lundi 16 avril 2012

DRILLER KILLER: à propos des "serials painters".



 Après le pinceau (et son étymologie virile), puis le couteau, les peintres utilisent le pistolet à peinture, branché sur un compresseur, le sèche-cheveux pour accélérer le travail des fonds, la cloueuse pour le châssis. Un nouvel arsenal face à l’image.
 Abel Ferrara tourne «  Driller Killer » en 1980, et joue le rôle  de Reno le peintre à la perceuse. Deux activités distinctes et schizophrènes.
Son premier film d’une peinture de l’enfer des villes américaines ; l’activité artistique constitue un fond de références , la figure de l’artiste permettant de rejouer le cinéma de genre horreur. Globalement relevant du gore, (Massacre à la tronçonneuse,1974), Driller Killer  serait alors un film politique.

 



L’insistance sur les très gros plans, la couleur, se réfèrent au giallo, les films de Dario Argento en particulier.




 En revanche les séquences musicales hystériques, saturation, violence et visions en flashs, comme autant de shoots annoncent les oeuvres suivantes de Ferrara.

Plusieurs motifs se trament avec, comme contexte, une peinture sociale du Lower East Side à New York :

-La musique rock tendance punk (Iggy Pop est une référence) : la moitié des séquences y sont consacrées, qui produisent des effets hallucinatoires chez le « héros », filmées dans des locaux couverts de tags et de graphs.  C’est l’année de l’émergence des artistes de rue, dans SoHo dont Basquiat.

Un même dispositif d’alternance entre déambulations et répétitions musicales construit le documentaire « Downtown 81 ». On peut noter qu'à la même date, les intellectuels de W. Allen fréquentent les musées de l'Upper East Side: une seule ville, Manhattan, deux mondes.
- La drogue et le sexe : tous produits et usages ; l’une des deux compagnes de Reno est shootée en permanence.
-La télé et la publicité, qui inspira les artistes pop, dans une version nouvelle. : Quelques peintures post-pop, tendance funk : réappropriation et défiguration des icônes décorent les murs : Dick Tracy décapité..





After Picasso
Les oeuvres aperçues dans le bureau du galeriste se situent dans les valeurs reconnues de la production  américaine : Une sérigraphie de Warhol, Marlon Brando, (1963/66).
Des distorsions "surréalisantes".








Un Nu de John de Andréa (sculpteur hyperréaliste utilisant le moulage de résine, comme dans les musées de cire)  datant des années 72/73.

Pour exemple: un couple, 1973. 
Les scènes de lit (entres femmes aussi) dans le film sont aussi réalistes.



- La misère : Le film de Lionel Rogosin en 1957 « On the Bowery » témoignait déjà d’une réalité de la déchéance. Les oeuvres d’un autre sculpteur hyperréaliste, Duane Hanson, à la fin des années 60, sous forme d’installations saisissantes exposaient les clochards dans les musées.


« Mes premières sculptures étaient plutôt expressionnistes, prenant parti contre le crime, les accidents d’automobiles et la violence en général. Les sujets que je préfère ont trait à la vie quotidienne des Américains les plus défavorisés. La vraie réalité de leur vie est saisie dans cette résignation, ce vide, cette solitude... » (Interview, 1973, in Cnac archives 12/13, 1974).








Les « derelicts » de la Bowery seront les premières victimes de Reno, les scènes des crises du paumé au bas de l’immeuble, en plongée, puis cloué, sont terrifiantes. 



Le poids du catholicisme, propre à Abel Ferrara, mais on l’a vu, constitutif de l’origine de l’image, introduit la première séquence. La traversée de l’église sera reprise dans Bad Lieutenant,1992.  






Scènes d’atelier :
Reno travaille dans son appartement (même pas un loft) dont le local voisin est occupé par les "Roosters".
Dans ce contexte, l’artiste rejoue les poncifs des angoisses, de la réception critique, du délire compensatoire ; non sans quelques références : Ferrara connaît les classiques :
L’incapacité d’en finir avec l’oeuvre en cours : un toro à l’oeil unique, que Reno voudrait énucléer : 








ici on retrouve l’obsession des surréalistes, le minotaure en version bison et le clin d’oeil à Bunuel :


autre référence un lapin massacré et pourrissant. "Répulsion" de Polanski.







Le gros plan de l’oeil alternant avec le foret de la perceuse, style Argento. 
Les regards des peintures lui "parlent" et déclenchent les crises. l'amnésie suit.
Contraste entre les visions et la facture des oeuvres: schizophrénie:




  
L’exécution d’un portrait de   « Tony Coca Cola », le bassiste, donne lieu à une séquence technique conventionnelle : dessin préparatoire soigné, en direct, sans l’intermédiaire de la projection photographique des Pop artistes,





Après le passage d'un fond 
préparatoire rouge, ultra classique, suit une mise en couleur « clean »; le style de Reno se marque par les lacérations illusionnistes qui traversent les figures.














Ou l'on découvre un portrait idéalisé : on croirait Keanu Reeves ?




comme d'autres icônes de l'atelier:









Cassé par le galeriste, abandonné par l'une des deux compagnes, 







Ultime action du justicier, un plan associe une figure christique et le harnachement de cow-boy (Marlon) pour le règlement de compte final, perceuse gros calibre.




Dans l'abribus










Plusieurs victimes ont déjà été crucifiées, c’est au tour du galeriste, qui l’accusa d’être trop technique, de l’une de ses deux copines et du petit ami de l’autre, d’être exécutés. 

 


Fin au noir total, avec quelques mots off : « c’est chaud ».

Ce film culte et radical dans sa construction a pu inspirer quelques réalisateurs, moins intéressants, mais qui raniment encore la figure du peintre névrotique et tueur : l’exploitation  du travail d’atelier concrétise le désastre narcissique. Un sujet écartelé entre Freud et Dieu, et la mère.

On peut ne pas voir Color of night, R Rush, 1994 : l’artiste victime d’une psychose de dédoublement se livre à des installations de cadavres sanglants tout en suivant un groupe psychanalytique. Bruce Willis en psy est aussi incohérent que le scénario. Mais, du côté de l’art contemporain, c’est un zeste de nouveauté  qui cite l’art corporel issu des Actionnistes viennois, et des performances trash , avec usage de la cloueuse.

En 1999, Michaelangel, La trace de l’ange en VF, William Cove, avec Dennis Hopper dans le rôle de Garou, serial painter assassin, joue la surenchère dans l’analyse (?) des addictions à la mère, aux turpitudes de l’église et de la transsubstantiation. Un must, à voir au second degré en écoutant les dialogues qui donnent une leçon sur ce qu’est l’expressionnisme, plus ou moins abstrait. (Déjà étudié infra)


Ici, le contexte des Caraïbes sur fond vaudou reste un alibi plus qu’une dénonciation, quelque fut le rôle de la CIA en Amérique latine, tant la caricature est lourde.
De la chair et du sang, toujours.

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