mercredi 13 avril 2011

BIOPICS (suite) Maudizartistes


2. Le dix-neuvième siècle.

Le passage du XVIIIè au XIXè est illustré par deux Goya (1748-1828) qui insistent sur les guerres et massacres de l’invasion napoléonienne en Espagne. L’aspect visionnaire est restitué par des diaporamas et des tableaux vivants dans le Goya a Burdeos de Carlos Saura.
Les films suivants sont consacrés aux artistes français : Conséquence d’une représentation romantique, l’art se fonde sur l’idée du génie et de l’inspiration de l’artiste : une esthétique du sublime1. De cette période, un cas d’espèce, le film de Bartabas, par identification héroïque, Mazzepa, consacré à Géricault, ses cavalcades et sa mort de gangrène après un accident de cheval à 33 ans en 1824. Par un gag anachronique, Géricault-Laurent Terzieff, nettement trop âgé, meurt de phtisie en peignant le Radeau de la Méduse, dans un film éponyme (Azimi 1998).

L’artiste, puisque la formation n’est plus dans l’atelier familial, mais d’école, provient d’un milieu petit bourgeois ou même de petite noblesse, rompt avec les valeurs traditionnelles. Spontanément opposé aux contraintes sociales, il suit (ou ne suit pas) les cours des l’école de Beaux-Arts, présente ses œuvres dans les salons. Le salon (par opposition à l’académie) permet l’émergence de peintres « indépendants », avec ou contre les critiques :
« Après l’incendie de l’opéra , une autre calamité s’est abattue sur le quartier. On vient d’ouvrir une expo de soi-disant peinture (…) cinq ou six déments dont une femme se sont réunis pour exposer leurs œuvres. J’ai vu des des gens éclater de rire devant ces tableaux, moi j’ai souffert. Ces prétendus artistes se veulent intransigeants,  « impressionnistes », ils prennent une toile, de la peinture et un pinceau, répandent de la couleur au hasard et apposent leur signature2. C’est comme si les pensionnaires de Charenton ramassaient les cailloux du chemin, croyant trouver des diamants ».
La psychiatrie est d’emblée évoquée, qui double les clichés usuels sur les artistes maudits que l’incompréhension amène à vivre dans une précarité que les amitiés selon des petits groupes débattant sur des principes différents de la norme permet d’atténuer. Les milieux sociaux du prolétariat et de la marginalité, leur sont connus « de l’intérieur ». L’atelier misérable, les fins de mois impossibles, le marchand mécontent, les amies modèles de mauvaise vie, le bistrot et les compensations. Sur quoi se jouent la tuberculose, la cirrhose, la syphilis qui ravage tous les milieux à la fin du XIXè, surtout les bourgeois - Théo Van Gogh en fut victime - que la morale hypocrite amène au bordel pour compenser les interdits domestiques et le malthusianisme. Les films récents n’éludent ni la maladie, ni les internements nombreux qui sont une caractéristique nouvelle3 du scénario (outre Van Gogh, Camille Claudel, Munch, puis Utrillo et Séraphine après la guerre de 14-18) remplaçant la prison pour meurtre ou hérésie des périodes antérieures.

Au plan historique, la période 1880-1920 assure la plus grande part du corpus des biographies. Faisant suite aux impressionnistes, les artistes sans caractère plastique commun permettant de les qualifier, sont déjà des expressionnistes au sens où leur sensibilité, la volonté de travailler forme et couleur en font des avant-gardistes. Toulouse-Lautrec, Van Gogh et Gauguin comme valeurs absolues du marché de l’art, bénéficient de l’intérêt de l’industrie hollywoodienne, et pour Van Gogh, de la fascination du Japon : les films échappent en partie à la tradition du cinéma européen.

