L’artiste
Un film de Gaston Duprat et Mariano Cohn , Argentine/Italie, 2009.
Avec Sergio Pangaro et Alberto Laiseca.
Réception mitigée des critiques de cinéma, les grilles des sites spécialisés en donnent des.raisons : la critique de l’art contemporain est soit bienvenue soit trop stéréotypée: les poncifs du parcours de l’accès aux galeries, le rôle du critique informé, le rôle du marché sont tournés en dérision. Or même et peut être justement pour les acteurs de l’art actuel, cette critique est jouissive au second degré par son humour corrosif, couplé à une fantastique performance de l’acteur qui incarne l’artiste/autiste -des mains extraordinairement expressives, en opposition au blocage du visage et du corps sur fauteuil roulant.
Scénario : Un infirmier d’hospice gériatrique, Jorge Ramirez « adopte » Romano, un patient autiste, dont l’expression ne passe que par des dessins. Pour divers raisons financières et autres, le soignant présente dans une galerie contemporaine - sous son identité- les dessins de Romano qu’il a stocké jour après jour dans un placard. Après quelques difficultés, il obtient une exposition, des rencontres dans lesquelles seul le mutisme -considéré comme une posture artistique- lui permet d’échapper aux bavardages des vernissages ou de la télé. Les commentaires de spécialistes dubitatifs, mais « au cas où » soutiennent le travail, l’historien d’art se charge de la communication. En bout du parcours de légitimation, présentations, vernissages, catalogue, prix (Jorge gagne une voiture, comme dans un jeu télévisé) exégèses diverses, « l’artiste » est invité en Italie pour ce qu’on nomme une résidence.
Le vieux Romano en profite pour mourir subitement avant le départ..... fin ouverte dans une chambre close.
Se pose donc la question de l’authenticité du créateur, ici totalement muet sur les raisons, la méthode ou le sens du travail, mutisme lié à une inculture totale, le regard sur les œuvres visibles dans la galerie est de l’ordre de sa stupidité ; mais ces pièces ont le même effet sur la plupart des visiteurs : la galerie est plus blanche et morbide que la salle commune de l’hôpital. Comme est transformé en « white cube » l’appartement vieillot.
La singularité du parti des cinéastes tient dans un principe inédit, ne donner à voir que les hommes, jamais les pièces à conviction :
Les séquences de travail du vieux malade sont enregistrées de manière frontale, les feuilles étant invisibles, seuls les gestes, leur rythme compulsif, virgules et traits violents sont enregistrées par une caméra qui s’attache aussi au visage fermé -en opposition à l’expressivité des mains. Gros plans superbes qui permettent de projeter mentalement le tracé qu’on ne voit jamais ( et qui n’a rien à voir avec les lignes courbes de l’affiche).
Sous la pression du succès et les exigences du galeriste, Jorge en « coach » oblige Romano à varier les outils, non sans quelques difficultés. Les « pannes » du malade amènent le faux auteur à tenter sans résultat probant des « faux » jugés moins intéressants, la couleur ne fonctionne pas. Mais après un sursaut vital de Romano, formats et gestes sur supports plus larges trouvent une issue. S’ensuit un plan d’accrochage, comme dans tout musée. Si l’on tente de recomposer les images, la déception est totale, l’humour des commentaires trouve son écho lors de la présentation en galerie, le point de vue -en contre-champ- est celui de la feuille qui découpe des fenêtres dans la cloison sans que l’on voie les dessins ; énigme totale donc sur la forme de « l’oeuvre » qu’il s’agit alors d’interpréter entre geste et discours critique.
Aucun artiste moderne n’est cité, mais de toute évidence, « c’est le regardeur qui fait le tableau », et c’est une leçon critique applicable au spectateur du film. De l’humour de Marcel Duchamp aux théories d’un art déceptif ( Anne Cauquelin) en passant par une morale du vrai, le clin d’oeil est suffisant pour cibler l’art du XX°.
Pour le spécialiste, historien ou critique d’art, le mode graphique se rapporte aux productions de l’Art Brut. La conférence du professeur d’université insiste alors sur Dubuffet et ses collections. Sur l’activation d’un inconscient qui se manifeste par le trait.. D’autres sans réelle opinion font le pari d’un marché de l’art qui requiert des formes inédites et authentiques. En étudiant les productions des « singuliers de l’art », que ce soit dans les collections de Dubuffet ou de la collection Prinzhorn,( cf. son ouvrage : « Expressions de la folie ») en dépit de la compulsion, rien ne correspond à ce niveau répétitif aléatoire primaire. Sauf peut-être chez des artistes « non-malades », qui pratiquaient un dessin automatique éventuellement sous acide dans les années 40 ou 50. Les gestes d’André Masson, de Henri Michaux, des américains comme Marc Tobey, puis Bryon Gysin travaillant des écrits sans textes, les dessins de Pollock n’ont pas cet aspect incisif et déstructuré.
L’activité pulsionnelle, sans autre sens que sa mécanique tordue, produit un signe , sans référent ou encore un signifiant sans autre signifié que l’existence de la main qui concentre toutes les énergies du corps, ici, impotent :
Le geste réactive donc des théories du dessin :
Un texte de Chaké Matossian (in : La part de l’oeil, n°6, Bruxelles, 1990, p.93) développe l’impulsion du grattage et des démangeaisons de l’artiste : « La vie de la main semble alors indissociable du geste machinal, d’un mouvement répétitif entre douleur et volupté. Ce geste renvoie le corps à son être-machine, à une perte de soi dans le vertige de la répétition. (..) provoquant par là-même une réaction mimétique chez le spectateur...»
C’est précisément dans ces séquences que le cinéaste (et l’acteur) touche au vif du sujet : le rapport entre art et thérapie, largement étudié et mis en application par les psychiatres.
Un survol de la filmographie des cas de névroses et psychoses compensées par l’expression artistique permet de démonter comment les artistes sont connus pour leurs tendances névropathes -c’est le cas de nombre de biopics. (voir les chapitres antérieurs).
Les fictions ont créé des scénarios stéréotypés. Benny and Joon, J.Chechik, 1992 ; Prick up your ears, S. Frears, 1987, A la folie pas du tout, L. Colombani, 2001, etc... On y reviendra.
Au-delà du moment créatif de l’autiste, l’objet de la réflexion des auteurs de L’artiste, est essentiellement axée sur la parodie des stratégies de l’art contemporain. Parodie que Musée haut musée bas de Jean Michel Ribes avait déjà traitée.
Répétitif, incisif, ou ennuyeux et trop facile ont pu écrire certains, il n’est pas inutile de voir le film entre deux galeries parisiennes.....
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