mercredi 4 mai 2011

BIOPICS . 3. Le début du Vingtième.


Biopics 3 . Maudizartistes, 1900-1940


 La séance précédente zappait sur le début du XXe, faute d’avoir vu ou revu certains films.
Si l’on considère que l’année1900 marque le tournant du siècle, c’est plus symbolique que pertinent  pour l’histoire de l’art. Les artistes présents à l’Exposition Universelle choquèrent peut-être, mais appartenaient aux courants figuratifs ou académiques.
 L’exposition universelle au Grand Palais en 93, après l’inauguration de la tour Eiffel en  1889 marqua l’apogée des politiques industrielles. En Europe, les grands travaux rendent visibles les empires, Victorien, avec le Crystal Palace ; dans l’Autriche-Hongrie, les fastes masquent la situation de crise économique et la montée des mouvements socialistes. (voir le catalogue de l’exposition Vienne l’apocalypse joyeuse, Paris 1986)
L’invention du cinéma peut aussi proposer une date qui modifie les pratiques culturelles, concrétisant ainsi les innovations scientifiques et techniques nombreuses, appliquées aux arts, qui ont modifié les créations avant le XXe : théories de la couleur, place du mouvement, rôle de l’électricité (et de la peinture en tubes).



Dans les sciences médicales, les recherches en psychiatrie commencent dès les années 80 et la psychanalyse (Freud publie dès1895 et jusqu’en 39) modifie le rapport aux arts et à l’histoire de l’art.  
Les mouvements artistiques qui se fondent dans les années 90 marquent un retour au symbolisme, le développement du graphisme art nouveau, sont des «  revivals » ou des réactions, figuration et thèmes mythologiques : Préraphaélisme en Angleterre, Ver Sacrum  puis Sécession  à Vienne, en contradiction  avec la modernité des arts appliqués à l’industrie, dans tous les pays européens.
Les arts plastiques se transforment radicalement dans les années 1905/10 , avec l’expressionnisme, (terminologie très flexible qui aura des suites innombrables) puis les débuts d’une abstraction, issus des courants européens, fauves et autres mouvements d’Europe du nord. Ils opèrent sur les constituants  formels de la peinture, en lien avec des théories de l’art et une pédagogie dont Kupka fut l’un des novateurs.
La grande guerre serait une meilleure date pour la rupture entre deux siècles. 1913 est une année clé pour la coexistence des mouvements d’avant garde en Europe, l’année 1918, malencontreusement aussi dans la biographie des artistes de biopic en particulier :
Camille Claudel est internée en 1913, Klimt et Schiele meurent en 18, Gaudier-Breszska tombe au front en 15, Apolinaire défenseur des cubistes en 18, cependant que les Dadaïstes se regroupent en Suisse avant d’intégrer un cinéma expérimental dans leurs pratiques. ( lire F. Albéra: L'avant garde au cinéma, A.Colin, 2005 et voir le DVD: Dada Cinéma sorti au moment de l'exposition Dada au Centre Pompidou)

 L’artiste maudit est toujours meilleur dans un contexte tragique, le film l’est rarement qui donne surtout envie de retourner au musée.
Tous les films consacrés aux artistes de la première moitié du XXe ont été réalisés après 1970, dans des productions européennes relativement indépendantes.

   En biopic, les peintres européens sont évoqués dans quelques films récents : on a vu le cas  de Edvard Munch, P Watkins, 1974, dont le film ne traite vraiment que de la jeunesse, mais qui ouvre à une construction non conforme à la romance habituelle. Sa présence en Allemagne en particulier fut déterminante dans l’invention de l’expressionnisme.

En Autriche, un trio connu du public : Gustav Klimt, Egon Schiele, surtout par les posters, et Oskar Kokoschka, apparaissent dans « Alma, la fiancée du vent », B Beresford, Gb/All 2004.
Alma, déjà femme libre, épouse Gustav Mahler ; musicienne douée elle est logiquement niée par les conventions sociales. Elle épouse ensuite Walter Gropius. Ses liaisons supposées avec les artistes viennois -dont Kokoschka- font scandale. Joli portrait de femme, beaux costumes, beaux décors de salons, de concerts ; les déboires critiques du grand Mahler sont évoqués, quelques scènes d’atelier : un Klimt rustique dans sa bure. Une  illustration de la montée en nombre des femmes artistes au cinéma. Sa fille deviendra  sculpteur ( inconnue). De la modernité architecturale, on ne trouve rien. Hélas.

