Du bon usage de la fourchette.
Voici venu le temps des agapes et des émissions culinaires, et donc un peu de culture cinématographique. La liste de tous les banquets au cinéma donnerait le vertige, depuis le festin de Trimalcion dans le Satyricon de Fellini, jusqu’aux spaghettis empoisonnés d’Affreux Sales et Méchants, en passant par la Grande Bouffe de Ferreri.
A table!!!! |
Pour la période médiévale, tout film de « Cape et d’Epée » comporte son banquet où s’affrontent les clans, le héros combattant viril et le lâche usurpateur, avant le duel ou le tournoi.
Dans La Chair et le sang de Paul Verhoeven, 1985, à contre-emploi du bon héros, le personnage principal Martin (en découlent nombre de gags sur sa sainteté) utilise les méthodes de Robin des Bois pour un pouvoir pervers et destructif dans un monde en perdition.
Verhoeven, réalisateur néerlandais, qui failli être peintre (un mauvais Delvaux) a commencé par des films assez trash, éventuellement dans le milieu de l’art, déjà avec Rutger Hauer, avant de passer à Hollywood.
Sa vision de la fin du Moyen-âge et du début de la Renaissance est soigneusement documentée. Non sans humour.
La bande, micro société armée sous la direction musclée de Martin et sous l’égide d’un Saint Martin et son cardinal hérétique se met en route en pillant tout sur son passage, et au détour d’un chemin rencontre le cortège de la jeune fiancée de Stéphane, le fils du prince. Lors d’une chasse, le couple s’étaient promis fidélité en consommant de la mandragore, sous le cadavre de pendus.
Unique survivante (hormis les richesses vestimentaires qui permettent de transformer la bande en théâtre ambulant) Agnès échappe au viol collectif; seul Martin, le chef, exerce son droit, et se rend à des arguments verbaux déjà très aiguisés, pour ne pas partager cette pucelle.
La bande s’installe dans un château fort en massacrant ses habitants (à l’exception évidemment de la cuisinière) où elle sera ensuite assiégée puis éliminée par le jeune homme et quelques compagnons de guerre grâce à quelques stratégies ahurissantes. Deux hommes, une femme en un château symbolique, et la peste. Double.. plus la compagne évincée.
Or donc on passe à table, la morceau de bravoure central.
Paul Verhoeven connait ses classiques: dans La Kermesse Héroïque, (Feyder, 1935), le Prince envahisseur et le Chapelain, Louis Jouvet s’émerveillaient de la dextérité de Francoise Rosay à manier la fourchette, lors du banquet, piège monté par les femmes. Un film féministe avant l’heure, et celui de P V ne l’est pas moins.
Séance de dressage, de la part d’Agnès, ou comment passer d’un simple ustensile « bifide » à ses effets « pacificateurs ».
Régime spécial.. |
Les rustauds bâfrent, Martin est séduit par le dessous de table, autre instrument malin,, Agnès, tout sauf naïve. Il impose à tous une pratique cultivée, apprentissage difficile; qui se termine par un pugilat où la fourchette devient une arme. Laquelle arme fait les beaux jours du cinéma, souvent maniée par une femme. Une autre liste possible.
Après la table, le bain, la lustration et le lit, La soirée culturelle permet de visionner un spectacle de marionnettes de Wayang Kulik, récemment importé en Italie après le retour d’Indonésie de Marco-Polo.
Entre temps, les combattants, sous la direction du capitaine (un peu japonisant) et du jeune Arnolfini, muni des Livres de Francesco di Giorgio, entreprend le siège du château, en inventant la machine de guerre et la grande échelle des pompiers; Une métaphore grandiose.
Le malheureux prétendant tombe dans le seul arbre de la cour et joue sur la toile le rôle du "Cocu dans l’arbre », un motif standard des fabliaux. Il gagnera la partie en inventant le lance-flamme.
Un traité historique de 1490, l'invention des engrenages.. |
Deuxième repas avant l’attaque, fruits et fleurs (deux bouteilles un peu anachroniques).
Le troisième repas est fatal, l’eau infectée par le cadavre du chien, un mal répand la terreur ..
ravage les méchants, à une vitesse qui dépasse l’étude magistrale, La Peste Noire, de Patrick Boucheron.
Mais comme dans tout film d’horreur, Martin s’échappera.. On ne l’a pas revu, sauf en Réplicant….ou en Brueghel. (voir Blog 2012).
Saint Martin l'apostat.. |
La dernière production inattendue de Ridley Scott, Le Dernier Duel, 2021, du genre Cape et épée à l’ancienne, met en scène l’histoire vraie d’un duel en 1392 qui suit le premier procès pour viol de la femme d’un vassal du prince normand contre l’amant -d’un seul assaut. Matt Damon contre Adam Driver. Les banquets chez le prince (Ben Affleck) se terminent en joyeuses partouzes. Bon Film interdit au moins de 12 ans…ça saigne un max, mais on lit le latin.
Pour être plus sérieux, l’idée du repas, comme célébration de la Cène, qui occupe toute l’iconographie occidentale, se trouve ici aussi fort maltraitée..
Pour ce qui est du sujet sérieux de l’invention de la fourchette, donc au XIVè, cette date approximative est attestée par les icônes d’Europe centrale car inversement elle garantit qu’elles sont postérieures. Le Christ mangeait avec les doigts ????
Ici, Une Icône du Musée Onufri à Berat, en Albanie.
Ce post est un résumé d’une intervention très sérieuse dans un colloque, Le banquet médiéval, en 2001…