dimanche 24 mars 2024

MUNCH 2023 et MUNCH 1975.


                                  Une affiche, parmi d'autres
 "Munch, Le cri intérieur" 

2023, Un film norvégien de Henrik Martin Dahlsbakken.


Quatre périodes de la vie de l’artiste alternent et reviennent selon un principe de « dyschronie »  assez éprouvante. « j’ai pas compris, disait une dame, parmi le public des amateurs, seniors, friands des films sur l’art. 

Quatre périodes donc, incarnées par quatre acteurs, dont une actrice à l’impressionnante prothèse..


On ne le verra pas ainsi..

mais comme cela

Et donc le réalisateur a coupé radicalement dans la biographie, manière d’échapper au
 « biopic » chronologique standard toujours qualifié d’académique, pas si sûr…


Peut-être faut-il voir dans cette construction du récit, la volonté du réalisateur d’interpréter une névrose de l’artiste, dont témoignerait la répétition des motifs peints -une réalité dans l’oeuvre- par des sauts temporels improbables:  « chaotique » selon des critiques, toujours prêts à démolir les biographies filmées…. 

Résumons, sans pouvoir comprendre l’ordre des réapparitions des grandes périodes. Rien sur les années 20, l'épanouissement d’une production en lien avec les courants vitalistes et les pratiques naturistes. C’eût été « trop » de nus et de travailleurs.

La couleur s’en sort bien, dans les critiques..

Couleur très lumineuse de la jeunesse, une période dite « naturaliste », 1883-89 ; le noir et blanc pour la clinique (1908), bleutée pour la période Berlin (1892-1906) transposée en 2000.

Intérieurs sombres pour les dernières années, dans sa maison d’Ekely, achetée en 1916, qu’il ne quittera plus, où il reprend les sujets, et continue de s’observer par les autoportraits. Cruels. 


1938. mes bouteilles

L’exposition au Musée d’Orsay, en 2022 à Paris, titrée « Un poème de vie, d’amour et de mort » m’avait permis de revisiter les oeuvres et leurs dates : quelques images comparatives.

Le film:


Première séquence, 1943, le couvre lit à rayures, motif qui a inspiré les abstraits américains, c’est la fin de la longue vie du peintre, quand son oeuvre est donnée au musée, après avoir échappé à la saisie par les nazis qui occupaient Oslo. Au centre :

Entre le lit et l’horloge,  1940-43. 
On repère : L'homme dans un champ de choux, 1916
Puis le peintre range quelques toiles de la maturité. 


On passe à la jeunesse: 1882, Edvard, grand beau blond de dix neuf ans.

Un plan d’un fraction de seconde fait apparaitre l’artiste en « Caspar Friedrich », manière de situer l’artiste dans les courants de la peinture du nord.

Le jeune Munch, déjà connu pour ses autoportraits de jeunesse, pratique la peinture de paysage, ici scènes assez cocasses,  en bord de mer avec chevalet.


et lors d’une villégiature il rencontre celle qui bouleverse son univers moral, dans une version très libre et assez anachronique, relativement aux moeurs dans un milieu puritain.



Vampire dans la foret, 

Après de mois de passion, Milly le rejette; tromperie, jalousie, un motif récurrent qui revient jusqu'en 1935.


Au delà d'une scène de nature reconstituée (dans le film) et mémorisée en peinture, le thème du baiser, devient  le motif du vampirisme, récurrent aussi, mais sans doute  dans une culture de l'époque. 



Jalousie, 1895 













Berlin:  Un choix délibéré des moments de crise, des drames.


Retouche? Une pratique improbable en galerie.

 Longue séquence de l’échec de l'exposition à Berlin, en 1892, en contradiction avec les succès connus dès les années 1885.



Les expositions louangées dans les capitales européennes à la même période et la reconnaissance internationale du début du siècle sont évacuées.


L'exposition à Leipzig, La Frise de la vie, en 1903.

 

Les nombreux amis des groupes de peintres auxquels Munch participait ne sont pas évoqués, Le rôle très important de son ami, August Strindberg, dramaturge, peintre et photographe  à l’époque de Berlin disparait, son nom est attribué à la jeune femme de Berlin. ( là, énigme !!) 

