De Basquiat à Banski.
Le graffiti , le tag et le graf
, très en vue dans les galeries ce
printemps, institutionnalisent des pratiques « sauvages » qui
marquèrent les territoires des bandes de jeunes ; les murs des ghettos, des usines abandonnées, les wagons du
métro. Leur prolifération dans les années 70 puis 80, avec l’apparition de noms
connus et individualisés par le style, amène une récupération par le milieu de
l’art « officiel ». Dès 1983, une grande exposition à New York rassemble plusieurs noms, et entraîne
leur introduction sur le marché.
Sur la côte ouest, plus latino, la situation est identique. Le film Colors de Dennis Hopper en témoigne.
Les premiers muraux étaient dédiés aux héros de la contestation politique et les "martyrs" connus donc le réalisme prédomine sur le décoratif.
Quand les peintres
contemporains, dont les pratiques mixtes issues du pop, mais aussi du
nouvel expressionnisme privilégient la « bad painting », les jeunes
graffeurs paradoxalement mettent en place des images plus
« clean » : on peut
apprécier la différence dans deux séquences du film « To live and Die
in LA », un thriller de W. Friedkin,
1985, où un travelling devant un mural précède la visite de l’atelier de
Masters ; les toiles sont de l’artiste Rainer Fetting.
Les premiers muraux étaient dédiés aux héros de la contestation politique et les "martyrs" connus donc le réalisme prédomine sur le décoratif.
To live and die in L.A |
JM Basquiat in Downtown 81 |
Une attention au dessin, qu’il
soit l’extension de la signature, ou la reprise d’une imagerie BD, suppose un
croquis, ou un pochoir soigneusement détouré.
Le graffiti spontané ( dont
l’histoire est longue, de l’antiquité à nos jours) reste linéaire. Pour les
graffs polychromes, les contours, tracés à la bombe, précèdent la mise en
couleur par plages uniformes centrifuges, le brouillage provenant des
interférences et recouvrement dynamiques. Un système commun d’où ressort le nom
de l’auteur ou son symbole. Et qui peut varier selon l’urgence de l’action ou
le choix de l’auteur.
Les muraux ont aussi une longue histoire,
fresques intérieures, les formats monumentaux ont été privilégiés comme
imagerie politique extérieure, par les muralistes Mexicains ; lesquels ont
alors influencé les peintres américains des années 40 (voir Diego Rivera dans
« Frida »)
pour des commandes officielles.
Ex : Stuart Davis, 1938,
Paysage Swing, 217x440.
Stuart Davis, 1938 |
La gestualité picturale est
partagée par les taggeurs et les danseurs de hip-hop, issus des milieux Black.
L’expression de la liberté individuelle et de la dénonciation de la société se
manifeste aussi dans le free jazz, culture musicale héritée des musiciens
noirs. Dans ce contexte, le cinéma documentaire d’abord puis la fiction
s’intéressent à ce métissage culturel.
Les formes filmiques opèrent sur
un mode mixte. Dans l’ordre des réalisations :
Downtown 81 , Edo Bertoglio. Le film sorti en 2000, diffusé en
France en 2010 a été tourné en 80/81 avec comme acteur Basquiat,(1960-1988).
Une fiction documentaire « live » : le jeune Jean Michel erre dans NY , une toile à la main -la première- après avoir été viré de son appartement.
Une fiction documentaire « live » : le jeune Jean Michel erre dans NY , une toile à la main -la première- après avoir été viré de son appartement.
Le soliloque pendant la
déambulation se traduit par des écritures murales à contenu politique : la
dénonciation des classes dominantes, de l’économie et du racisme à l’encontre
des minorités.
Downtown 81 |
Entre deux rencontres avec des
graffeurs, et ce faisant, un programme de l’art des rues, JMB s’intègre dans le
milieu underground plus musico que peinture.
Et rencontre une hypothétique
mécène : fin irréelle dans les poubelles, avec le rêve du baiser de la fée
et une valise d’argent. Préfiguration du succès dans une ascension fulgurante,
telle que l’évoquera le film de Julian Schnabel.
Deux documentaires de
l’anglais Dick Fontaine évoquent le rapport du tag et du rap.
« Beat this, a hip-hop
history »,
1984 : scènes et interviews des figures du rap dans le Bronx, quartier le
plus gravement déshérité de New York,.depuis les années 60, ainsi que des
graffeurs, dans une perspective historique et politique.
Une approche politique, que les
différents groupes revendiquent : comment témoigner de la misère sociale
et utiliser les pratiques artistiques pour donner du sens aux jeunes des
ghettos et, ce faisant, canaliser la violence des gangs. Inserts de Muhammed
Ali et référence aux émeutes des années des Black panthers, black muslims,
toutes les rencontres avec les DJ les graffeurs et rappeurs s’accordent sur
l’idée que l’art peut servir une lutte pacifique. Le plus étonnant est sans
conteste le « Zoulou » Africa Bambaataa. Ils sont aussi conscients de
la récupération. Pour l’anecdote, en 81, lors de visites de galeries dans des
lofts de Downtown, j’assistai à une prestation de très jeunes danseurs de
hip-hop, auxquels les spectateurs jetaient des dollars.
