Une mise en images de la vie dramatique d’un peintre par les « oeuvres clé », un choix de séquences et d'oeuvres qui donnent lieu à plusieurs interprétations. Trois films plus un.
Jean-Claude Carrière a génialement éclairé les réalisateurs européens de films sur l’art, s’est trouvé, jusqu’à la fin, face à Goya.
La salle Noire au Prado, Madrid. |
Il ne travailla pas pour le biopic le plus « akademikement » réaliste. Réalisé en Allemagne de l’Est en 1971, !!!. l’acteur Donatas Banionis est plus connu pour son rôle dans Solaris de Tarkovski, disons qu’il a un profil caméléon. Il est amusant qu’un lituanien précède le suédois Stellan Skarsgard, dans le rôle, pour le Fantôme.. 2006. Restera Francisco Rabal…
1.GOYA, l’hérétique ou Der arge Weg zur Erkenntnis, Konrad Wolf, 1971, DDA.
Goya comme témoin de l’histoire de la fin des Lumières et des guerres, de larbin de la royauté, à sa prise de conscience du devoir de révolution.. Un film en deux parties, particulièrement lourd et assez laid, à l’image des souverains. Des gros plans très excessifs et des vastitudes où apparait un Escorial fantomatique. Intérieurs de châteaux allemands…
Le film situe l’histoire de Goya entre son accession au titre de Peintre officiel du roi, et son exil.
On décrit les stratégies ordinaires des artistes pour accéder aux commandes officielles, la vie de courtisan, puis la critique, la satire, dans une oeuvre au noir, sujette à l’anathème ou à poursuite judiciaire dans une période où le poids de l’inquisition dictait encore la politique.
Pour mémoire, Né en 1746, Goya, brillant jeune homme, passa quelques temps en Italie pour étudier Rubens, Veronese et Caravage, il travailla à Saragosse en 1872, puis fut engagé comme peintre de cartons pour la manufacture royale de tapisserie, 1875- 1892 (scènes de genre)
Portrait de Godoy.. (Voir le vrai..) |
puis grâce à son beau-frère Bayeu fit son ascension comme peintre officiel de la cour en 1886. En 88 le nouveau roi Charles IV s’attache à Goya mais les effets de la révolution française en 89 l’éloignent de la cour, il réalise les Caprices, des visions liées (?) à une maladie qui le rend sourd en 93.
Proche de Godoy, le tout puissant ministre et de la noblesse, il immortalise la famille royale (selon la leçon de Velasquez), craque pour la duchesse d’Albe, une affaire de coeur, peint les deux MaJas (1800, 1805) propriété de Godoy. Fut-il son amant? Dans ce film, surement..
Une idée de Velasquez. des copies affreuses En 1808 l’abdication du roi lors de l’occupation française par l’armée de Napoleon, dont le frère Joseph régna comme gouverneur. |
Les peintures célèbres, Le tres de Mayo et autres scènes de massacres illustrent l’horreur de la guerre que la série d’estampes, Les Désastres de la Guerre, enrichit de visions diaboliques.
Le Très de Mayo, avant l'oeuvre.. |
Avec l’aide des anglais en 1814, la restauration de la monarchie; Ferdinand VII, ranime le pouvoir de l’église. Inquiété par l’inquisition, en 1824, Goya s’exile à Bordeaux, où il meurt en 28.
Dans le film, L’inquisition prend une place politique considérable, depuis la procession des flagellants (sans doute filmée à Séville) les autodafés, les procès, la pauvre chanteuse sera brulée.
Une séance technique pédagogique de gravure avant d'exposer la série de Caprices dans un atelier rustique à souhait.
Le comique intervient lors du portrait des souverains.
Casting d'enfer; plus laids que "l'original". L’inquisiteur curieusement modéré, et la Duchesse d’Albe, pré-révolutionnaire et assez pute amènent une prise de conscience du peintre.
Une reine ravie de la qualité de la peinture.. |
La morale de l'histoire.. |
une première fuite, épisode rural, des poncifs espagnols, corrida et flamenco trivial. Et la dernière fuite à dos d’âne…
2 GOYA A BURDEOS: Goya à Bordeaux..
de Carlos Saura, 1999. le plus pictural des biopics sur l’artiste: un film d’auteur, en couleurs et en studio. Au générique le visage de Goya apparait dans la carcasse du toro mort, une mort rouge comme pourra être bleue la chambre, vert le champ de bataille.
La danse de salon, sophistiquée d’un danseur de cour, un peu toréro ouvre la séquence du peintre plus jeune, attaché à la cour de Charles IV, qui découvre plus loin les Ménines de Velasquez dans les caves de Godoy, lequel possède aussi ses deux Majas.
Les peintures Noires |
La fresque du Miracle de Saint Antoine, combine le récit filmé de l’histoire et sa préparation en atelier avant d’être peinte au sommet de la coupole de l’église Saint Antoine en 1798.
Travail d'atelier, les maquettes. |
Les visions dans les affres de la vieillesse, des douleurs du sourd, créent des images rémanentes de l’obsession de sa passion pour la Duchesse d’Albe.
