mardi 27 novembre 2012

PIROSMANI: de l'oeuvre peint au film.

Pirosmani : avis au lecteur : la machine refusant d'insérer les images, elles seront dans un lot à part, restera à trouver le lien... bon courage.



La laiterie (film)


Le Dentu et Zdanevitch devant La Girafe 
Pirosmani par Kokidzé en 1916

Georgui Chenguelaia
, cinéaste georgien  consacra en 1969 un film à la vie et l’œuvre de  Pirosmanashvili, (1862-1918) peintre georgien, 
plus connu en France en particulier au XXè, mais ignoré de son vivant.

Pirosmani devant une enseigne. (film)





Une exposition à Nantes en 1999 permet de mettre en rapport les peintures et le récit de la vie qu’en fait le cinéaste.
Le peintre Georgien  Niko Pirosmanashvili, autodidacte, vivant à Tbilissi, avait été découvert par le peintre russe Le Dentu, d’origine française et les deux frères Zdanevitch : le peintre Kirill, et le poète Illi.
Plus connu sous le nom de Iliazd, le poète s’installa en France en 1921, où il publia des recueils et des critiques d’art, et fit connaître l’œuvre de Pirosmani à Picasso. Des expositions lui ont été consacrées après 1929 en Russie.

Pirosmani : paysage (vue du film)
Pirosmani peignait des scènes rurales, des portraits, et vivait des peintures et enseignes qu’il réalisait pour les auberges, contre un repas ou un verre d’alcool. Le caractère naïf et primitif de peintures –certains l’avaient comparé au Douanier Rousseau-  avait donc frappé les frères Zdanevitch qui appartenaient au groupe des artistes russes qui revendiquaient un art authentiquement populaire et fondèrent plusieurs mouvements des Avant Gardes : Le « néo primitivisme » dans les années 1905, auquel participaient Larionov, Gontcharova, Bourliouk et Malevitch, puis  le « cubo-futurisme », après des séjours à Paris.
Larionov, Vénus, 1912


Pour comparaison, deux exemples de la période 1909-1911.


Pirosmani: Beauté d'Ortachala, 1905







Gontcharova: Le retour des champs, 1908



La peinture de Pirosmani fut ainsi reconnue et rattachée au Primitivisme, et quatre toiles furent montrées en 1913 à Moscou dans  l‘exposition « La Cible ».  Invité en 1916 par la Société des Artistes de Georgie, puis attaqué par la critique, il mourut dans la misère. La plupart des toiles ont disparu, le musée national de Georgie et des collectionneurs, artistes principalement, conservent la sélection que le cinéaste utilise pour et dans le film.

Le film

Film historique sur la valorisation d’un artiste représentant l’identité de la république georgienne (encore sous régime soviétique en 69), c’est aussi le récit du destin type de l’artiste « maudit » de la fin du XIXè et début XXè consacrés depuis dans le genre « biopic ».  Seuls un Van Gogh et un Toulouse Lautrec avaient été réalisés avant cette date. Si Chenguelaia les connaissait, il ne reste du premier que la présence des toiles dans chaque séquence, et de Toulouse -Lautrec la vision du peintre dans la guinguette où se produit Marguerite.  La connaissance de la peinture française en Russie (à l’époque de Pirosmani) se repère par la référence que Chenguelaia fait à Cézanne : joueurs et buveurs attablés vus de profil : Niko ne les connaissait sans doute pas.

Les  dialogues du film sont empruntés aux mémoires du peintre Lado Goudiachvili qui rencontra Pirosmani vers la fin de sa vie. Les anecdotes sur les rapports aux aubergistes « commanditaires », la séance de la Société des Artistes est citée par un écrivain dans le texte du catalogue de Nantes, ainsi que l’agonie dans la soupente.

Pirosmani, artiste assez énigmatique, profondément solitaire, détaché des biens matériels est animé d’une sorte d’utopie socialisante : seule la peinture est sa raison d’exister, une trajectoire linéaire.
Le film se développe selon la chronologie, de l’arrivée en ville à la mort du peintre. Cependant le moment de la révélation de l’œuvre aux deux visiteurs intervient pour ouvrir à leur conception, la visite finale de Lado clôt le « récit pictural ». Les contractions temporelles correspondent aux périodes où l’on ne sait où a disparu le peintre : le temps se marque par le grisonnement progressif du peintre et un certain palissement de la pellicule.
Toutes les séquences sont issues de la mise en espace des toiles de l’artiste : composition frontale, traitement « sans perspective ». Les toiles figurent pratiquement dans chaque scène : accrochées au mur ou en cours de réalisation.  Le sujet de certaines peintures apparaît au détour d’un trajet : les banquets, le battage ou  « La femme au bock ».



