Calvaire en rouge. |
L’ironie contenue dans le titre du dernier film d’Andrzej Wajda (décédé en octobre à l’âge de 90 ans) un biopic consacré au peintre Wladyslaw Strzeminski, pourrait être une forme d’oraison funèbre par procuration.
Il faut attendre plus d’une heure pour décoder le titre d’un film totalement dépourvu d’effusions sentimentales.
Wajda sur le tournage avec la jeune fille. |
Le récit des dernières années du peintre s’attache à exemplifier la politique culturelle des régimes sous l’emprise de Staline et du totalitarisme en général.
La Pologne, à peine réunifiée, fut le pays le plus dévasté pendant la guerre et le génocide des juifs, et retomba dans l’espace soviétique.
Wajda nous est connu par ses films historiques, et surtout la trilogie consacrée aux mouvements portés par les syndicats pour la libération et la démocratisation du pays:
L’homme du peuple, 2014, un portrait de Lech Walesa , qui figurait déjà dans L’homme de fer, en 81, une « suite » de L’homme de marbre , 1977.
Ce dernier film sous forme d’enquête, évoquait le destin tragique d’un sculpteur , auteur d’une parfaite illustration du réalisme socialiste.
Remontant l’’histoire, les fleurs bleues se situe entre 1948 et 1952. Wajda a exploité les clichés de l’époque.
Strzeminski devient alors « l’homme de l’art ».
L'acteur, Buguslaw Linda. |
Le récit: Le peintre et professeur à l’école des beaux Arts de Lodz, adulé par ses étudiants, que l’on découvre amputé d’un bras et d’une jambe, se fait exclure en raison de contenus théoriques non conformes aux positions politiques.
Un cours très étonnant sur les théories de la vision, s’appuie sur une analyse des données physiologiques de Van Gogh ( qui ne pouvait manquer à la liste des peintres de L’art dégénéré)
Mondrian et les constructivistes sont alors éliminés de la salle « Néo Plastique » du Musée où figurent les peintures de Strzeminski et les sculptures de son épouse Katarina Kobro.
Privé ensuite de sa carte de la maison des artistes, et en conséquence des cartes d’alimentation,
Contraint au pire.. |
il est contraint de dessiner des portraits réalistes monumentaux, puis à nouveau à la rue, recruté dans une hypothétique boutique, où il s’effondre, dans une vitrine de mannequins démembrés, dernier trait d’humour noir.
Scènes:
Comme dans tout film du genre, le peintre seul dans son atelier, exécute des toiles, entre cigarettes et cafés. La tuberculose en aura raison en 1952.
Entre les visites des étudiants qui le soutiennent, sa petite fille joue le rôle du messager entre lui et sa femme qui se consume à l’hôpital. La gamine assiste seule à l’enterrement, et par ailleurs incarne une jeunesse déjà acquise au nouveau régime.
La jeune étudiante qui vient taper les textes sera arrêtée par la police politique.
Ne restent qu’un ami poète Julian Przybos, et le directeur du Musée qui cache les dernières toiles.
Des personnages caricaturaux, la hargne des employés et des responsables «à la botte», le spectre de la faim et des files devant les magasins, un contexte tragique. Même le cinéma assène une vision de l’art soviétique.
Des couleurs symboliques: après la nature fleurie des cours en plein air de la première séquence, et une apparition acrobatique, tout le régime chromatique bascule: l’atelier est obscurci, au rouge, par l’érection d’un Staline géant sur sa facade.
Du gris bleuté (à l’instar sans doute de la tonalité des premières toiles unistes) domine la pellicule.
Maisons sordides dans des rues de la même couleur que les vêtements, des musées poussiéreux, l’hôpital pire encore, le décor est totalement déprimant.
Les seules couleurs vives de la salle néo-plastique, sont passées au blanc, la céramique murale détruite;
Triomphe final du rouge et blanc de défilé du 1er mai, le manteau de la petite Nika assure une double signification .
L’art et les théories de Strzeminski.
On ne peut qu’admirer la prestation du héros, Buguslaw Linda et de tous les autres protagonistes, superbe direction d’acteurs, ainsi que de la mise en scène.
L'atelier des Beaux Arts de Lodz. archive. |
Le film , critiqué pour son conformisme au genre biopic, a surtout le mérite de nous faire réviser un classique de l’histoire de l’art des avant-gardes.
Strzeminski. |
Jilian, Wladislaw et K. Kobro |
Né en 1893, à Minsk,
à l’époque dans l’empire russe, ingénieur engagé dans la guerre, amputé en 18, W S étudie l’art à Moscou en 18 dans les Ateliers d’état libre, Il devient assistant de Malevitch (à l’époque du Suprématisme), proche des constructivistes comme Tatline.
Il rencontre Katarina Kobro, qu’il épousera ensuite. À Smolensk, puis à Vitebsk, ils collaborent au groupe UNOVIS, qui réalise aussi de l’art de propagande et de la typographie.
Typographie, 1931. |
Autant de champs d’application de l’art que tous les mouvements d’avant garde en Allemagne et Pays Bas ont expérimentés. Il invente des formes d’alphabets.
Après un emploi d’enseignant à Vilnius, s’installe à Lodz en 1931 et commence des recherches théoriques sur une forme d’art abstrait: L’Unisme.
Un ouvrage est publié en 1934. ( Pour les spécialistes, «L’espace Uniste » a été publié en France en 1977, ed L’âge d’homme. et Revue Macula 1,77)
Composition Uniste, 1934. |
« l’art comme création de l’unité de formes dont l’organicité est parallèle à celle de la nature; parmi les lois fondamentales de la formation des œuvres picturales, la planéité découlant de la toile plane sur le châssis. »
L'Unisme veut éliminer toute valeur non plastique de l'œuvre. Celle-ci ne doit être ni évocative, ni émotive, ni symbolique. L'œuvre doit atteindre une certaine "pureté".
On comprend alors son opposition définitive aux injonctions d’un art qui illustre les valeurs idéologiques du réalisme socialiste et l’interdiction d’enseigner dont il fut victime.
Architectonique, 1922 |
Composition spatiale, K Kobro, |
Partant de toiles avec des partitions géométriques, comparables avec les constructions spatiales de K Kobro. Celle-ci cesse en 37 et ne réalise que quelques petites pièces de style cubiste.
La peinture évolue vers des formes « organiques » très primitives. Des sortes de protozoaires qui deviennent assez floraux.
Les peintures des années 40 jusqu’à sa mort en 1952, intègrent des polychromies. L’empâtement de la touche (ce qu’on voit dans le film) ne contredit pas la planéité de la toile.
Conscient des problèmes juifs en Pologne, il réalise des collages de portraits de ses amis.
Pour une retrospective d’ensemble de l’oeuvre, en 2011, une vidéo sur U tube:
« Retrospective at MS2, Lodz/Poland » en vo sous titré en anglais.
Rudowlosa, 1947 |
Réhabilité en 1987, ses toiles sont exposées au Musée de Lodz, qui maintenant porte son nom.
Les dernières toiles, du film. |
Conclusion, un film à voir pour
plasticiens...
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