Ce film, fort confidentiel, réalisé par Gustav Deutsch est consacré à une fiction animant les oeuvres, les plus connues d'Edward Hopper, sous forme d'entrées multiples; il peut paraître austère ou artificiel, il est surtout didactique.
Le peintre américain E. Hopper, né en 1882, commence comme dessinateur de publicité, puis graveur avant d'être consacré dans les années 30 par les expositions de ses toiles. Fin connaisseur de la culture européenne, il séjourna à Paris avant de se fixer à New-York, qu'il ne quitta que rarement. Une vie fort discrète avec une épouse, peintre aussi. Il meurt en 1967.
Dans le film de G Deutsch, Shirley, actrice et narratrice en voix off, s'incarne dans le personnage féminin qui figure de manière centrale dans la plupart des toiles les plus célèbres du peintre, dans l'ordre chronologique et associées au lieu de réalisation, entre 1932 et 1965.
Chacune des dates, rapportées à un mystérieux 28 août est accompagnée d'un résumé des faits politiquement marquants: la crise économique, la crise de Cuba, la chasse aux sorcières, et la délation d'Elia Kazan, le discours de Martin Luther King "I have a dream"... Le film marque ainsi un engagement théoriquement plus radical que la peinture critique d'une société de la middle class proposée par Hopper.
Les références musicales : John Cage, Luigi Nono ( oeuvre pour le Vietnam) et le lien avec le Living Theatre - au passage, Artaud est cité-, s'ancrent dans une actualité artistique novatrice de l'époque.
SCÉNARIO
Hopper: Hotel Room, 1931 |
Pour établir le lien entre chaque séquence, Shirley, la jeune actrice quitte Paris :
Chambre d'hôtel, 1931, où elle jouait dans le Living Theatre. Son coté "straight" qu'elle ne quittera jamais, semble assez incompatible avec l'esprit d la troupe de Julian Beck (créée en fait en 47). Son rôle est assez "anti-performanciel", un effet non naturaliste du système filmique.
Elle prend un train "Chair Car", 1965, seul anachronisme, qui a fonction d'introduction à un flash back, dans lequel elle lit un recueil d'Emily Dickinson, poétesse d'une mélancolie tragique. Ce train revient à la dernière séquence lorsqu'elle repartira pour Paris.
Elle s'installe à New-York avec une mari journaliste : "Chambre à New-York", 1932, souffrant d'un ennui certain; lequel mari deviendra scénariste à Hollywood puis photographe, enfin aveugle.
Comparer avec l'image de l'affiche pour le mimétisme.
Hopper : Room in New-York, 1932 |
Hopper: New-York Movie, 1939. |
La crise économique la reconvertit en ouvreuse de cinéma ("Cinéma à New-York",1939).
Ici, le film, en noir et blanc à peine visible dans l'angle de la toile, s'anime par l'insert d'une séquence de "Dead End" , Rue sans issue, William Wyler, 1937, autre indice d'une lutte de classes.
Hopper: Office at Night, 1940 |
Puis en employée de bureau : "Office at Night", 1940.
Le soin de la reconstitution de l'espace, et du style de la femme révèlent ici les modifications de la couleur dominante de l'image numérique.
Version filmique. |
Le soin de la reconstitution de l'espace, et du style de la femme révèlent ici les modifications de la couleur dominante de l'image numérique.
Hopper: Hotel Lobby, 1943 |
Employée dans un hôtel, " Hotel Lobby", 1943, elle exaspère les commentaires de la bourgeoise Madame A. dont le mari lorgne les effets de jambes et d'escarpins de Shirley. À revoir les toiles du catalogue, on repère en effet l'insistance de Hopper sur les jambes et les souliers à talons, très Marylin, un érotisme latent chez un peintre assez "puritain". Comme le film.
Sunlight on brownstones, 1948 |
S'ensuivent des séquences de chambres et maisons à Cape Cod, où Hopper passait ses vacances.
" Matin à Cape Cod", 1948,
" Morning Sun", 1952,
Western motel, 1957 |
" Motel à l'ouest", 1957, escarpins, voiture et montagnes fessues.
La séquence cette fois anticipe sur l'apparition
de l'image du tableau.
de l'image du tableau.
"Woman in the sun", 1961: nu à la cigarette dans un rayon de soleil.
Woman in the sun, 1961 |
Puis "Sun in an empty room", 1963: chambre et totalement abstraite par le découpage des plans dans le soleil; indice circonstanciel de la disparition du mari, mais icône pour les peintres américains abstraits qui se sont référés à Hopper. Il en existe plusieurs versions.
Sun in an empty room, 1963 |
Intermission, 1963 |
"Intermission" (Entracte), 1963 : dans un cinéma désert, le cinéaste insère la voix off d'Alida Valli dans "Une aussi longue absence" Henri Colpi, 1960, musique, "trois petites notes de musique" chantée par Cora Vaucaire. Nouvelles références au cinéma.
Chair car, 1965. |
Retour au train "Chair Car" 65, (une image qui me fait penser à Hitchcock, L'inconnu du Nord Express).
THE END
Une esthétique de la lumière
Toute l'oeuvre d'Edward Hopper se construit par la lumière : éclairement par un soleil, venant presque toujours de la droite, déterminant une hiérarchie des plans de projection géométrique; des fenêtres éclairées de l'intérieur en contrejour, des intérieurs aux lampes directionnelles. Les personnages sont en conséquence plus volumétriques et quelquefois charnels.
L'exclusion des figures dans les dernières oeuvres font alors basculer l'espace dans une pure abstraction.
La symbolique de la projection est révélée par la lecture du Mythe de La Caverne de Platon, que lit à Shirley, le mari dans une chambre lumineuse. Revendiquée par Hopper lui-même dans le titre et le commentaire, le cinéaste le redouble pour cautionner le système de l'image de synthèse.
Jerzy Palasz : Morning sun, d'après Hopper |
Chacune des peintures est transposée en numérique, pour un décor et un mobilier plus constructiviste que chez Ikéa, mais en couleurs curieusement plus chaudes que l'original. Aucun effet de matière; cette froideur se réfère à nombre de photographes contemporains qui ont repris les toiles: le médium détermine la forme. Ce traitement a le mérite de démontrer les modalités perspectives de l'espace des toiles. À REVOIR.
Rien n'est dit de la vie du peintre, un anti-biopic, en revanche l'influence de Hopper sur le cinéma américain, et inversement aussi, la place du cinéma dans l'inspiration du peintre nous est démontrée. On voit des Hopper partout, dans les bars, à New-York, dans les campagnes ponctuées de pompes à essence, dans la 'starisation' des femmes fatales. Autant de clichés ou d'icônes pour l'amateur de film noir, en couleurs. Même pour ceux du supposé neveu, l'autre Hopper, Dennis.
Un peu ennuyeux pour certains, éclairant pour d'autres.
Dans un passé déjà lointain nous avions fait faire cet exercice aux étudiants: mettre en animation une toile, avec des résultats plus drolatiques.