dimanche 24 janvier 2016

THE DANISH GIRL; arts décos.

Scène d'atelier, tournage.
Le film de Tom Hooper , co-production GB/US, narre le premier cas de transformation sexuelle d’un homme, le peintre danois Einar Wegener en Lili Elbe, avec la complicité amoureuse de son épouse Gerda, peintre plus connue. Une exposition concomitante au film actuellement au Danemark.
Une histoire « vraie » comme dans tout biopic; le scénario est issu d’ un roman, lui même adapté du Journal de Lili Elbe, qu’il rédigea pendant les mois qui précédèrent l’opération (une première mondiale en 1931) et son échec.

Si les protagonistes sont à peu près inconnus dans une histoire de l’art, le film s’est construit sur le casting, et le sujet: 
Les questions d’identité sexuelle, assez tolérées dans les milieux artistiques, entre deux guerres,  un certain libéralisme régnant dans un pays non catholique, ne sont abordées que plus récemment. La pertinence du transsexualisme coïncide avec l’actualité des débats politiques et de société dans les dernières années. Le sujet est devenu public, cet exemple tombe donc à point.

Tom Hooper, spécialiste des films historiques, en costumes et à grand spectacle, après Le discours d’un roi, Les misérables (très très fâcheux) a déployé les décors austères de Copenhague puis les fastes des Hôtels Parisiens et des lieux mondains autour de son quatuor de personnages principaux.
Einar, Eddie Redmayne, super oscarisé, son épouse Gerda, Alicia Vikander, nouvelle star suédoise, Ben Whishaw  et -surprise- Matthias Schoenaerts, en galeriste très urbain.
Belles performances d’acteurs dans un beau décor, des superbes costumes et quelques perruques.


Einar paysagiste

Comme dans tout biopic d’artistes peintres, les séquences alternent les scènes d’atelier , dans ce cas le couple partage le même espace, des pratiques différentes, lui, le paysage et elle le portrait;
comme souvent l’artiste ou son double exécute avec virtuosité, ici le tableau est souvent vu de dos et en quasi transparence de la toile.
-des scènes de galeries et de vernissage; les rapports plus ou moins difficiles avec les galeristes, Gerda est priée de changer de sujets. Les circonstances lui apportent le succès.

Lili face à Lili par Gerda





de son côté, Einar/Lili , à la recherche de son image, et de son identité, cesse de peindre.











L'intérêt de cette relation triple à la peinture se rapporte à une tradition du double portrait et de l'autoportrait, image spéculaire. Or, c'est le miroir offert par l'image réalisée par le tiers, Gerda, qui provoque la prise de conscience du devenir Lili.
Nombre de scènes du film mettent en évidence, cette démultiplication des portraits qui n'exclut pas la projection qu'opère Gerda sur Lili. Le couple y reste uni.


Scène d'atelier

Hammershoi.




Le Danemark, plat pays du nord de l’Europe est connu pour des peintures de paysages mornes et bleutés, le marais d’Einar est conforme, mais répétitif, c’est le lieu du choc émotionnel d’origine, les vues du port de pêche, animés comme dans La jeune fille à la perle, les envolées de ciels nuageux s’opposent à l’image récurrente du voilier immobilisé sur cale au bout du porche : un décor symbolique.


Hammershoi : Vue d'intérieur.
















L’intérieur de l’appartement s’inspire des oeuvres du peintre danois Vilhelm Hammershoi, (1864-1916) le plus connu, murs gris et perspective de pièces sans rideaux. Dans les scènes d’intimité, ces fenêtres désignent la liberté de la relation du couple. 
Le séjour parisien dans l’euphorie et l’ambiance mondaine, plutôt fin de siècle, offre quelques vues d’architectures modernistes. 


Une première partie du film, la lente prise de conscience de la nature du héros entre dans les standard du genre, le deuxième beaucoup plus fastidieuse est consacrée au parcours médical, entre diagnostic psychiatrique, internement et déni, les psychanalystes, Freud le premier, versant l’homosexualité du côté d’une déviance. Le changement de sexe n’était pas concevable, sauf à trouver un praticien éclairé.