Paris, avec ses cartes postales, est donc le centre des débats artistiques de la bohème, et de la rencontre de personnalités ; ainsi, Emile Bernard le joue avec Toulouse Lautrec contre Cormon, rencontre par hasard Van Gogh ou Gauguin, soutenu par Pissarro. Chaque film va privilégier un artiste avec son entourage, ce qui permet au public averti de « chercher l’erreur ».
Monet, Pissarro, Cézanne, Seurat, Renoir n’apparaissent qu’en « seconds couteaux », ou comme fournisseurs de décors. Le père Tanguy et Durand-Ruel sont de tous les castings.
Le plein air, coté décor, montre Barbizon, Pont-Aven, le midi de la France, puis l’Océanie pour Gauguin. Les recherches sur la couleur, le divisionnisme et la synthèse optique s’appuient sur les théories de la couleur de Goethe et de Chevreul, mais la peinture qui en sort est considérée comme barbare, criarde et non réaliste. Ceci nous donne une série de poncifs dans les dialogues des scènes de galerie. Mais pour le cinéma fait l’objet de recherches plastiques – les premiers films sont contemporains des innovations techniques.
Sur une trame standard, on peut citer deux Toulouse-Lautrec (1864-1901), « le nabot ».
Moulin Rouge de John Huston, USA,1953, film en couleurs4 avec des décors peints (brossés) traite les années 90-01. Prototype d’un cinéma à grand spectacle, mais innovateur, il alterne les scènes de bals, de bistrot, et des animations d’œuvres prêtées par le musée d’Albi. La main « coupée » d’un dessinateur fait des raccords ; on voit l’émergence de femmes autonomes (la couturière) et des images de la déchéance, la mutation des lieux de spectacle, devenus très fréquentés par les bourgeois renvoie la Goulue à la rue. Fin visionnaire en surimpression. José Ferrer à genoux (au sens littéral) incarne un (trop) vieux Lautrec pessimiste noir, douloureux d’échecs sentimentaux.
Lautrec de Roger Planchon (metteur en scène de théâtre) 1998. Ce film français, avec de gros moyens insiste sur une biographie chronologique : le père viveur passe autant de temps que le fils dans les lieux de débauche. L’école des beaux-arts fournit les clichés : le bizutage, les modèles : on rencontre Emile Bernard, Degas, Van Gogh. Le cinéaste lui prête une longue liaison avec Suzanne Valadon (incarnée par l’incontournable Elsa Zylberstein5) artiste importante bien que méconnue, issue du cirque, mère d’Utrillo. Elle incarne un conflit sur les rôles et l’influence artistique dans le couple d’artistes. Au delà de l’insistance sur une peinture de société fin de siècle, qu’un clone d’Aristide Bruant commente par les chansons, les prostituées, l’hôpital, l’apport de la sociologie contemporaine, le choix de l’acteur, sorte d’adolescent ironique qui semble rire de tous ses malheurs, est très anachronique, sauf à considérer la permanence du destin.

Van Gogh (1853-1890) et Gauguin (1848-1903) occupent à eux-seuls, ou en binôme, un corpus filmique à la hauteur de la légende.
Van Gogh, fils de pasteur du Brabant, clichés : la mine dans le Borinage, les crises mystiques et les échecs amoureux, la peinture après 85 à Anvers puis Paris, soutenu par son frère Théo, marchand d’art. Arles en 88 ou il cohabite avec Gauguin, le drame de l’oreille coupée, l’internement, la fin à Auvers sur Oise chez le Docteur Gachet, où il meurt des suites d’une tentative de suicide. En fait dix ans d’existence artistique, bien pratique pour le cinéma.
La période d’Arles fait le centre d’intérêt de deux films. Minelli : Lust for life, 1956, et Vincent et Théo de Robert Altman 1990 (sorte de mauvais remake).
Le scénario prend toute la chronologie, et le film de Minelli, qui a bénéficié des autorisations des musées pour insérer les œuvres, quitte à en étaler des copies à tous les plans, peut être considéré comme le modèle de la biographie soignée, avec des scènes conformes à l’exactitude documentaire, les lettres sont citées comme accompagnement off, et avec de « bons acteurs6». Tous les cinéastes suivants l’auront vu – y compris Kurosawa qui reprend dans Rêves,1990, l’idée du paysage repeint.
Indépendamment de la performance de Tim Roth, conforme au portrait, mieux vaut regarder le film de Altman au troisième degré en étudiant la caricature scène par scène du premier. La seule séquence innovante est la visite d’un panorama.

