jeudi 10 novembre 2011

MUSEES et Galeries dans le cinéma de fiction


Cadres à Risques

 Hors de mon propos qui est d’analyser les films qui comportent des artistes au travail, un détour s’impose sur le contexte muséal de plus en plus rentable pour une consommation grand public (au grand désespoir des professionnels qui ne trouvent plus de créneau pour voir les oeuvres de leur choix). Entre les foules égarées à la recherche de La Joconde (qui vient de sortir de son cadre (L’apparition de La Joconde, F. Lunel, 2011) et depuis peu, bousculés par les poussettes d’enfants (un signe de la volonté d’éduquer au plus tôt les chères têtes blondes, mais quand elles galopent, c’est pire) on râle. L’autre jour, pour l’anecdote, une rangée de mômes de six à huit ans, bien encadrés, ont vu - en silence- le film de Werner Herzog, La grotte des rêves perdus. Occasion unique de voir des bisons ou des rhinocéros autrement qu’en dessins animés. Dont acte, la préhistoire n’est pas au programme du CP, et mon petit-fils, même âge, redemande le Quai Branly ou Le Plateau, ou Beaubourg. Le problème, c’est toujours l’autre ; soyons sympa, dirait Gondry, rembobinons :

La nuit au musée 2
Comme les oeuvres, dont la cote emplit les journaux, le musée fait recette. Les galeries aussi, avec l’argent des riches. La visite est gratuite -sauf à la Fiac. Quantitativement leur place dans le cinéma de fiction progresse, en fonction de la médiatisation -éviter la journée du patrimoine. Quand les documentaires deviennent de plus en plus pointus, entre le musée et le parc d’attractions la frontière s’amincit.

Les musées de cire furent les hauts lieux du fantastique et de l’horreur du cinéma des années trente (The Mystery of the Wax Museum, Michael Curtiz, 1933) ; les reprises ou remakes d’après guerre, de House of wax, De Toth, 1953 à Stivaletti, Le masque de cire, 1997, ont eu leur temps. La figure obligée du « sculpteur fou », à la recherche d’une ressemblance parfaite a été rattrapée par les artistes normaux qui travaillent sur les corps éventuellement plastinisés ;  l’hyperréalisme a introduit nos doubles dans les musées d’art (John De Andrea, Duane Hanson, dans les années 70),  la question de la mimesis est alors réglée. Les animations et les images de synthèse ont ensuite permis au cinéma de reconstruire des musées, avec ou sans studio, les musées autorisant aussi leurs espaces pour les tournages. (lire les génériques de fin).  
Ainsi dans les biopics, les musées ont d’abord autorisé le filmage des œuvres, puis leurs murs : Bacon fait son entrée de son vivant au Grand Palais (unique image hors studio),



 Klimt bénéficie de sa rétrospective. Mais en général la fiction d’artiste se joue hors musée. Les espaces sont depuis devenus des décors.
Dans les musées et les galeries, les oeuvres, à valeur symbolique ou marchande, fascination et concupiscence justifient le vol et le meurtre, car majoritairement ce sont les polars qui ont mis en scène l’exposition de l’art. Après La femme au portrait de Fritz Lang, 1944, et depuis la contemplation fascinée de Madeleine pour le portrait de Carlotta dans Vertigo de Hitchcock (1958),


 et sa référence directe par  Brian De Palma dans Dressed to Kill, (Pulsions,1981), l’image du double induit pour le moins le trouble (un autre héros de De Palma dans Obsession, 76,  voit dans la restauratrice de peinture la réincarnation de sa défunte épouse).

Le passage dans une salle d’exposition expose le regardeur à tous les risques. La vision onirique du jeune peintre qui pénètre dans le temps de Van Gogh  (Rêves de Kurosawa, magique dans Ferris Buhler- sans intérêt par ailleurs) est plus terrifiante dans le cinéma de Dario Argento. Le syndrome de Stendhal, 1996, tourné au Musée des Offices, puis à Rome, offre tous les possibles de l’absorption dans la peinture et de la désintégration du sujet.



Chez Argento, l’oeuvre tue : (L’oiseau au plumage de cristal,1969) une peinture naïve est le déclencheur de la folie meurtrière de la galeriste. L’écrivain américain échappe de peu à la perforation du genre Vierge de Nuremberg par une sculpture de la « transavantgardia ».



