vendredi 5 avril 2013

L'ARTISTE ET SON MODÈLE, Fernando Trueba


L’artiste et son modèle
 Un film franco-espagnol de Fernando Trueba, 2013.
Jean Rochefort, Aida Folch, Claudia Cardinale. Scénario: Jean Claude Carrière, Photo: Daniel Vilar.




Sorti peu après le Renoir (très irritant) ce film consacré à un sculpteur (inconnu ou fictionnel) m’avait alerté par l’entretien de l’auteur sur France Culture, indépendamment de critiques  dont la lecture comparée toujours réjouissante de Positif, des Cahiers (qui l’ont évacué) de Libé et de Télérama.


Un vieux sculpteur  Marc Cros (Rochefort, avec la tête de l’emploi, il ressemble à lui-même et à quelques collègues du métier) se remet à l’oeuvre après l’arrivée inattendue d’une jeune espagnole réfugiée. Les trois quarts du film se passent dans la recherche d’une « idée ».

Le noir et blanc, nouvelle tendance de cinéma espagnol en particulier, (Biancanieves de Floreal Peleato)  iconise le sujet et transcende la lumière de l’atelier. 
Bien que construit entre les allers retours entre la maison et cet atelier dans la montagne (comme dans Renoir), une sorte de grenier peuplé de fantômes, l’image du corps et de  la nature prend un relief plus plastique voir conceptuel, en fonction de l’ascèse du travail.

Le récit se situe en 1942/43, dans le sud de la région de Céret;  Maillol y meurt en 43, et la famille a autorisé le cinéaste à utiliser la sculpture « Méditerranée » du vieux maître (commandée par l’état en 1923). Ses figures féminines allégoriques peuplent toujours les Tuileries. 

Le film illustre les paradoxes constitutifs de la sculpture, opposition entre la matière brute, son opacité, sa pesanteur et la transparence de l'idée que l'artiste en extrait, et qui fait allégorie. Équilibre et mouvement virtuel contre la statique du matériau. Le conflit Brancusi/Rodin sur l'usage de formes naturalistes ou abstraites ne contredisait pas ces principes essentiels.

On le sait, la sculpture de marbre réfracte la lumière, et bien que les études se fassent en terre à modeler, (sauf le dernier plâtre lourdingue) les esquisses qui peuplent l’atelier nous évoquent, par le noir et blanc, l’atemporalité de toute statuaire. L’ami, le praticien tailleur de stèles au cimetière contribue au discours esthétique.
Il était donc nécessaire d'exploiter la lumière (latérale, rasante ou à contre-jour) de la pellicule noir et blanc pour exprimer la tension entre la chair et l'esprit. Une lumière qui auréole aussi la chevelure du sculpteur.

Maillol: Marie, 1931
 Néo-Antique ou académique ici, peu importe, en raison de la recherche  de la  bonne posture par sculpteur réanimé (Rochefort excellent dans son silence un peu caustique). Le modèle, une actrice d’une plastique « ad hoc » pour les formes. "Des petits seins en pyramides".
 L’anecdote sur son rôle politique est au mieux utile pour le contexte, comme le personnage de l’épouse (Claudia Cardinale parfaite dans le genre ancien modèle), les références aux années 40 du cinéma français, plus caricaturales. Qu’importe car le travail d’atelier, répétitions  et variations, toutes les phases de la réalisation, sont soutenus par la « seconde main » des artistes qui ont produit les esquisses. Pour une fois le dessin est excellent, une pâte d’époque, si Rochefort ne manie que la râpe.   Le format large et la construction de chaque plan sont assez remarquables, hommage soit rendu au directeur de la photo.

Le fond du récit tient  donc au dialogue entre le modèle et la figure, le modèle n’étant qu’un embrayeur (dirait-on actuellement) de l’idée, et entre le sculpteur et sa chose, via la femme, en principe sans concupiscence...