Van Gogh de Pialat,1992, comme film d’auteur plus que biographie, ne conserve que la fin de sa vie à Auvers sur Oise, sans reconstitution historique, peu de studio, son direct. Pialat s’attache surtout à une étude psychologique mais construit tous les plans en référence avec les peintres contemporains, Manet, Monet, Pisarro, Renoir et Toulouse Lautrec. Il est aussi peintre, et réalise les œuvres en cours, aussi on ne voit la facture Van Gogh que dans quelques gros plans. Peinture d’une classe sociale et de la montée du socialisme, le film culmine dans un quadrille qui annonce une révolution ou une guerre imminente. Van Gogh-Dutronc est un type ordinaire, humain, réel, comme tous les non-héros de Pialat..
Gauguin, « peintre maudit et martyr »7, cohabite donc avec Van Gogh ; les films qui lui sont consacrés, en revanche s’attachent à la période océanienne, que les mémoires dans Oviri , écrits d’un sauvage, documentent. Le film d’Andreacchio, 2003, transforme l’histoire de manière très « aventures dans le pacifique » ; le héros défend les autochtones colonisés par les marchands et l’église et tente de sauver leurs idoles détruites tels les bouddhas du Bamyan : une production totalement liée aux exigences du cinéma commercial, avec un acteur aussi peu crédible que possible, fils du précédent acteur de Oviri, Gauguin, le loup dans le soleil, H Carlsen, 1986.

En suivant une chronologie du XIXè, deux films méritent l’attention par l’introduction, dans les biographies, des recherches de la psychologie, et de la psychanalyse, sciences en cours d’invention au XIXè ; leur exploitation au cinéma en serait une légitimation, toujours rétrospective.
Camille Claudel 8( 1864-1943), incarne le destin tragique des femmes artistes dans le contexte machiste de l’époque. Le film Camille Claudel, de Adjani/ Nuytten - chef opérateur à l’origine, retrace avec précision l’histoire intégrale, les lettres justifient le roman, les œuvres montrées dans et avec soutien des musées (une grande reconstitution du Salon de 1900 au Grand Palais). Depardieu en Rodin assure le succès de la distribution. Et Isabelle Adjani montre comment l’identification à une héroïne réactualise les personnifications que l’artiste en son temps mettait en effigie.

Edvard Munch (1863-1944). Peintre norvégien, est universellement connu pour Le Cri (1993). Issu d’un milieu protestant austère, fils de pasteur, il était contemporain de Strindberg, d’Ibsen, de Kierkegaard, dans un contexte particulièrement tragique. Une vie sentimentale ratée, une famille décimée par la tuberculose, le désignent comme le représentant de la crise psychique qui sous-tend la peinture. Sa notoriété est fonction des années qu’il a passées à Berlin, où il devient un référent pour les expressionnistes allemands des années 1910. 
Le film Edvard Munch, la danse de la vie, de Peter Watkins, 1974, documentariste de l’école anglaise, fut financé par le gouvernement norvégien.
« Docu-fiction », une catégorie singulière qui fait école depuis quelques années, à l’opposé du récit standard, le film qui dure plus de trois heures est conçu de manière polychronique, les acteurs non professionnels s’adressant au spectateur au cours de scènes descriptives, alors que les commentaires off contextualisent chaque période par des événements mondiaux.
Un système brechtien s’écarte donc du récit chronologique ; le montage saturé, les flash back obsessionnels tentent de rendre visible le tourment intérieur et les fantasmes, par un montage son contrapuntique foisonnant.

3. Modernes et contemporains, le XX è


Gauguin, Munch pour l’histoire de l’art assurent une transition vers l’expressionnisme ; en toute logique, les artistes phares méritent une biographie, si leur notoriété le permet ; on trouve donc des artistes de Vienne : Klimt, seul, avec ses fantasmes, dans Klimt ( Ruiz, 2005)  ou dans son entourage, (Alma, la Fiancée du vent, Alma Mahler, Klimt, Kokoschka, Gropius, 2004), Egon Schiele, enfer et passion, H.Vesely (1980), prétexte à images érotiques.

La production commerciale est centrée sur l’après guerre en France ; les deux pôles Montmartre et Montparnasse sont les lieux de la concurrence et de l’amitié entre artistes français et immigrés, sous l’égide de la littérature : Apollinaire, puis Cocteau. La vie de bohème est plus agitée et gaie dans ces «années folles » que dans les décennies précédentes : le changement économique et politique de l’après guerre remplit les cafés littéraires qui sont des cénacles. On rencontre donc simultanément les figures de Picasso, Utrillo, Soutine, Kiesling, et nombre d’autres participants de l’École de Paris.
Des marchands éclairés soutiennent des recherches novatrices : Guillaume, Kahnweiler...
Ce qui n’exclut pas les difficultés financières des artistes soumis à une critique toujours corrosive. Le mythe est tenace.
Les femmes ont acquis une certaine place, des féministes aux garçonnes, leur liberté se paie cher, mais elles n’occupent plus seulement le rôle de muse.
Appartient à cette série bohème parisienne, le film chinois PanYulyang, femme peintre:9