Sur Kokoschka, rien d’autre au cinéma mais un intéressant roman/journal fiction d’Hélène Frédérique : La poupée de Kokoschka  évoque l’élaboration de la poupée qu’il commanda à  Hermine Moss à l’effigie d’Alma, resitué dans le contexte de la misère quotidienne de1918.

Klimt : de Raul Ruiz, 2005 (coproduction Aut/Fr/All/GB) avec John Malkovich -lequel avait refusé que le film soit un biopic standard . De fait les visions en flash back dans le délire de l’agonie et les confusions oniriques de personnages féminins, Mina, la vraie et la fausse Léa, Wally et les autres brouillent toute lecture chronologique. L’introduction de Méliès expliquant  les trucages de son petit film en sont une clé de lecture.  Dédoublement des portraits en pied, miroirs et psychés, obsessions et fantasmes, autant de symptômes d’une décadence joyeuse et surtout désabusée.
Les modèles féminins dénudés, ses nombreux enfants, la syphilis et l’hôpital, alternent avec le débat esthétique sur le beau et le décoratif, avec comme démonstration la tarte à la crème. Superbes  images et décors, très mondains. Le fonctionnaire occupe un rôle très ambigu de passeur et de commentateur. Un Messerschmidt, citation ironique. Les flips books de photos et dessins actualisent les pratiques. La musique mahlerienne, revue « contemporain », colle au montage.
 L’apparition de Schiele (Nicolaï Kinski) au chevet du mourant en fait un « autoportrait à la main aux longs doigts sur le cœur » ambulant. Un bon croquis à quatre mains. La reconstitution de l’exposition au Grand Palais en 1900 puis à Vienne en1902 avec les allégories (disparues) des grands thèmes : La médecine et La philosophie apportent une connaissance floue sur des œuvres méconnues, et les feuilles d’or volent dans l’atelier.  Une visite au Musée du Belvédère par anticipation. Ce film exigeant, hyper esthétisant, saturé de références, formellement  complexe nécessite plusieurs visions au risque de sombrer dans le vertige des surimpressions, des raccords de scènes par miroirs et plans d’eau et prises de vues tournoyantes…H.Vesely est crédité au générique comme auteur de l’idée, un spécialiste.


Enfer et passion, Egon Schiele ,Herbert.Vesely (Fr/Aut) 1980, acteurs français connus.
En démarrant sur le procès et l’emprisonnement de Schiele en1912 pour atteinte à la pudeur et détournement de mineure, le cinéaste insiste sur la dimension scandaleuse de l’artiste (le titre en allemand, « Excès et punition » sert de morale) ; c’est en revanche le prétexte à images érotiques auxquelles se prêtent les deux actrices, Jane Birkin est excellente dans le rôle de Wally . Les dessins et peintures  ponctuent la chronologie ( reconstitution de la cellule à partir des croquis, la chambre de Van Gogh revisitée n’échappe pas à la citation) mais sans les scènes d’atelier usuelles. Le peintre reste d’une froideur étonnante d’autant que la blondeur et les yeux bleus de Matthieu Carrière n’évoquent en rien les tortures intérieures ou la masturbation figurée dans les œuvres les plus connues du public. En revanche une séquence montre La frise Beethoven de Klimt. (la restauration de l’œuvre date de la période du tournage). Sa mort et celle de sa femme en 1918 (de la grippe) l’inscrivent dans la grande tradition du mythe.












La frise Beethoven

En Grande Bretagne, deux artistes hors normes et moins célèbres :
Savage  Messiah1972, GB, de Ken Russell, grand spécialiste des films consacrés à des musiciens (classiques : Tchaïkovski, Mahler, Liszt ou rock: Tommy) ou des écrivains : Gothic  la nuit fantastique de la rencontre entre les poètes Byron et Shelley , nuit où sa femme Mary Shelley  inventa le mythe de Frankenstein.