La Cayatana apparait dans toute figure de jeune femme.
La mort et le jeune galant, Comprobin, 1670. |
Effet mémoire des l’oeuvre, les confidences faites à sa jeune fille s’illustrent par des copies sur les murs, autant d’apparitions sans que le peintre ne passe à l’atelier.
L’unique chapeau aux bougies est éteint. ( le poncif, le Chien fait toujours l'énigme )
Autant d’effets de transparences, des projections sur écrans et toiles ou voiles tendus font apparaitre les images animées des peintures.
Des groupes de figurants occupent le premier plan d’un toile de fond. Une technique développée par Saura pour des courts métrages. Ici pour l’analyse de Tres de Majo.
La restitution de la guerre et ses horreurs s’élabore par une mise en scène de la troupe de théâtre de la La Fura dels Baus.
et comme toujours recolle parfaitement avec ses « modèles" des gravures des Désastres de la Guerre. Des effets d’une proximité réaliste terrifiante.
3. Fantasmes et fantômes : Les Fantômes de Goya,
Milos Forman, 2006, version genre Zevaco, où le peintre accompagne et justifie les séquences clé du drame. Comme témoin, il illustre l’histoire.. et adapte son autoportrait à l'acteur..
Le générique du film ouvre sur les estampes puis la séquence des commentaires des Caprices par le tribunal de l’inquisition, (Lonsdale, incontournable); comment agir contre les idées de Goya, protégé par le roi? Augmenter la répression...
La séance de pose du portrait équestre de la Reine, témoigne de son statut privilégié et des méthodes du courtisan qui accepte aussi bien de faire le portrait de Lorenzo, l’inquisiteur pervers et lubrique..
Javier Bardem, son meilleur rôle dans la tête de l’emploi, finira en conformité avec le dessin en cours et la gravure, (vue aussi chez Saura). Stratège radin qui refuse de payer le supplément pour les mains; (un détail fourni par J.C Carrière dans « son » film, infra)
Scènes d’atelier: le portrait de la malheureuse fille de famille riche va enclencher la tragédie…
De la torture, la question dans les geôles, à l’hôpital « psychiatrique », Natalie Portman, passe par tous les états et se réincarne dans sa fille; Brillante prestation, limite grotesque, qui tente d’atteindre le niveau d’horreur des gravures.
Passent les péripéties des changements de régime entre les royautés, l’invasion des français de Bonaparte, le retour du roi Ferdinand VII, assorti de la force religieuse, fonctionne dans le genre grand film historique à costumes; l’art de retourner sa veste pour Lorenzo, cependant que le peintre plus neutre que sa production à des lueurs de conscience…
C’est sans doute à l’apport de Jean Claude Carrière que les références picturales assurent une cohérence artistique. Scènes d’atelier et copies efficaces.
en cours d’exécution. Les petites mains d'artistes sont meilleures avec le temps.
Ainsi, ici aussi une séquence de technique de gravure, d’un feuillet des Caprices, de la plaque au tirage au noir, dans le film, précède l’intrusion de l’inquisiteur,
on la retrouve analysée par un graveur dans le « documentaire » de/sur Jean Claude Carrière.
4. L’OMBRE de GOYA par Jean-Claude Carrière.
Sorti en 2022, les séquences en Espagne furent tournées avant le décès de l'auteur en 2021. Réalisé par José Luis Lopez-Linares.
Ce réalisateur avait déjà tourné « Le Mystère Jerôme Bosch » en 2016 sur le même principe.
L’analyse de l’oeuvre du peintre par des spécialistes alterne avec des témoignages, ici de son épouse, de ses amis, lors de la préparation du film :
Feuilletage des éditions des gravures; archives d'images historiques:
Un montage des visites de Carrière au musée de Madrid, dans les salles des Peintures Noires,
détachées de la maison où elles ont été peintes/
la salle des Deux Mayas, une balade au village natal et dans l’église de Saragosseet dans la Chartreuse où le peintre fut enterré sous les fresques qu’il réalisa en 1798, San Antonio de la Florida de Madrid. Le corps de Goya y fut rapatrié de Bordeaux en 2019.
Chaque peinture provoque les réminiscences de voyages antérieurs, l’amitié de Carrière avec Bunuel , grâce au chien.
Ouverture:
le film introduit plusieurs renvois aux influences de la peinture de Goya sur le Surréalisme, et fait apparaitre, un inédit (surprise) Julian Schnabel qui rend hommage à l’auteur et au peintre en peignant SA Cayetana, devant la Reine (une copie qu’il a pu acquérir).
Pour mémoire, Schnabel, peintre du nouvel expressionnisme allemand, avait réalisé un (bon) biopic sur Basquiat en 2000.
Le film se termine dans la nouvelle formule supposée muséale « d’immersion » dans les images géantes…
Carlos Saura l’avait anticipé. Jean Claude Carrière l’aurait cautionné, j’en doute…
Moralité, aller en urgence à Madrid au Prado.. Merci J-C Carrière..
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