La légende de l’artiste maudit, seconde époque, se concentre sur la figure de Modigliani10, dont le personnage condense tous les poncifs du XIXè avec en plus un soupçon de dandysme, lié à son origine. A quoi on rajoute la cote des œuvres, identifiables au premier coup d’œil, et qui furent sans doute la meilleure vente de posters pendant 50 ans.
Trois films l’illustrent : Gérard Philipe en beau héros romantique dans Montparnasse 19, Becker, 1958, conséquence des rôles possibles pour cet acteur mythique.
Une coproduction franco-italienne moyenne en 86 avec Richard Berry , due au troisième des frères Taviani, (le moins bon) : chronologie simple, scènes standardisées de mansardes sordides et de bistrots. D’absinthe « meilleur second rôle », en hôpital psychiatrique, la légende lacrymale.
Le dernier Modi en date une production anglo-germano-franco-italo-roumaine, réalisée par Mick Davies avec Andy Garcia dans le rôle. Gominé, l’œil plus latin-lover que jamais : une salade de clichés dans un décor de studio qui n’a d’égal que les anachronismes du récit. L’action se situe entre 1918 et 20 à Montparnasse, avec un « concept » : l’ enfant, le bon ange du peintre qui assiste aux moments tragiques. Pour faire bonne mesure, le film met en scène, autour de Max Jacob, travesti en meneur de revue gay et Cocteau, tous les artistes maudits y compris ceux qui n’étaient pas encore là. La visite à Renoir, en vieillard débile, nourri par une « nurse Betty » donne le ton ; passons sur l’age apparent des différents acteurs. Un concours de peinture les réunit dans un clip vidéo musical, tous en transe, entre extase alcoolisée et agonie, jusque sur le toit. Au dévoilement des chefs d’œuvre (de très très mauvaises pseudo-copies), on découvre avec stupeur : le Bœuf de Soutine (1932), Modigliani par Picasso (style cubiste de 1912), un autoportrait d’ Utrillo en delirium tremens (inconnu), Diégo Rivera peint Frida Kalho (qui aurait eu 12 ans et qui ne viendra à Paris qu’en 39) et Kiesling, la Révolution, kalachnikov à la main. Enfin donc Jeanne, (les yeux ouverts, un scoop) gagne le prix quand l’auteur agonise dans la neige.

Les « contemporains » sont soumis au même régime de l’artiste d’exception .

Après 1950, c’en est fini de l’hégémonie française et de la bohème. Le courant surréaliste qui domine entre 30 et 40 s’exporte comme mouvement international, la montée du fascisme ayant contraint les artistes d’origine juive (pas seulement) à s’expatrier. Les Etats-Unis depuis les années 20 ont tenté de trouver une alternative à la domination de l’art européen. La politique de Roosevelt, la WPA a mis en place un système de bourses affectées à de jeunes artistes américains nés en 10-20 dans une campagne de grands travaux : les muraux pratiqués au Mexique par Rivera, Orozco et Siqueiros, engagés dans la révolution communiste ont servi de modèle. Les artistes immigrés, les russes d’abord (Gorky) ou européens (De Kooning) se sont liés avec les artistes locaux, fondant l’école de New York dans les années 40-5011. Peggy Guggenheim fait le passeur. La création d’un musée d’art moderne américain achève l’institutionnalisation des artistes.
Le cinéma logiquement a pu s’emparer de quelques figures, mais très récemment. Avec le décalage de la notoriété. Toujours selon une logique de nationalité et de collections.
Ce sont des auteurs « indépendants » qui ont hagiographié quelques noms, pour cette période. Trois cas historiques : dans l’ordre de la production et à l’inverse de l’histoire :
Basquiat (1960-88 ), Pollock (1912-56 ), Frida Kahlo (1907-54), dont deux premiers films de leur auteur.
La mexicaine Frida Kahlo fut donc en relation avec le milieu surréaliste par le soutien d’André Breton, avec la scène politique internationale pour avoir abrité Trotsky, et la scène new-yorkaise quand Rivera son mari a eu la commande d’un mural pour Rockerfeller – qui le fit détruire en raison du thème prolétaire et révolutionnaire. Le photomontage en est un indice.


Sa vie tragique, son martyre physique, les relations sexuelles complexes, la drogue pour raisons médicales, se termine en apothéose : elle totalise tous les clichés imaginables.