S’il était nécessaire, le récit est plombé par la partition d’A.Desplat, particulièrement lourde et peu inspirée par les musiques contemporaines d’une période pourtant particulièrement créatrice.

Le film s’inscrit dans une tradition assez conventionnelle, déjà critiquée pour Le Discours d’un Roi,  l’esthétisation systématique ne ménage aucune des innovations que le sujet aurait pu provoquer. Dommage.



Scène du film
Transposition  et  anachronisme.

Paysage par Einar Wegener, le vrai.

L’éternelle jeunesse des héros, (contrainte du casting), dans un récit qui se condense sur une période ramassée des dernières années de vie de Lili, ne manque pas de surprendre. 
Einar/Lili aux airs d’adolescent, Gerda, pimpante et très bronzée/maquillée traversent le temps, inchangés, (allégorie de leur amour ?) 


or les biographies révèlent que  


Einar Wegener était né en 1882, Gerda née en 86 (morte en 40), étudiants aux Beaux Arts, ils se sont mariés en 1904. Gerda s’était installée à Paris en 1912 avant de revenir à Copenhague.

Entre 1928 et 30, ils auraient eu plus de quarante ans…le lifting n’existait pas alors. 


Lili, par Gerda, 1930

Lili Elbe, photo d'époque.




























Gerda, 1918




Connue comme illustratrice, les oeuvres des années 15 à 20 correspondent aux années folles, et sont souvent très libertines. Voir les catalogues.


Gerda: Vignette d'un album érotique.





















La ballerine, 1927, original.





Le réalisateur, (casting et contrainte financière de production), contextualise la période du récit  par les nombreuses productions picturales plus tardives de Gerda des années 25-30 ou du moins leur imitation, les droits de reproduction sont sans doute limités. Pour "La ballerine", on peut confronter l'original et la copie. 










Des oeuvres datées.

Lili par Gerda Wegener, 1928
Il faut au passage saluer les artistes qui se sont chargés de la réalisation des oeuvres dans la conformité de style avec le courant du Réalisme qui s’est imposé en Europe après 1925. 

Dans le film, étude en cours par une main anonyme.



Une figuration à la fois monumentale et léchée, mais sans critique sociale de la Neue Sachlichkeit. Dans le «Retour à l’ordre », Dada est loin, le surréalisme n’est pas évoqué.
La clientèle mondaine attend une idéalisation, le grand public du cinéma sentimental aussi.  





Karl Hubbuch: Les deux soeurs, 1929



Gerda, « femme à la cigarette », un sujet moderne,  croque Lili dans d’excellents dessins au trait, on pourrait penser à l’allemand  Karl Hubbuch.

Christian Schad,  Les Deux amies, 1928.















Gerda et Lili, 1925




Des portraits à la manière de Christian Schad. Deux artistes qui osaient les sujets homo-érotiques,  comme a pu en réaliser Gerda.  Très édulcorés dans le film. 
L'évolution stylistique de la peinture de Gerda est particulièrement intéressante: de l'Art nouveau ou Réalisme vers 1930, les sujets féminins sont majoritaires.
La thématique du double fusionnel, Lili/Gerda, comme parallèles aux scènes lesbiennes, une question à poser.
Nombre de femmes artistes, peintres ou photographes ont pratiqué l'autoportrait, se prêtant aussi comme modèles à leurs amis. Mais il faut pointer la persistance d'un imaginaire érotique fixé sur l'image de la femme, même si les auteurs masculins ont d'autres intérêts.
Le film aura surtout permis de découvrir une femme artiste méconnue.



Ci-dessous, Gerda, Einar au chevalet,  au bouquet, son double Lili nu(e), (trois fois Lili), une amie à l'accordéon, dans un style très "Art Déco".
Gerda Wegener, : A summer day, 1927

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