Et le héros du roman Trois carrés rouges sur fond noir, T.Benaquista, 1990, est mutilé par une sculpture dont la description collerait à un Arman.
Le vol du tableau concurrence le vol de bijoux, question de valeur refuge, pas plus facile à écouler. La copie et le faux, stratégies ordinaires du polar, volent au secours de la concupiscence du collectionneur, prêt à tout. Dans les variantes humoristiques magrittienne ( Thomas Crown, Mc Tiernan 1999) ou lamentable ( Pour l’amour de l’art, Bennett, 1996) le collectionneur double son cabinet secret par des faux qui offrent les mêmes « icônes » de l’art. Matisse, Monet et les autres.
Le vrai artiste devenu faussaire est soit l’objet de vrais polars artistiques (F for Fake, O.Welles, 1975) soit un « second couteau » de nombreuses histoires de truands.

L’enquête sur l’oeuvre, de manière souvent sérieuse, cherche une énigme (Ce que mes yeux ont vu, sur Watteau) ou le plus souvent un crime 



(il est amusant de rapprocher Argento -pénétrer La ronde de nuit amène l’héroïne sur une scène de crime- de Greenaway qui trouve dans le même tableau de Rembrandt les preuves d’un crime politique en préparation.

L’oeuvre dans le musée figure comme indice dans les thrillers (Da Vinci Code), on s’étonne d’y voir figurer le Louvre, qui depuis peu devient un cadre pour l’action. Il en est de même pour le MET, le MOMA, ou le Museum d’Histoire Naturelle. Quant aux galeries, leur logique économique reste normale. La galerie new-yorkaise de L’affaire Chelsea Deardon  (Reitman, 90) permet de transformer un M.Oppenheim en matraque ou un Giacometti en échelle de pompier. Autre mince frontière entre le film d’action et le burlesque.

Classements et méthodes :
À chaque système muséographique, son genre cinématographique:
Quand les classements chronologiques et thématiques, par écoles et par auteur, qu’exige l’histoire de l’art en France et en Italie, les films  « sérieux » voire à la limite de l’ésotérisme construisent une fiction cohérente : depuis L’hypothèse du tableau volé (R Ruiz, 1978) ou Ce que mes yeux ont vu, (L de Bartillat, 2007) une méthode analytique au service de l’énigme.
Dans Visage, Tsai Ming-Liang, 2009, l’élaboration d’une fiction sur le mythe de Salomé se termine par l’extraction de Jean-Pierre Léaud costumé en Hérode dans la plinthe d’une supposée salle du Louvre (qui commandita le film) sous les Leonard de Vinci...

Visage


Musée haut, Musée Bas de Jean-Michel Ribes, 2008, tourné dans les différents musées parisiens, construit un film de genre sociologico-burlesque. Le classement historique des courants fait l’objet des recherches obstinées ou confuses de visiteurs profanes ( en cela le film est plus cruel que son auteur ne veut bien l’avouer). Les mises en scène de parodies de l’art contemporain sont en revanche une délectation pour les amateurs.
Les tableaux vivants, la double déposition de croix dans les réserves, ou la dénonciation des pillages des arts premiers complètent le panorama critique du système marchand.






Burlesque multigenre, La nuit au Musée (je n’ai vu que le 2) illustre la polyfonctionnalité et l’hétérogénéité des collections des musées américains, ici le Smithsonian à Washington: la réincarnation simultanée, d’échelles différentes, des héros et des oeuvres de tous ages, de néanderthal à nos jours, avec une préférence pour le pharaon de service offre un mélange de genres que les animations 3D rendent fort cocasses. Ainsi le couple des héros croise, entre autres, la Danseuse de Degas qui danse, un Penseur de Rodin qui pense peu, un Balloon Dog de Jeff Koons en cavale,
pénètrent une photographie de Berenice Abbott et engagent une partie avec le couple American Gothic de Grant Wood, sous l’oeil pleurant d’un Lichtenstein :





tous les « must » de l’art américain sont présents et Lincoln aidé par Roosevelt sauvera le monde du chaos..
Dans ces deux derniers films, la politique n’est pas absente. La domination de l’économie non plus. On se pose la question, quel est le contrat et quel est l’enjeu financier du deal entre le musée et l’industrie cinématographique ?












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