lundi 20 mars 2017

PAULA, M-B, une vie, un film.

En sous-titre, "Mein leben soll ein Fest sein", (Ma vie doit être une fête), le biopic consacré à  Paula Modersohn-Becker, réalisé par l'allemand Christian Schwochow, se pare de valeurs solaires que l'actrice Carla Juri (sans doute plus belle que son modèle) incarne avec une vitalité enthousiaste. 


L’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris au printemps 2016, « Paula Modersohn-Becker,  L’intensité d’un regard », ainsi que la biographie de Marie Darrieussecq : « Etre ici est une splendeur » , nous avait familiarisés avec l’oeuvre.

La tradition toujours assez conformiste du genre, les écueils du film en costume, quelques soient les critiques sur la forme, les écarts entre réalité et construction fictionnelle, le biopic a le mérite de restituer un cadre et de donner envie d’en savoir un peu plus sur le contexte historique.
Quelques documents pour illustrer les personnages:

Une Vie.

Hans am Ende: paysage au champ de blé.


Le film élude le début de la vie de Paula, née à Brême, en 1876, qui a connu brièvement Londres, fait des études à Berlin, dans une école ouverte aux femmes avant de rejoindre la communauté d’artistes de Worpswerde, un village au nord de Brême dans les marais du diable.





La première partie du film est intéressante qui nous fait découvrir des paysages, des artistes que l’histoire de l’art, vue de France, ignore ; on connait mieux les groupes de Russie du début du siècle, puis l’Allemagne du sud après 1910.

Mackensen: Service religieux en plein air.

Le groupe des professeurs, quelquefois drôles mais assez machistes insistent sur la nécessité de figurer la réalité comme on l’observe, avec précision et rigueur.
Paysagistes comme Hans am Ende, ou Otto Modersohn.
Figures de paysans pour  Franz Mackensen, post Courbet :


Otto Modersohn.

Worpswerde deviendra une communauté « utopiste » toujours sous la direction de Mackensen jusqu’en 1932.  



Au passage, ces artistes dont Paula entreront dans « L’art dégénéré » sous Hitler, en compagnie de Kathe Kollwitz, autre peintre et sculptrice engagée dans les scènes sociales.


Clara W par Paula M-B


En 1900, Rainer Maria Rilke, de retour de Russie séjourne à Worpswerde, où il épouse Clara Westhoff, l’amie de Paula, sculptrice méconnue mais de talent:

Paula et Clara,














Paula par Clara Westhoff

Rilke par Clara W.




Paula épouse le peintre Otto Modersohn, veuf et père d’une petite fille Elsbeth, qui deviendra un modèle pour sa belle-mère. 








Paula: Otto endormi

Paula et Lisbeth














Autoportrait.





Commence le conflit entre le désir de créer selon une vision personnelle et les contraintes imposées par les maîtres. Paula fait trois courts séjours à Paris, entre 1903 et 1905, elle y retrouve son amie Clara, élève de Rodin, déjà séparée de Rilke.














Elle y découvre les post impressionnistes et Cézanne dont ses natures mortes extrêmement colorées marquent l'influence.

Paula fréquente l’Académie Colarossi (qui deviendra La Grande Chaumière) comme nombre de ses contemporaines étrangères et se perfectionne sur le dessin de nu.









Frappée par les portraits du Fayoum, qu'elle voit au Louvre, elle fonde son travail sur le regard.
Sa quête de connaissance et d'introspection l'amène à réaliser de nombreux autoportraits, toujours ornés d'une fleur ou d'un fruit, souvent nue.




1906, clin d'oeil à Gauguin et
au Bocal de Matisse.




En 1906 elle se sépare de son mari (un mariage non consommé en raison de la terreur d’Otto des risques de la maternité, il cite Rembrandt), et passe six mois  à Paris où elle continue à fréquenter son ami Rilke, découvre la peinture de Gauguin,

avant que son mari enfin convaincu de la qualité de la peinture de Paula ne la ramène à Worpswerde, où elle meurt des suites de couches en novembre 1907.
Une fin tragique qui n’a pas épargné d’autres femmes artistes dont Eva Gonzalez, quand elles n’avaient pas déjà renoncé au métier…



Version du film



Clara, Paula et Mackensen en censeur.

Pour la première partie, dans une belle lumière d’été, les jeunes femmes peignent dans la nature, quelques fêtes, assez romantiques et légères, les heures d’atelier (comme toujours vues de derrière le chevalet),



Les "Femme et enfant" se multiplient;
puis en contrepoint, les incursions de Paula dans les asiles de démunis et de vieillards, qui deviennent  des modèles  très éloignés de l’idéalisation convenue, le  qualificatif d’expressionniste lui sera attribué pour la postérité. 





Critiquée pour la facture empâtée, d’une touche épaisse, la massivité des formes, les sujets et surtout pour ne pas avoir d’enfant, elle est menacée d’enfermement psychiatrique.

Clara présente à Rilke son portrait.

Le film condense tous les séjours parisiens en un seul en 1906; 
une fuite dans les chemins en trainant ses bagages et sa croix, pour atterrir dans une ville de décors assez ratés. Un vague aperçu de l’atelier de Rodin; Dans un bar avec Clara, on voit passer Camille Claudel très imbibée, une logeuse cupide, le tout très discutable.





Dans l’académie Colarossi, elle succombe aux charmes du beau George,
une scène de photographie restitue l’autoportrait nu et l’épanouissement du corps.
Deux références, la visite au Louvre et deux Cézanne dans un sous sol étrange, rien sur Gauguin.

 Puis Paula retrouve et séduit son époux et retourne à son destin tragique. 
Le film se clôt sur une vue de la chambre/atelier où Paula se dévoile derrière la toile se figurant enceinte (par anticipation), au milieu de peintures et dessins des années précédentes.
(Comme dans Les fleurs bleues de Wajda).

Écho au générique qui la cachait derrière un châssis vierge.
Dès les premières scènes, elle proclamait qu'elle mourrait après avoir fait trois bonnes toiles et un enfant. 



Femmes artistes, encore.




Le féminisme  du réalisateur CH Schwochow, déjà sensible dans « De l’autre côté du mur », 2014 devient  assez  lourd dans l’insistance sur les contraintes et l’impossibilité pour les femmes d’être autre chose que procréatrices, depuis le père ( qui avait pourtant favorisé les études de Paula) en passant par les professeurs. 


Le symbolisme de la croix formée par le chevalet (non pliable?) que Paula promène jusque dans les rues de Paris nous rappelle que c’est un instrument de torture et d’écartèlement. Le travail, tripalium médiéval et celui de l'accouchement.



Paula Modersohn-Becker  rejoint donc la petite communauté de femmes artistes ayant bénéficié d’un biopic: tous les pré-requis et les données biographiques sont rassemblées : une oeuvre suffisamment célèbre pour illustrer le film, une actualité muséographique pour assurer un public (et obtenir des financements)

des péripéties sentimentales et sexuelles originales en leur temps, la transgression qui provoque une accusation de maladie mentale, et autant que possible une fin tragique..
On remarque que dans le genre, le prénom de l’héroïne semble suffire, -on a vu Artemisia, Frida, Séraphine, d’autres ont cependant conservé leur patronyme, Camille Claudel, ou rejeté leur prénom, Carrington (Dora). Ou encore en couple avec un artiste plus connu.
Les autres ont droit à des documentaires, souvent aussi conventionnels.

Seule Paula Modersohn-Becker bénéficie d’un musée à son nom, à Brême: courrons-y…