Scènes de boites de nuit du Berlin 1980, et « audacieux » montage d’un ciel étoilé ( fragment de La Nuit étoilée, 1893) à vélo, au dessus de la piste d'aéroport.. 


La crise offre le premier cri, sonore et quelques plans de peinture à l’oeuvre, dans la galerie où il se charge de l’accrochage. Une version contemporaine de la méthode exigeante que Munch avait mise en place pour la grande exposition:  « La frise de la Vie ». 


premier Cri !!

L’alcoolisme, qu’il avouait volontiers, le range dans la figure obligatoire du peintre maudit.


1908-1909: La clinique. Dépression, désintoxication. 


La période de l’internement, beau noir et blanc, abuse de très gros plans obliques ou en contre plongée. 

Autoportrait au bras de squelette, 1895























Les autoportraits nombreux et les gravures de la période Berlin, sont convertis en nombreuses photos de l’acteur - assez ressemblant- face au psychiatre (un acteur connu). 

Après la mise au jour du traumatisme d’enfance, l’anorexie cède; une cuillerée de bouillie et ça repart… 

Photographie de 1908, Munch et la servante.

L’obsession de la mort ne se révèle donc qu’à la fin du film lors d’un nième retour à la « phase clinique » . La vision de la soeur malade. Morte comme la mère le frères et la soeur, sauf Une.


L’objet de cette toile de 1896 apparaissait par anticipation dans la première séquence de jeunesse, un profil perdu quand le jeune Edvard peint face à un paysage de mer, premier indice des libertés prises par le réalisateur dans l’économie du récit. 


Ailleurs, on peut repérer l’usage des sources: 

Le réalisateur pour la séquence d’ouverture a retraité avec une grande précision les documents photographiques de Munch qui fut aussi passionné de photo. Le meilleur exemple : la photographie de l’intérieur de la maison, en 1943, ou dans la clinique, Munch et la servante. 

Munch dans son atelier, 1943                                                        

Autre temps, une scène de villégiature avec Milly vêtue de rouge, réadaptation  de  

                                                                  La danse sur la plage, 1905

Rouge et blanc, 1894 











Dans l’oeuvre peint, les femmes vampires aux cheveux rouges, reviennent de manière récurrente;  serait-ce un motif justifiant la fille punk shootée dans la boite de nuit de Berlin?


Le film, court, 1H44, parait long, jusqu’à l’épuisement. Boucle, Munch meurt en 1944, le risque nazi est  dépassé, les oeuvres sont offertes à ville d’Oslo.  Première fausse fin.

Commence alors un catalogue des oeuvres, qui se clôt par la Lumière, une oeuvre de 1912 (travelling avant dans un curieux cadre religieux),  c’est la fin, mais non. 


On repart dans une déambulation dans le nouveau musée d’Oslo, construit en 2021,

  et on retourne à l'atelier à Berlin: enfin, 

 le Cri, dans plusieurs versions noires en gravure, 

on l’aura vu comme la dernière image. La première version couleur date de 1893. Même pas montré, Frustration du spectateur !!!!! 

Version 1895. 


Off : La fréquence de cette icône illustre nombre de films dramatiques ou d’horreur, un recensement la classe au top des oeuvres connues, facile à reproduire, (même en tag, j’en ai vu au dessus de la plaque d'un dentiste voisin) comme exutoire de l’angoisse contemporaine.

Pour le fun, voir « Le syndrome de Stendhal », Dario Argento, 1996


Soyons sérieux.. une archive.


MUNCH. la danse de la vie. 

Peter Watkins, 1974.  


"La maladie, la folie et la mort sont les anges noirs qui ont veillé sur mon berceau et m'ont accompagné toute ma vie".


La soeur malade, détail.


1882, Premier autoportrait.


Doué, à sept ans, la mort du grand-père.

Un seul acteur incarne la jeunesse dramatique du peintre, étonnant de ressemblance, et doué en peinture, de nombreuses séquences sont réalisées sans le truchement de la main coupée, 

Sur une trame chronologique, le réalisateur intègre des analyses des techniques picturales et de leur évolution, met en scène surtout la genèse du tableau, à nous de le rechercher  dans un catalogue. 