Le documentaire « Bombin », 1988 présentant les
actions « pédagogiques »
du graffeur Brim, invité lors d’un festival hip-hop en Grande-Bretagne, à
Liverpool pour travailler avec des enfants dans les quartiers sinistrés. Exportation en Europe d’une pratique artistique qui
sortait de l’interdit, mais avait conservé sa valeur socio-politique. Ce dont
témoigne pour Berlin, le mur filmé par Wim Wenders dans Les Ailes du
Désir, 87 (avant la chute) et cette
pratique s’est réactivée sur le mur construit entre Israël et la Palestine.
Syndrome de Stendhal |
ou objet
politique dans Furia , 2001, adapté de la nouvelle Graffiti, de Julio Cortazar,
Alexandre Aja met en scène une artiste protestataire (M. Cotillard) souterraine
puis torturée dans une dictature où l’interdit de représentation fait loi. Très
lourde allégorie.
Basquiat a été réalisé par le peintre J.
Schnabel, originaire d’Allemagne, installé à NY et l’un des acteurs du nouvel
expressionnisme des années 70. Soutenu financièrement par le milieu de l’art,
les acteurs sont aussi des artistes.
Autoportrait, 1982 |
Schnabel se met en scène sous le pseudo de
Milo (G Oldman) dans son atelier , David Bowie incarnant Warhol. Le film
intègre le rôle des galeristes ( Bischofberger, Zurich : D.Hopper) des
femmes Mary Boone, des journalistes poisseux : un démontage critique du
système à NY dans les années 80.
Le film reprend l’histoire là où
l’a laissée Downtown, période SAMO ; Première expo chez Annina Nosei en 82
qui lui a procuré un atelier. L’art quitte la rue pour les galeries. Puis
internationalisation des expositions. Collaboration avec Warhol, puis la mort
par overdose. En quoi il coïncide avec le modèle obligatoire du destin tragique
de l’artiste.
The Radiant Child, Tamra Davis, 2009, documentaire
sorti en salle pour la rétrospective Basquiat au Musée d’art Moderne de la ville
de Paris (2010) est un montage d’entretiens filmés de l’artiste et de
personnalités visant précisément à
ranimer la figure « irradiante », selon les termes de la
réalisatrice, de Basquiat et les raisons esthétiques de son succès, unique dans
la catégorie.
Keith Haring |
Les graffeurs/ versus galerie d’art contemporain de la
figuration narrative continuent de prospérer, et dans un circuit parallèle, des
supposés activistes, plus décoratifs qu’efficaces se font des noms. Internet
est un nouveau moyen de médiatisation.
Une revue californienne, JUXTAPOZ,
Art et culture-remix#02, pour la France,
Ankama editions, 2010 fait l’état des artistes du street art et de la BD, Le français Invader ( petites
mosaïques) apparaît dans le film de Banski.
Dans cette revue, on peut lire
une interview d’un certain Dave Kinsey (p.31) :
« La réalité, c’est
que l’art urbain est devenu une marchandise pour les départements marketing.
Une fois que les compagnies publicitaires s’approprient quelque chose, on peut
considérer que c’est mort ».
Considération pessimiste mais lucide qu’on voit illustrée par
Banski dans son film:
Banski |
Faites le mur, 2010 :
un film qui peut passer pour un
canular.
Le réalisateur, bien connu des
amateurs du Street Art , spécialité pochoir, ( et dont les actions s’adaptent
au contexte): le mur en Israël comme tout autre mur américain et objets
urbains)
construit un panorama des artistes de tous pays qui opèrent sur le
terrain mais aussi sur le marché :
Interviews et suivi des actions de rue.
Mr Brainwash |
Le personnage principal très « douteux » :
Thierry Guetta, récupérateur (de fripes vintage d’abord) filmeur de
toutes les interventions sauvages, puis assistant de Banski à LA, (séquence
Guantanamo à Disney Land) s’invente une pratique et un nom « Mr
Brainwash » (lavage de cerveau).
En
dépit de préparatifs complètement anarchiques de l’exposition, en 2008, la
médiatisation fonctionne, la foule se presse, le total des ventes est
astronomique.
Une vision globalement apocalyptique de l’art
ultra-contemporain, commentée par l'auteur du film :
Banski |
Pour cependant conserver quelques
aspects positifs d’un art politique, il convient de revenir sur l’appropriation
de l’affichage mural par des artistes conceptuels : Jenny Holzer, la plus
célèbre, (empruntée dans Catchfire, D.
Hopper, 1988),
le polonais Krzysztof Wodiczko :
Wodiczko: Martin Luther Kirchturm, 1987 |
ou encore une artiste russe,
Svetlana Kopystianski :
« L’art est la poursuite de la politique par
d’autres moyens... »