L’artiste
et son modèle
Un
film franco-espagnol de Fernando Trueba, 2013.
Jean
Rochefort, Aida Folch, Claudia Cardinale. Scénario: Jean Claude Carrière, Photo: Daniel Vilar.
Sorti
peu après le Renoir (très irritant) ce film consacré à un sculpteur (inconnu ou
fictionnel) m’avait alerté par l’entretien de l’auteur sur France Culture,
indépendamment de critiques dont
la lecture comparée toujours réjouissante de Positif, des Cahiers (qui l’ont
évacué) de Libé et de Télérama.
Un
vieux sculpteur Marc Cros
(Rochefort, avec la tête de l’emploi, il ressemble à lui-même et à quelques
collègues du métier) se remet à l’oeuvre après l’arrivée inattendue d’une jeune espagnole réfugiée. Les trois quarts du film se passent dans la recherche d’une
« idée ».
Le
noir et blanc, nouvelle tendance de cinéma espagnol en particulier, (Biancanieves de Floreal Peleato) iconise le sujet et transcende la lumière de
l’atelier.
Bien
que construit entre les allers retours entre la maison et cet atelier dans la
montagne (comme dans Renoir), une sorte de grenier peuplé de fantômes, l’image du corps et de la nature prend un relief plus plastique voir conceptuel, en fonction de
l’ascèse du travail.
Le récit se situe en 1942/43, dans le sud de la région de Céret; Maillol y
meurt en 43, et la famille a autorisé le cinéaste à utiliser la sculpture
« Méditerranée » du vieux maître (commandée par l’état en 1923). Ses
figures féminines allégoriques peuplent toujours les Tuileries.
Le film illustre les paradoxes constitutifs de la sculpture, opposition entre la matière brute, son opacité, sa pesanteur et la transparence de l'idée que l'artiste en extrait, et qui fait allégorie. Équilibre et mouvement virtuel contre la statique du matériau. Le conflit Brancusi/Rodin sur l'usage de formes naturalistes ou abstraites ne contredisait pas ces principes essentiels.
Le film illustre les paradoxes constitutifs de la sculpture, opposition entre la matière brute, son opacité, sa pesanteur et la transparence de l'idée que l'artiste en extrait, et qui fait allégorie. Équilibre et mouvement virtuel contre la statique du matériau. Le conflit Brancusi/Rodin sur l'usage de formes naturalistes ou abstraites ne contredisait pas ces principes essentiels.
On
le sait, la sculpture de marbre réfracte la lumière, et bien que les études se
fassent en terre à modeler, (sauf le dernier plâtre lourdingue) les esquisses
qui peuplent l’atelier nous évoquent, par le noir et blanc, l’atemporalité de
toute statuaire. L’ami, le praticien tailleur de stèles au cimetière contribue
au discours esthétique.
Il était donc nécessaire d'exploiter la lumière (latérale, rasante ou à contre-jour) de la pellicule noir et blanc pour exprimer la tension entre la chair et l'esprit. Une lumière qui auréole aussi la chevelure du sculpteur.
Il était donc nécessaire d'exploiter la lumière (latérale, rasante ou à contre-jour) de la pellicule noir et blanc pour exprimer la tension entre la chair et l'esprit. Une lumière qui auréole aussi la chevelure du sculpteur.
Maillol: Marie, 1931 |
L’anecdote sur son rôle politique est au mieux utile pour le contexte, comme le personnage de l’épouse (Claudia Cardinale parfaite dans le genre ancien modèle), les références aux années 40 du cinéma français, plus caricaturales. Qu’importe car le travail d’atelier, répétitions et variations, toutes les phases de la réalisation, sont soutenus par la « seconde main » des artistes qui ont produit les esquisses. Pour une fois le dessin est excellent, une pâte d’époque, si Rochefort ne manie que la râpe. Le format large et la construction de chaque plan sont assez remarquables, hommage soit rendu au directeur de la photo.
Le
fond du récit tient donc au dialogue entre le modèle et la figure, le modèle n’étant
qu’un embrayeur (dirait-on actuellement) de l’idée, et entre le sculpteur et sa
chose, via la femme, en principe sans concupiscence...
