Art, politique et histoire:
Émeutes à Kwangjiu, 1980, dans Le Vieux Jardin. |
Nombre des films coréens, (vus ou revus à l’occasion du récent Festival Travelling Séoul à Rennes) s’inscrivent dans un contexte historique précis.
L’occurence de la présence de l’art, incarné par un ou plusieurs personnages des films, n’est qu’un des indices d’une culture profondément ancrée dans la formation des artistes et plus généralement des élites du pays depuis des siècles. Ce privilège des classes supérieures, la caste des yangban héritée de l’ère Choson n’a pas disparu.
Lee Jong-gu: peinture/collage, 1985. |
L’attachement au patrimoine et aux pratiques culturelles vaut pour l’affirmation d’une identité coréenne; le pays ayant subi pendant des siècles les nombreuses invasions des voisins, avant de gagner une autonomie de république en 1947, après la guerre de Corée, puis d’être soumis à des régimes dictatoriaux, des coups d’état successifs, à la répression des intellectuels et des étudiants et des ouvriers.
L’emprise des États Unis, qui permit le développement de l’économie sous le régime de Park Chung-hee impose à son tour une culture « internationale ». Assassiné en 79, voir The President’s last bang de Im Sang-soo, 2002 , qui fut en partie censuré. Ce même président en revanche investit massivement dans la restauration des sites historiques des anciens centres religieux, sans doute aussi à des fins touristiques.
Manif anti américaine en 1988 |
On voit,dans les films tournés après 1980,
les effets de l’engagement des cinéastes qui ont vécu les événements dans les films tournés après l'importation massive du cinéma américain.
Quitte à déplacer le contenu sur des genres apparemment non contestataires.
Im Kwon-taek |
La manifestation des « crânes rasés » en 1988 et en public devant la cathédrale, des réalisateurs et acteurs témoigne des mouvements d’artistes cinéastes contre les quotas imposés lors des échanges économiques avec les USA. Im Kwang-taek, fut le premier à se faire raser. Un documentaire monté en 1999 est visible sur le bonus de Ivre de femmes et de peinture.
Beaucoup de films récents s’attachent aux difficultés des cinéastes en herbe, et aussi aux méthodes d’accès au métier d’enseignant, car plus que le diplôme, la pratique du dessous de table ou de gâteau fourré offerts au professeur est fondamental.
Le délicieux Barking Dogs never bite, de Bong Joon-ho, 2000 en est une désopilante illustration. (C’était bien longtemps avant Snowpiercer).
Ayant dirigé quelques masters d’étudiants coréens, leur faire perdre la tradition du cadeau à chaque rendez-vous fut quasi impossible, mais ensuite, lors d’un voyage en Corée, leur présence enrichissante comme guides m’a permis de voir le pays de l’intérieur. (voir blog Carnets de voyages.)
LE PASSÉ:
Dans un ordre des références à l’histoire, quelques films, ou l’art et les artistes (de fiction) témoignent de l’histoire passée et récente de la Corée:
Ivre de femmes et de peinture , Im Kwon-taek, 2002.
L’histoire du peintre Ohwon, fin XIXè , se situe en temps de guerres intérieures entre Japonais et Chinois, à la fin de l’ère Choson, le royaume s’écroula sous l’occupation japonaise en 1905.
Jeune et très doué, le jeune artiste cherche un professeur, mais comme roturier, estrejeté par les Académies, avant qu’un maître confucéen, porteur aussi d’une culture artistique chinoise ne le prenne en amitié. On suit l’ascension sociale au changement des coiffes de crin de cheval.
Comme tout prototype d’artiste « maudit » violent et novateur, Ohwon est contemporain de tous nos artistes de biopics; le parcours entre errance dans des paysages conformes à la peinture, amours des concubines, les kinsaeng, et beuveries, amène l’artiste à des conflits avec les pouvoirs,
ce qui permet de situer les luttes entre chinois et japonais, ainsi que les massacres de chrétiens dans la deuxième moitié du XIXé.
Le film entier se lit comme une cours de peinture; les motifs traditionnels, pour ou contre l’inclusion du texte calligraphié, et la volonté de comprendre l’essence spirituelle de la nature.
Un "vrai peintre" |
Séjournant en Corée il y a quelques années, j’ai pu croiser un de ces artistes à l’ancienne en tenue anachronique.
PASSÉ RÉCENT
Traitant des questions politiques des années 70/80, plusieurs films s’inscrivent dans des évocations rétroactives des événements. Une tolérance nouvelle.
La pègre, d’Im Kwon-taek encore, 2004, traite du rôle des mafias dans la lutte des partis entre 50 et 70.
Chil-su et Mansu, Park Kwang-su, 1988 :
Le film se situe dans les premières années de diffusion du cinéma américain: Chil-su, jeune fanfaron en Jeans et T shirt au drapeau US s’identifie à James Dean, ou Marlon Brando an choix :
Sur un cinéma, la Fureur de vivre, en affiche dans l’atelier, Le Parrain ; des dates clés.
Rompant avec son patron, squatte chez un collègue, Mansu, qu’il tente de faire passer pour un peintre français (une caricature ironique, béret, pipe et blouse blanche) lorsqu’il tente de courtiser une charmante bourgeoise.