L’émotion qui  surgit chez l’artiste, à son corps (non)défendant d’octogénaire est subtile. Il se suicide quand la fille part alors que la sculpture, à l’état de «modèle » au sens technique, est propre à la taille.

Pour l’artiste, figuratif et avec modèle, le schéma triangulaire est ultra-classique, mais ce qu’on perçoit dans la durée est ce rapport, d’une part au double (le modèle et son image figée) et d'autre part la manière dont l’investissement dans l’idée de la figure crée l’image même de la conscience réflexive du créateur. Et qui n’est pas la pulsion gestuelle que nombre de films exploitent.

Peu de films sur l’art, pour des raisons proprement  structurelles (la toile= l’écran) ont mis en scène des sculpteurs au travail, avant  Camille Claudel, il y eut le très bon Cellini ( G. Battiato, 1990, excellents dessins préparatoires et didactique de la fonte du bronze); celui de Trueba a été motivé par son frère, sculpteur, et auquel le film est dédié. Une compréhension de l’intérieur du travail de la plastique et de l’idée. Totalement anachronique pour le contemporain, mais c’est  aussi sa qualité.  Bonne surprise donc.

Les critiques insistent sur l’obsession de la gémellité dans le cinéma de Trueba. D’autres films sont cités (que je n’ai pas vus) mais ils ont oublié un opus :

Fernando Trueba réalisa en 1996 un film mettant en scène le milieu de l’art  (Californie ), dont le titre résume assez bien l’appréciation qu’on peut en donner : « Two Much ».
Le galeriste (Antonio Banderas) s’invente - pour séduire la soeur de sa fiancée- un frère jumeau, qui se présente comme peintre en s’appropriant les oeuvres d’un jeune artiste désargenté. Dans mon souvenir vague, c’était, comme souvent, une abstraction gestuelle et sombre. Double rôle pour l’acteur espagnol montant avec deux actrices au top, mais parfaitement naïves,  Mélanie Griffith et Daryl Hannah. Une « comédie ».

 C’était du temps où de nombreux films américains, mais aussi français, intégraient l’art contemporain, par le biais d’un personnage, le plus souvent  médiocre et quelque peu compromis par le succès, voire tragique, ou névropathe dans les thrillers.  Cette question de psycho-sociologie de l’art qui sous-tend la production cinématographique (et littéraire) ne se modifie guère entre les « biopics » et les formes  « non-biopics » récentes.
La maturation du cinéma  de Trueba  échappe ici aux poncifs usuels.
L’étude d’un moment restreint de la vie d’un ou d’une artiste change  sans doute l’approche narrative, en se restreignant à quelques épisodes historicisés d’une vie.  Dans l’ « Artiste et son modèle », un artiste  hors d’age, est déjà mort avant l’histoire. Camille Claudel 1915, déjà enterrée…


Dans les productions récentes, (Renoir, Berthe Morisot), les films étudient de manière entomologique et plus ou moins efficace le rapport du créateur à son oeuvre. « L’artiste et son modèle » m’a séduite, pour des questions esthétiques, mais  l’académisme du pseudo-Maillol entre dans une tendance très  « rétro » de l’art.
Le titre des films fait recette potentielle ;  il va de soi que je ne compare pas le cinéma de Dumont, hors catégories, avec les autres.

On peut, sur ces dernières réalisations, se poser la question du rapport entre la non-actualité de la question de l’art  (à double sens, anachronisme et permanence)  et de la rentabilité due à la foultitude de publics  qui  abondent les queues devant les musées.  
Le XIXè siècle n’est toujours pas terminé, la nostalgie du réalisme figuratif non plus.
Pour mieux comprendre ce qui travaille l’artiste, il faut aussi regarder, pour leur intérêt historique et technique, les documentaires contemporains, pour la sculpture, Balkenhol, ou comme celui consacré au peintre Gerhard Richter (vu dans l’avion pour Bombay) tout arrive ; on diffusait aussi  Hitchcock et le Lincoln de Spielberg, ultra biopics, un genre pas mort.
   






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