L’émotion qui surgit chez l’artiste, à son corps (non)défendant d’octogénaire est subtile. Il se suicide quand la fille part alors que la sculpture, à l’état de «modèle » au sens technique, est propre à la taille.
Pour
l’artiste, figuratif et avec modèle, le schéma triangulaire est ultra-classique, mais ce
qu’on perçoit dans la durée est ce rapport, d’une part au double (le modèle et
son image figée) et d'autre part la manière dont l’investissement dans l’idée de la figure
crée l’image même de la conscience réflexive du créateur. Et qui n’est pas la
pulsion gestuelle que nombre de films exploitent.
Peu
de films sur l’art, pour des raisons proprement structurelles (la toile= l’écran) ont mis en scène des
sculpteurs au travail, avant Camille
Claudel, il y eut le très bon Cellini ( G. Battiato, 1990, excellents dessins
préparatoires et didactique de la fonte du bronze); celui de Trueba a été motivé
par son frère, sculpteur, et auquel le film est dédié. Une compréhension de
l’intérieur du travail de la plastique et de l’idée. Totalement anachronique
pour le contemporain, mais c’est
aussi sa qualité. Bonne surprise donc.
Les
critiques insistent sur l’obsession de la gémellité dans le cinéma de Trueba.
D’autres films sont cités (que je n’ai pas vus) mais ils ont oublié un
opus :
Fernando
Trueba réalisa en 1996 un film mettant en scène le milieu de l’art (Californie ), dont le titre
résume assez bien l’appréciation qu’on peut en donner : « Two
Much ».
Le
galeriste (Antonio Banderas) s’invente - pour séduire la soeur de sa fiancée-
un frère jumeau, qui se présente comme peintre en s’appropriant les oeuvres
d’un jeune artiste désargenté. Dans mon souvenir vague, c’était, comme souvent,
une abstraction gestuelle et sombre. Double rôle pour l’acteur espagnol montant
avec deux actrices au top, mais parfaitement naïves, Mélanie Griffith et Daryl Hannah. Une « comédie ».
C’était du temps où de nombreux films américains, mais aussi français,
intégraient l’art contemporain, par le biais d’un personnage, le plus
souvent médiocre et quelque peu
compromis par le succès, voire tragique, ou névropathe dans les thrillers. Cette question de psycho-sociologie de
l’art qui sous-tend la production cinématographique (et littéraire) ne se
modifie guère entre les « biopics » et les formes « non-biopics » récentes.
La
maturation du cinéma de
Trueba échappe ici aux poncifs usuels.
L’étude
d’un moment restreint de la vie d’un ou d’une artiste change sans doute l’approche narrative, en se
restreignant à quelques épisodes historicisés d’une vie. Dans l’ « Artiste et son
modèle », un artiste hors
d’age, est déjà mort avant l’histoire. Camille Claudel 1915, déjà enterrée…
Dans
les productions récentes, (Renoir, Berthe Morisot), les films étudient de
manière entomologique et plus ou moins efficace le rapport du créateur à son
oeuvre. « L’artiste et son modèle » m’a séduite, pour des questions
esthétiques, mais l’académisme du
pseudo-Maillol entre dans une tendance très « rétro » de l’art.
Le
titre des films fait recette potentielle ; il va de soi que je ne compare pas le cinéma de Dumont, hors
catégories, avec les autres.
On
peut, sur ces dernières réalisations, se poser la question du rapport entre la
non-actualité de la question de l’art
(à double sens, anachronisme et permanence) et de la rentabilité due à la foultitude de publics qui abondent les queues devant les musées.
Le
XIXè siècle n’est toujours pas terminé, la nostalgie du réalisme figuratif non
plus.
Pour
mieux comprendre ce qui travaille l’artiste, il faut aussi regarder, pour leur
intérêt historique et technique, les documentaires contemporains, pour la sculpture, Balkenhol, ou comme celui
consacré au peintre Gerhard Richter (vu dans l’avion pour Bombay) tout arrive ; on
diffusait aussi Hitchcock et le
Lincoln de Spielberg, ultra biopics, un genre pas mort.
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