Engagés finalement pour réaliser un panneau publicitaire très Sea, sex and Sun Pop Art au sommet d’un building, dans le quartier sud en construction, les deux compères par jeu se perchent sur l’échafaudage; soupçonnés de grève, de manifestation politique ou de suicide, selon les spectateurs, ils sont menacés par tous les représentants du pouvoir: le patron payé par l’industrie de la boisson « Buvez moins » (quand dans tous les films on picole un max), leur bouteilles sont confondues avec des cocktails molotov, , la police puis l’armée intervient.
Une fin amère qui témoigne de la répression permanente des années 70/80.
La culture française est citée lorsque Chil-su affuble une pin-up géante de moustaches à la Joconde de Duchamp, puis à la fin quand Mansu, harcelé par la police, qui lui signifie qu’on sait que son père est en prison depuis 37 ans, se jette tel « Le saut dans le vide » d’Yves Klein, sur fond bleu.
Le Vieux jardin, Im Sang-so, 2007
Adapté d’un roman, le double scénario d’une histoire d’amour déchirante et de l’évocation des massacres d’étudiants et d’ouvriers dans la ville de Gwangjiu en 1980, le film balance par flash back entre passé et présent.
Le couple, remontage. |
Le jeune manifestant condamné à vie sort de prison après dix sept ans et retrouve la trace de l’amie amante défunte qui l’avait caché dans les montagnes.
La jeune peintre travaillait d’après des photographies, mémoire des êtres disparus.
Détail du dessin en cours. |
Cette technique très académique poursuit la tradition du portrait. Le dessinateur Cho Duk-yun, cité au générique, sort des écoles d’art où enseigne un professeur, rencontré aussi à Séoul. Lee Jong-gu, (supra, une peinture politique, d'avant)
Kim Ho-suk : Histoire de la démocratisation, Biennale 2000 |
La ville de Gwangjiu organise depuis plusieurs années une Biennale d’Art contemporain, qui fut quelque peu contestée, où s’exposent des artistes internationaux et des artistes coréens qui traitent encore des mouvements en faveur de la démocratisation du pays.
CONTEMPORAINS
Les films des années 2000/10 dans une forme plus «soft », très marquée par le cinéma français, mettent en scène des artistes.
Affiche alléchante |
Dans l’oeuvre de Hong Sang-soo, les protagonistes sont principalement des cinéastes ou étudiants en cinéma, à la recherche de leur identité mais aussi d’un emploi. (Sunhi, 2014)
Night and day, Hong Sang-soo, 2007
Un jeune peintre « de Ciels » , s’exile à Paris pour des raisons politiques, et rencontre des étudiantes coréennes en art. Affaires de coeur et de sexe, on voit au passage, « L’origine de Monde » de Courbet. Même si Hong Sang-soo préfère Cézanne.
Un jour avec, un jour sans, Hong Sang-so, 2016
Néo rayonnisme après Robert Delaunay |
La rencontre d’un cinéaste et d’une jeune femme peintre, donne lieu a deux versions du sens de l’engagement. La peinture vue dans le premier volet est signe d’une recherche de l’avenir comme ouverture. Dans le deuxième volet, avec un changement d’angle de 30° de la caméra, et de couleur de la palette, elle devient la "marque obsessionnelle d’un refus de la réalité". La consommation de soju varie. Dans le café-librairie, une affiche de Magritte, et du film Boy meets Girl. Carax 84.
L’art est toujours un embrayeur pour une position éthique. Une petite visite au patrimoine architectural renforce cette recherche d’authenticité, l’alcool y contribue aussi.
DE l’HORREUR
Les traditions se perdant, et en concurrence avec le cinéma américain, les coréens s’emparent, comme leurs voisins japonais, de la filière thriller horrifique. souvent très supérieurs…
Plus violent tu meurs, de Old Boy , Park Chan-wook, à The Murderer, No Hong-jin, toujours la corruption du pouvoir, des trafiquants et l’arbitraire des incarcérations, jusqu'aux blockbusters comme Snowpiercer, on sait où se situe le dictateur qui opprime les peuples.
La sixième victime, Chang Yoon-Hyun, 1999
Histoire d’artistes, et de tueurs, la peinture occidentale n'était pas avare de martyrs et de sadisme.
Gérard David, |
Dès le générique, une peinture flamande , Le «Châtiment de Sysamnes », un juge châtié pour corruption de Gérard David, 1498, Musée de Gand, revu, recopié et recadré sert de fil conducteur au dépeçage des corps des anciens amants de la jeune peintre, lisse et blanche (coté vestimentaire) et travaillant dans un musée.
La fille, par le père. |
Elle est fille d’un peintre célèbre (disparu, mais ?) qui fut incestueux et violent. (allusion au père de la nation?). Quelques années après Seven, Fincher, 95, le /la psychopathe, les sacs sanglants, les poursuites de voitures sous le déluge et autres poncifs de puzzle policier (un gentil courtois policier) n’excluent jamais la piste des oeuvres. Portrait très Ophélie de la fille, ailleurs au mur des reliefs d’un artiste oublié mais vu à Paris. Les vitrines de congélation garantissent le versant ultra contemporain de l’art….
Postface:
Kang Gilseong au travail |
Par la pierre, 2001 |