Le Messie sauvage évoque la courte carrière du sculpteur Henri Gaudier-Brzeska : (1891-1915) Il quitte la France pour Londres en 1911. Marqué par le « primitivisme » de Gauguin, l’influence du sculpteur Epstein et de Ezra Pound, l’engagent dans la recherche d’une synthèse de la forme. Sa liaison (platonique?) avec Sophie B dont il adopte le nom, assure la romance. La fréquentation du Mouvement Vortex  (un futurisme britannique) offre quelques scènes extraordinaires teintées de l’Op Art et de Pop anglais contemporains de la réalisation du film. La bouche géante d’une toile profère un discours révolutionnaire. Dans la distribution, on ne reconnaît que l’étonnante Helen Mirren , en suffragette qui fend la toile avant de déambuler nue lors de la commande d’une statue équestre de son aristocrate de père. La séquence la plus délirante (en temps supposé réel d’une nuit) consiste dans l’exécution d’une sculpture de pierre, dans une stèle volée dans un cimetière, à la suite du pari avec le galeriste. La forme synthétique est plus proche d’un Modigliani 1912, que des œuvres connues de l’artiste. Un temps de travail dont Brancusi aurait été jaloux. Bas-fonds et misère londoniens, préparatifs de guerre, un contexte qui suffit à inscrire l’artiste au palmarès : une biographie de R. Secrétain :  Gaudier-Brzeska, un sculpteur maudit, 1979.

Femmes artistes

En Grande-Bretagne, une « inconnue » :
Carrington, de Christopher Hampton, GB, 1994. Emma Thompson dans le rôle de Dora C. Cette artiste (1893-1932) amie de Lytton Strachey, écrivain « sulfureux » militant homosexuel dans un mouvement littéraire proche du groupe auquel  appartenaient  Oscar Wilde -dont Le portrait de Dorian Gray demeure le paradigme de la peinture (au cinéma) et pour le féminisme, Virginia Woolf. Ainsi Dora exigea de ne conserver que son nom de famille : Carrington.
C. Hampton fut assistant de Derek Jarman sur Caravaggio, mais la réalisation est aussi conventionnelle que les toiles de Dora -paysages et portraits- qui se suicida (au fusil de chasse) après la mort de Lytton, en dépit de ses autres amours plus normatives.
Une femme, cependant, qui inspira d’autres fictions mettant en scène d’autres femmes non conformes. Love, de Ken Russell, 1970, d’après D.H Lawrence, met en scène une femme libre, sculpteur amateur, dans la même période. Isadora Duncan y est citée.

Loin d’un féminisme militant, le dernier biopic en date restitue la vie de Séraphine de Senlis., Martin Provost, Fr, 2008.
Subtil portrait  d’une artiste qui s’ignore, bonne chez les soeurs et les bourgeois, totalement autodidacte et quelque peu mystique. Reconnue très tardivement grâce à son intégration par Dubuffet dans  la collection de l’art brut, après sa découverte en 14, retrouvée en 27 par Wilhelm Uhde, collectionneur et  galeriste d’un  « primitivisme moderne » (le Douanier Rousseau entre autres).
La sortie du film a coïncidé avec des expositions (Musée Maillol) et publications. L’interprétation de Yolande Moreau et de son découvreur participent  d’une sorte d’alchimie entre la vie et l’œuvre.

Quelques séquences du collectage et de l’utilisation de matières recueillies dans la nature culminent dans une présentation des peintures en champ/contrechamp aux voisines.
Dépassée par ses succès et délires, Séraphine  est internée en 37 et meurt en 43 ( de faim) dans un hospice, la même année que Camille Claudel.
Un film a été consacré à AloÏse Corbaz (1886-1964) par Liliane de Kermadec , Fr, 1975.   avec Isabelle Huppert et Delphine Seyrig. Une autre artiste de l’art brut de la collection Dubuffet. Elle passa toute sa vie en institution psychiatrique.  (Introuvable)

Autant de destins de femmes qui contribuent à l’interprétation de l’art comme manifestation de la névrose et de l’hystérie, en leur temps.  (seulement?).  à suivre…  












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