Frida : de Julie Taymor12, 2002, est produit par l’actrice Salma Hayek qui investit son personnage, son argent, son nom et son double mari (Rivera-Molina). Film étayé par la documentation et les lieux de tournage, dans le contexte contemporain, King Kong fait son apparition, le numérique permettant l’animation des peintures.

Dans le courant qui fut qualifié d’expressionnisme abstrait ou d’action painting, Pollock est le plus connu, sa mort tragique, (un accident d’auto un an après James Dean) assure la « validation mythique ». Sa capacité d’autodestruction (mais Arshile Gorky, avant lui, cité dans Ararat, d’Atom Egoyan, 2002, fut encore plus tragique) doublée de l’alcoolisme, et de la révolution picturale qu’il instaure, le dripping en fait le héros de l’art américain, en 52, grâce à la revue Life et au critique formaliste Greenberg.


Ed Harris, connu pour ses rôles dans les polars ou la science fiction, a travaillé six ans pour s’entraîner à peindre et pour monter cette première et sans doute unique réalisation, avec des financements privés, et surtout personnels, et des acteurs volontaires. La reprise exacte du documentaire de Hans Namuth donne la mesure de la qualité de l’imitation. On ajoutera qu’il donne sa place à Lee Krasner, qui fut quelque peu en marge de l’histoire de l’art (sauf grâce au soutien des féministes).



Le héros étant mort jeune, la légende fonctionne, comme elle fonctionne pour le plus jeune des héros, Basquiat, soutenu par Warhol, qui bénéficia d’une promotion rapide et coïncide au modèle requis de l’artiste déjanté qui meurt très jeune d’une overdose et dont la cote assure le niveau. L’art de la rue avec les graffitis et une peinture issue du pop est connu de tous les publics, le rap fait le reste.
Basquiat a été réalisé par le peintre Julian Schnabel (originaire d’Allemagne, installé à New-York, il fut l’un des acteurs du nouvel expressionnisme des années 70). Schnabel se met en scène sous le pseudo de Milo (Gary Oldman) Le film intègre la rôle de la critique, la concurrence des galeries et l’enjeu financier considérable de l’art ( l’écart entre le marché des années 50 et 80 est saisissant). Quant à la production elle est facilitée par l’appartenance de toute l’équipe au milieu artistique, les acteurs sont aussi des artistes mythiques : Dennis Hopper et David Bowie incarnant Warhol, ni reconstitutions, ni autorisations, tous les personnages peuvent assurer, in situ, leur double rôle.

Hors des Etats-Unis, mais non sans rapport avec une forme figurative d’expressionnisme, Francis Bacon, (1909/91) peintre anglais le plus connu du royaume dont la vie a pu défrayer la chronique colle au modèle « Caravage plus » : en privé homosexualité et alcool, en peinture, vérisme de la représentation, invention d’un système pictural inédit.

Dans la tradition du cinéma anglais créatif sur l’art, l’auteur de Love is the devil, 1997, John Maybury, a été formé par Derek Jarman. La part documentaire concerne l’exposition au Grand Palais, en 71-72. Aucune œuvre n’est montrée dans l’atelier, seuls les effets plastiques liés au cinéma permettent à l’auteur de reconstruire le dispositif des tableaux.

Il est donc possible de cautionner une « modèle » d’artiste permettant la production et les rééditions de biographies, de sorte qu’elle satisfassent au mythe et au désir, sinon du grand public, qui « va toujours voir le même film », ou du moins de la production qui attend un succès financier. Cependant, alors que cette exigence cinématographique redouble les icônes de l’art, les innovations plastiques des réalisateurs ne peuvent être évacuées. Le cinéaste est aussi un artiste, il convient d’analyser et de reconnaître l’originalité ou la qualité de chaque œuvre. Parallèlement aux recherches scientifiques, universitaires, et techniques, qui permettent des reconstitutions mieux documentées après 1980 (quelle que soit la période des artistes), la relecture psychanalytique intervient dans les réalisations. Sans désir, ni plaisir, le cinéma comme le roman n’a que peu de résonance. Le cinéma cautionne donc des mythes, la star et le dictateur, le tueur ou l’ange ; les artistes n’en sont qu’une occurrence.
Roland Barthes, auteur de Mythologies (1957) écrivait : «La fin même des mythes, c’est d’immobiliser le monde : il faut que les mythes suggèrent et miment une économie universelle qui a fixé une fois pour toutes la hiérarchie des possessions. Ainsi chaque jour et partout, l’homme est arrêté par les mythes, renvoyé par eux à un prototype immobile qui vit à sa place, l’étouffe à la manière d’un immense parasite interne et trace à son activité les limites étroites où il lui est permis de souffrir sans bouger le monde: la pseudo physis bourgeoise est pleinement une interdiction à l’homme de s’inventer ».