L’acteur du rôle, peintre lui-même, Avtandil Varasi, est l’auteur des décors qui tirent vers une abstraction.  Le suprématisme n’est pas loin.
Ainsi la « laiterie », rectangle blanc hors de la ville, signalée par les deux vaches noires et blanches symétriques condense dans deux séquences en champ/contre champ les années  « commerciales » de Pirosmani. La rupture avec l’argent, en donnant tout aux pauvres, comme il donnait les toiles, consacre le début de son activité exclusive de peintre. Il rompt aussi un mariage (la fiancée n’a rien de séduisant). 
  
Cadrage identique des vues de cafés et des scènes de banquet en plein air. Les motifs : natures mortes, portraits très rigides et un bestiaire, les vaches et les troupeaux et les cerfs. La Girafe, (1905), intrusion exotique reste la toile plus célèbre qui revient comme un leitmotiv ou un portrait au regard halluciné ; le Lion, emblème (peint d’après l’image d’une boîte d’allumettes) fait référence à l’histoire de la Georgie, comme la reine Thamar (fin du XIIe siècle) en illustre la période glorieuse.



Pirosmani peignait à l’huile sur toile cirée noire, ou des fonds passés au noir. Les blancs renforcent les contours des figures, la facture très visible souligne la volumétrie des formes. L’échelle des personnages en « gros plan » n’est pas sans évoquer la tradition des Icônes byzantines ou l’imagerie  populaire du loubok (affiches et vignettes). La composition en registres des plans de la peinture trouve un équivalent dans l’usage des focales, ainsi la scène du départ au début du film, ou encore la scène de mariage « aplatit » la profondeur.

La manière dont le cinéaste éclaire les toiles dans des intérieurs sombres, et le parti, pour les extérieurs, de simples travellings latéraux pour les déambulations du peintre reprend le minimalisme des compositions picturales, sans aucun effet ni mouvement de caméra ou de montage hérités de l’école soviétique ; une  esthétique poétique régionaliste.
Le film m’avait laissé le souvenir d’un film presque noir et blanc avec un traitement sépia pour des extérieurs assez « photographie pictorialiste » (c’est sans doute un effet de mauvaise copie). Le revoir en comparant avec les peintures comme une forme de livre d’images relativise cette idée.   Noirceur d’un destin tragique et peut-être noirceur de la situation politique d’un pays soumis jusqu’à l’indépendance en 91.


Le film, réalisé en 69, est contemporain du Sayat Nova de Paradjanov: Revendication d’une culture ancestrale « régionale » (la Georgie comme l’Arménie ont gardé leur langue et leur écriture), non soumise au laminage idéologique soviétique, ici à travers le destin d’un oublié de l’histoire. Cependant peut-être parce que la religion (ou la mystique) n’intervient que sur la marge (Pirosmani prolétaire est sauvé « in extremis » le jour de Pâques, dans le film), et que rien n’évoque les révolutions de 1905 et 1917, Chenguelaia ne subit pas le sort de ses camarades, Paradjanov incarcéré ou Tarkovski (auteur du sublime Andrei Roublev, 1969) qui fut contraint à l’exil.

Pour ces trois cinéastes, Chenguelaia, Paradjanov et Tarkovski, l’artiste incarne une forme de héros qui condense l’histoire et les drames  d’un pays.

« Arabesques sur des thèmes de Pirosmani »

Le court-métrage que réalise Paradjanov, en Georgie, en 1988, est un montage des toiles de Pirosmani, sous la forme d’un catalogue thématique : L’histoire, les animaux, les scènes de genre, Un pas vers l’immortalité, qui confronte différentes toiles dans des plans frontaux composites. Dans les derniers chapitres, le cinéaste développe en animation le motif de Marguerite (l’amour perdu du peintre) « le bouquet de Marguerite », puis il intègre le peintre présentant ses toiles à une musicienne accordéoniste dans un décor de portes sur fond sonore de limonaire.  Cette « revisitation » plus baroque de l’œuvre en forme de pantomime  fait ressortir les couleurs de la peinture de Pirosmani: des bleus lumineux, des jaunes et rouges forts. 
Paradjanov avait déjà évoqué les scènes de banquet et les paysages avec chameaux dans « La légende de la Forteresse de Souram » en 1984.


Cet écart entre la narration ascétique mais empathique de Chenguelaia et la reprise sous la forme purement plastique de l’œuvre de Pirosmani  par Paradjanov met en évidence deux dominantes cinématographiques, le récit réaliste ou la construction d’un imaginaire, deux manières de penser le peintre comme une icône.  




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