Contrairement aux biopics standards, le film s’appuie sur une analyse dialectique du milieu social qui a conditionné le jeune Munch tiraillé entre le désir de vivre et l’austérité de la famille, religieuse et bourgeoise, les pulsions et la culpabilité.  

Les scènes de repas illustrent les tensions familiales, avec dialogues très restreints ou

commentés off. Les écrits intimes de Munch sont utilisés, au même titre que l'analyse du réalisateur. 


Une dimension "documentaire": un narrateur double les images et commente la prise de conscience des conditions des prolétaires, travailleuses et enfants ouvriers, la prostitution garantie par la police, en séquences live et par des formes de témoignages en direct.





Au niveau trois du sous-texte, une liste des évènements politiques suit l'actualité des décennies 1870-1910,  les guerres, la date de naissance des dictateurs, les accords internationaux, les publications  essentielles .  Une méthode que Watkins appliquait à ses films politiques.

Krogh, professeur, créateur d'un atelier privé.

Un contexte historique du milieu de l'art: les noms connus dans l'atelier de peintres soucieux  d'un projet novateur. Atteindre la vraie vie du coeur.


Le  film insiste sur le rôle de ces groupes d’artistes qui intègrent des femmes, un premier féminisme que Milly a du mal à appliquer, les déclarations du mari sont éloquentes.

Modeste et pudique, la relation de Munch avec Milly, Mme Heiberg, est fort discrète à l'image, lancinante dans le dialogue. Un souvenir rémanent jusqu'à la fin du film.


 Une lente désillusion

Le rigorisme des scènes de la maison s’oppose à l’ambiance enfumée des bistrots animés par les premiers théoriciens d’une révolution inspirée par le marxisme et les revendications d’une liberté sexuelle. 

Son ami anarchiste, sera incarcéré pour atteinte aux moeurs après la sortie du livre interdit: 

La jeunesse de Kristiana.


1995-96

Dans le drame familial des morts de pneumonie, après la mort de la mère, en 1868, la figure de la soeur malade, morte en 77, occupe de très longues séquences de peinture et de repentirs. Une forme de parabole qui explique la culpabilité (Munch seul survivant de la tuberculose), la peur du sexe et l’angoisse qui nourrira son oeuvre. 

Le souvenir d'enfance de l'hémoptisie, revient comme un flash, à tout moment.



Cette première oeuvre, exposée à  Kristiana, et les recherches picturales déchaînent les critiques, attribuées à « un malade mental », ce poncif des commentaires contre l’avant garde,  se déconstruit par le début des recherches sur la psychanalyse émergente. 


Après des années de dépression, la pratique témoigne de la mélancolie de l'artiste.

Nuit d'été, 1889, la jeune soeur.

Après un voyage à paris, Munch part à Berlin, où il découvre l'oeuvre d'Odile Redon, 

des visions d'angoisse et l'apprentissage de techniques graphiques, amènent un changement de style lié à la gravure sur bois, et toujours les obsessions de mort:






Puberté



Préparation en atelier/













Défendu par des critiques, il expose dans les villes  d'Allemagne puis en Europe avec succès.

L'angoisse des rapports avec les femmes gagne après la rupture avec Tulla, autres gravures: le spectacle des cabarets.

Ambivalence de l'amour qui donne la mort: La Madone.



 



EN 1908, interné à sa demande à Copenhage, Munch continue son auto-analyse:


1908
Les années suivantes entre voyages et résidence à Ekely ne sont pas évoquées. On ne vieillit pas l'acteur.. mais la rémanence de Milly se transfigure. La gamme chromatique aussi.





EN plus des catalogues, on peut consulter des études sur Munch dans:  Mélancolie, génie et folie en Occident,  Grand Palais, Paris, 1998 et Lumières du monde, Lumière du ciel, Paris, MAMVP, 1998. Consacré à plusieurs artistes, dont Munch, Strindberg et Hélène Schjerfberck. 

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