’Ingmar Bergman, 1967 , le même acteur dans une quête semblable : dessiner sa femme, de manière obsessionnelle. Bergman fut abondamment évoqué par la critique à propos de cet opus de Woody Allen, dont on connaît l’admiration pour le cinéaste suédois. Les films de la décennie 80, Une autre femme et September justifiaient aussi cette référence.
Dans les comédies récentes, l’art contemporain prend une place nouvelle :
Deux personnages de Vicky Cristina Barcelona, 2008, Juan Antonio (Javier Bardem) et Maria Elena (Penelope Cruz) sont des artistes peintres barcelonais. Le cadre de la ville permet de « visiter » les architectures de Gaudi, et le contexte culturel induit une référence obligée à Antoni Tapies : les toiles du couple ressemblent fortement à la facture du maître : signes et traces du geste pictural. Geste plutôt meilleur pour Penelope, qu’on voit travailler au sol,
car travailler sur un chassis vaguement accroché à un arbre ne garantit pas des résultats probants..
Les toiles (leur ressemblance est pointée par l’autre jeune femme) sont l’œuvre d’un même peintre Catalan Augusti Puig crédité au générique et dont l’appartenance à la forme locale d’expressionnisme ne fait aucun doute.
Leur amie et amante, Cristina (Scarlett Johansson) se révèle photographe au cours de son imprégnation par le milieu barcelonais et des rapports amoureux du trio/quatuor.
La révélation d’un talent occulté par une vie petite bourgeoise intervient aussi dans
Whatever Works , 2009. Melissa (Patricia Clarkson, excellente) la mère de la jeune Melody , s’affranchit des conventions et de la religion pour devenir photographe et collagiste : on voit dans la galerie, lors du vernissage, des grands nus photographiques composés de différents fragments anatomiques. Frontalité, objectivité cruelle et réaliste des gros plans en noir et blanc qui font référence à tout un courant de la photographie contemporaine. ( John Coplans par exemple). Le trouble sur l’identité sexuée des modèles dans l’assemblage vaut pour une théorie de l’égalité et une illustration de la libération sexuelle de Melissa.
Dans ces deux films, ce sont les personnages féminins qui accèdent ainsi à une émancipation par l’art, pictural ou photographique ; dans les films new-yorkais précédents, les héroïnes en rupture de couple tentaient de se « trouver » par la littérature ou le théâtre.
Retour sur l’histoire de l’art :
Le dernier film, Midnight in Paris plonge le héros dans le milieu des arts en France dans les années 20, par une des magies du cinéma que Woody Allen a toujours mis en scénario, que l’on se réfère à New York Stories – la mère dans les nuages- ou plus encore à La rose pourpre du Caire : L’acteur du film sort de l’écran pour faire vivre à la pauvre Mia Farrow tous ses fantasmes d’évasion du quotidien.
La confrontation entre plusieurs temporalités sous-tend le récit, et pour Midnight in Paris, les références historiques sont précises.
Le jeune homme, Gil (Owen Wilson) « mal fiancé », explore à chaque escapade nocturne le Paris de ses rêves, rencontrant Hemingway – grâce à « un taxi/machine à explorer le temps ». Il visite alors Gertrude Stein et Alice Toklas, croise ainsi Picasso et Matisse. La datation est donnée par la peinture de Pablo que commente Gertrude (Kathy Bates) à ses amis :
une Baigneuse, Dinard, 15 aôut 1928, 24x35cm (sauf erreur de vision d’un instant). Le réseau des références est conforme au milieu parisien où gravitent des américains célèbres, le couple mythique Fitzgerald, T.S Elliot et quelques étrangers.
Parmi les cinéastes de l’avant-garde, la rencontre avec Man Ray, dadaïste qui fut un acteur de la scène américaine dans les années 1915 avant de se fixer à Paris en 1921.
La période implique aussi la proximité du mouvement surréaliste : Dali à une terrasse d’un café délire sur le rhinocéros (cocasse apparition de Adrian Brody moustachu pour l’occasion). Bunuel :1928 est l’année du Chien Andalou en collaboration avec Dali (L’age d’or date de 1930). Ils sont à Paris pour présenter le film. Leur rencontre permet au héros de proposer au réalisateur des sujets de films par retro/anticipation : le Charme discret de la Bourgeoisie est ainsi préfiguré.
Dans la seconde strate de retour à un « age d’or », le héros est entraîné par Adriana, le modèle des peintres et ex-compagne d’ Hemingway à la fin des années 1890, où l’on trouve Gauguin et Toulouse-Lautrec ou Degas au Moulin rouge avec les figures connues de Chocolat ou Valentin que le film de John Huston, Moulin Rouge, avait mis en scène en 1965.
La visite des Nymphéas de Monet, à l’Orangerie ou le débat sur la place ou le rôle de Camille Claudel dans la vie de Rodin entrent dans la même évocation de l’histoire (mythique) de l’art.
Ainsi, par le biais d’une comédie de moeurs, Woody Allen nous fait un petit cours sur l’origine de la francophilie des intellectuels américains, tout en citant les oeuvres majeures du cinéma d’auteur.
Et puisqu’il s’agit des aventures d’un « américain à Paris », on ne peut manquer le clin d’oeil à Minnelli (1956), car les lieux touristiques parisiens revus et peints dans les décors de la comédie musicale nous baladent dans un espace magique de « cartes postales ».
Anachronisme de circonstance et intégration des artistes incontournables du pays où se situe l’action, (pour Midnight, et Vicky, la coproduction étant américano/espagnole, la moindre des choses est d’en évoquer des figures).
Pour la bande son, chaque film entre en résonance avec les « standards » de la musique (espagnole ou française) mais n’exclut jamais le jazz et le be-bop : Cole Porter est présent dans les séquences de café et par le disque. Cette petite musique accompagne tous les autres films de Woody musicien. Nostalgie, nostalgie...
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