En quelque sorte, la structure du mythe fonde une généalogie d’artistes en conflit avec les institutions, et des « motifs » ; l’art confronté au cinéma doit être en soi et pour le grand public dans l’imaginaire, hors de la normalité, du coté de l’exception.
Ce qui explique que les extensions du modèle abondent dans les fictions diverses, avec un artiste comme héros, mais ceci est une autre histoire....

A suivre...



NOTES   *********

1 Pour l’ analyse de l’incidence de la conception romantique de l’artiste, se référer aux ouvrages de N. Heinich. Le fameux « syndrome de Stendhal », deviendra le titre et l’argument d’un film polar/gore de Dario Argento, 1996.

2 Dans la série des dialogues anachroniques, on entend dans le Van Gogh de Minelli : « on dirait que c’est peint au pistolet »…

3 Les scénaristes, après 1980 ont tous lu Freud et peut-être Michel Foucault…

4 Au plan plastique ce film est intéressant car il exploite des propriétés du technicolor (brevet fin 40) qui implique une caméra supportant trois films chromatisés (magenta, vert, bleu) plus un négatif en valeurs rajouté au développement ensuite, ce qui permet à Huston de travailler de manière « picturale » chaque plan ; la technique étant comparable aussi au tirage des affiches en lithographie qu’on voit décrite dans les deux films.

5 Cette hypothèse est très contestable, mais il fallait un rôle féminin et une ouverture sur les recherches des genders studies. Cette actrice française est présente dans tous les castings avec artistes (Van Gogh de Pialat, dans le dernier Modigliani, ou encore des films de fiction sur l’art, comme Mina Tannenbaum - M. Dugowson, 93)

6 Dans le film de Minelli, Kirk Douglas, très inspiré contre Gauguin - Anthony Quinn, assez odieux, à peine sorti d’un western, même avec un gilet bigouden et un béret basque…

7 Sic , dans l’Encyclopedia Universalis ; petit fils de Flora Tristan, vécut son enfance à Lima. Agent de change, marié avec une danoise, père de quatre enfants, il rompt avec ce milieu en 83 pour se consacrer à la peinture en autodidacte. Après Pont Aven,1887, part à Arles avec Van Gogh en 88, puis en 1890 pour Tahiti et les Marquises. Un mythe Jacques Brel redouble son cas.

8 Famille d’intellectuel athée, sœur de Paul Claudel (converti au christianisme, et auteur dramatique, après avoir été ambassadeur. Sa vocation est soutenue par le père ; elle entre dans l’atelier de Rodin dont elle devient la muse, maitresse et modèle (trilogie usuelle de la fin XIX et du début XXè). Le conflit d’influence autonomie/soumission aiguise une crise psychologique, que les cliniciens de l’époque nomment hystérie, malgré des succès au salon, sa mère et son frère la font interner en 1913, elle ne sortira jamais de l’asile.

9 De Yang Shukung, Chine, 2002. Soumise aux violences des révolutions chinoises, cette héroïne réelle (Gong Li, la star) est sortie d’un bordel par un humaniste qui en fait sa concubine et lui finance des études ; elle quitte Shanghai pour Paris où elle accomplit le parcours de la combattante : la mansarde, la convoitise, le refus d’une prostitution alimentaire. Repart à Nankin, comme professeur aux Beaux arts, en est chassée, revient à Paris. Exposition au Luxembourg à la fin de sa vie. Elle légua toute son œuvre au gouvernement chinois en 77.

10 1884-1920. D’origine italienne mais juif, arrive à Paris en 1906, période d’effervescence du fauvisme, rencontre Brancusi, tente la sculpture, 1909-I2, puis il met en place un système pictural totalement singulier, hors écoles. Il meurt de tuberculose aggravée par l’alcoolisme en janvier 1920. Sa compagne et modèle Jeanne Hébuterne, enceinte d’un deuxième enfant se défenestre le lendemain. Ils sont enterrés ensemble.

11 Lire de Serge Guilbaud : Comment New York vola l’idée d’art moderne, J Chambon, 1998.

12 Spécialiste de la mise en scène au théâtre et à l’opéra ; un seul film connu :Titus, d’après Shakespeare, avec A Hopkins, un objet inclassable.

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